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Critique de JustAWord


Après Archeur et Number Nine chez Encrage Éditions, le français Thierry di Rollo atterrit chez le Bélial'. le début d'une longue histoire d'amour puisqu'il y publiera pas moins de huit romans sans parler de nombreuses nouvelles dans la revue Bifrost.
Trois ans après Archeur, l'auteur retourne dans le noir de son univers pour offrir au lecteur La Lumière des Morts, un ouvrage qui abandonne le monde créé dans les deux précédents romans sans pour autant renier les bases de la tragédie humaine patiemment construite par di Rollo.
Et comme pour Archeur…tout commence en Afrique !

Rhinocéros en bleu et homme au noir
Une Afrique qui n'a toujours rien de bien attirant, au contraire. Qualifiée de « nations-poubelles » dans Archeur, le continent africain de la Lumière des Morts reste sensiblement le même. le lecteur y fait la connaissance de Dunkey, « gardien » d'une réserve animalière qui prélève régulièrement la semence de certains animaux pour analyser les raisons du déclin des espèces africaines. Pour l'aider, il doit composer avec Bongo, un noir particulièrement réticent à toute forme d'hygiène et Lhar, un allemand alcoolique qui boit du soir au matin et empeste le whisky.
On retrouve toujours ici cette image écoeurante de l'homme, qu'il soit noir ou blanc, européen ou africain, comme un rebut, une ordure, bouffé par le mysticisme ou par la boisson.
Alors que notre fine équipe tente d'endormir un lion cachexique, Bongo s'affole. le noir est en effet persuadé qu'un étrange châtiment va s'abattre sur eux sous la forme d'un rhinocéros enveloppé d'une lumière bleue, la fameuse « Lumière des morts ».
La première moitié du roman s'intéresse donc au continent africain qui incarne le parfait prolongement de celui d'Archeur, le désert en moins, la savane et la faune en train de crever en plus. Thierry di Rollo emmène le lecteur dans la misère la plus noire et dans l'hypocrisie la plus totale.
Une hypocrisie qui veut cacher l'absurdité du principe même de la réserve animale où l'on parque des bêtes condamnées à une reproduction consanguine et à une fin lente et particulièrement pathétique.
À côté de ce job peu ragoûtant qui consiste principalement à endormir des lions à la carabine avant de les sodomiser avec un stimulateur électrique pour récupérer la précieuse semence à analyser, Thierry di Rollo raconte le passé de Dunkey (un « homme-animal » comme on en trouve plusieurs dans le romans, dunkey/donkey/âne et monkey/singe). Dunkey vient de la Capitale (reliquat ou allusion au monde d'Archeur/Number Nine) où il survivait dans la misère au sein d'un hôpital où il était chargé des rebuts, c'est-à-dire des membres amputés provenant des autres services de soins. Comme toujours chez di Rollo, que ce soit dans la réserve ou dans la Capitale, le « héros » veille les morts, patauge dans l'horreur. Si le narrateur de Number Nine faisait disparaître les corps avec son cabot génétiquement modifié et si Archeur comptait les cadavres, Dunkey, lui, en fait un commerce juteux qu'il revend aux plus offrants.
Autant dire que La Lumière des Morts ne dépare pas dans l'aventure humaine offerte par l'auteur français depuis ses tous premiers textes.

En deux temps
Au milieu de la déchéance d'une Nature laminée par l'homme et sa connerie, Thierry di Rollo montre l'espoir condamné. On croise ainsi un personnage saisissant, Virginie, dont Dunkey semble épris en secret, et qui n'a qu'une obsession : amener des oiseaux blessés sur le toit de son immeuble pour les « libérer ». Une libération qui consiste en réalité à jeter les pauvres bêtes dans les airs et à croiser les doigts pour les voir voler. Ce qui n'arrive jamais.
Virginie symbolise tout ce qu'il reste de l'espoir dans le monde de di Rollo, des personnages qui voudraient bien relancer ou changer les choses dans la folie ambiante mais qui sont condamnés à regarder l'Enfer dans les yeux encore et encore. C'est d'ailleurs l'Enfer qui attend le lecteur dans la seconde partie du roman situé en Europe.
Changement de décor et changement de protagoniste avec Linder, une shooter, sorte de fusion entre juge et flic qui arpente les rues de la Capitale sous contrôle de « Dieu », une Voix qui lui souffle dans l'oreille les enquêtes à mener et les gens à exécuter. Dans cette autre réserve purement humaine, les cadavres s'entassent également sous les coups d'un serial killer arracheur de nez. Linder représente un changement de taille chez di Rollo puisque c'est le premier personnage féminin dont on adopte le point de vue au sein du récit.
Si Blandine de Number Nine accompagnait bien le narrateur, elle restait extérieur au lecteur. Ici, Linder nous livre son dégoût des hommes de façon directe, sans intermédiaire, ces êtres sales, violents, lubriques et impitoyables. La misogynie hante les pas de notre shooter qui devient elle-même la Mort aveugle, fauchant les « accessoires » (ou dommages collatéraux humains) lors de ses poursuites urbaines. L'amour prend ici la forme d'un amour maternel, celui d'une mère qui va tout sacrifier pour son petit Will avant que celui-ci ne lui soit brutalement et injustement enlevé par l'existence et par Dieu.
Linder, comme Dunkey, croisera la lie de l'humanité, dont un équipage de marins cannibales qui profite des migrants crasseux tentant pathétiquement de rallier l'Europe sur des embarcations dérisoires (et qui ne sont pas sans rappeler une actualité brûlante en Méditerranée). Mais surtout, Linder croisera des riches, à l'écart d'une société en plein pourrissement, et qui préfère l'orgie et le cannibalisme à la confrontation avec le réel.
Si La Lumière des Morts poursuit inlassablement la fresque au noir commencée par Thierry di Rollo d'une humanité condamnée et que l'on ne regrette guère, le roman accuse le défaut de ne pas en être un mais plutôt la juxtaposition de deux novellas rattachées in extremis par cette lumière bleue surnaturelle et par la connerie humaine. C'est aussi l'occasion pour le français de s'essayer au noir, au polar et à l'enquête hard-boiled. Cette seconde partie, plus solide et plus pertinente que la première, montre déjà que le français regarde ailleurs, vers d'autres horizons littéraires et d'autres genres.

Double-roman inégal et désespoir à tous les étages pour La Lumière des morts. Cette nouvelle virée en terre africaine et européenne pour Thierry di Rollo et son scalpel d'un genre humain en pleine putréfaction ne surprendra guère les fans de la première heure mais continue de creuser le sillon d'une science-fiction fascinante à la noirceur assumée et qui cherche par tous les moyens à révéler la folie imbitable d'une espèce humaine qui court inéluctablement à sa perte.
Lien : https://justaword.fr/la-lumi..
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