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Critique de dourvach


Curieux pacte passé avec les livres (si nombreux) de Dhôtel : leur lecteur y cherche "des émerveillements" — et bien sûr les y trouve. Au fil des pages. Abrupts et inattendus. Comme dans la vie. Ainsi que les décrivait le poète prosateur Bruno Schulz dans l'une de ses nouvelles enchantées ("Le Livre" in "Le sanatorium au croque-mort", 1936 — traduction Denoël, 1974) : "Les hirondelles s'envolent d'entre les lignes".

Dhôtel joue avec l'attente de son lecteur. Cette attente rare. Proche de celle des protagonistes guettant "Le Désert des Tartares" de Dino Buzzati (1940). Sauf qu'ici — chez Dhôtel, notre généreux hôtelier ardennais — nul personnage n'attend vraiment quelque chose de précis... Ils vivent leur vie ordinaire ponctuée d'éblouissements (lueurs fugaces d'une "Autre vie" possible et entrevue... ). Ici, c'est le lecteur qui attend — et n'est jamais déçu.

Deux pages romanesques — à propos de chardonnerets, de bagarres alcoolisées, d'ondées orageuses et de tournées de facteur —, deux pages seulement pour installer l'amour muet du facteur Augustin pour l'insaisissable institutrice Rosalie. Augustin Sille... Rosalie Aumousse... Des patronymes qui sentent aussitôt cette pluie d'orage des deux premières pages. Ainsi sommes-nous installés (ou plutôt vagabonds) dans le monde Dhôtel en deux pages de roman. Et ainsi soit-il...
"L'honorable Monsieur Jacques" est une prouesse narrative. Les dialogues y sont nombreux. L'intrigue et les personnages fourmillent. C'est bien une littérature provinciale ruisselante — totalement assumée — qui vous nargue les mornes platitudes "à l'épate parisienne". Bien fait ! Et le match est gagnant pour les "bouseux", d'ailleurs... Un peu "Gracq" contre "Trash", si l'on veut... Dialogues beaucoup plus denses que dans les si contemplatifs "Ce lieu déshérité" (1949), "Le Pays où l'on n'arrive jamais" (1955), "Ma chère âme" (1961), "Pays natal" (1966) et "La maison du bout du monde" (1970) qui sont désormais nos plus solides références en matière de belle Poétique dhôtelienne...

Rosalie Aumousse et Augustin Sille sont d'ailleurs deux figures hautement contrastées — et dites "secondaires" — évoluant en parallèle au couple "central" et improbable que formera Viviane Aumousse (soeur de Rosalie) et Jacques Soudret (fils de pharmacien) : mariés en si peu de temps, séparés quelques misérables mois plus tard -- pour raisons mystérieuses et probables immenses incompatibilités...

On retrouve ici la grâce de huit chapitres "à titre" qui faisaient l'un des charmes de "La maison du bout du monde" [Ils furent douze dans "Le Pays où l'on n'arrive jamais"] : I. Le mariage ne va pas sans périls / II. Complications rustiques / III. Superstitions / IV. Poursuites et enquêtes / V. Incroyables rencontres / VI. Des signes mystérieux / VII. Nouvel orage / VIII. Au bord de la rivière.

Quel incroyable manque de prétention !!! Un "défaut", certes, assumé par notre "si provincial" Ardennais... et assumé en totale humilité d'artisan : une attitude désuète, vraiment ? "LITTERATURE", pourtant... Mais ne nous leurrons pas : ce que nous nommions "Littérature" est devenue concept minoritaire (et quasi-invisible) dans ce flux incessant d'objets de consommation courante nommés "livres" : flux qui nous étouffe peu à peu. Déluge ou déversement continuel d'objets effectivement "livresques" (matériels ou virtuels) emplis de caractères d'imprimerie qui n'ont — pour la plupart — nul souci d'invention (ni inventeurs d'un monde ni d'un style), ou de tenue de la moindre Poétique interne...

Chaque titre de chapitre s'adresse ici — déjà — à notre imaginaire. Nous conte déjà "son" histoire... Un moment déjà vécu par nous, à revivre en imagination... Attente bientôt comblée, qui sait ? Bonheurs à venir de toute lecture dhôtelienne : cinquante-et-un romans et recueils de nouvelles à découvrir... le saviez-vous ? "Littérature à l'ancienne" ? On s'en fout ! Que du bonheur...
Lien : http://www.regardsfeeriques...
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