Après la publication de son premier recueil de nouvelles,
Cendres, paru chez ActuSF en 2007,
Thierry di Rollo quitte (momentanément) l'imaginaire. Il en profite pour faire un détour chez Denoël en signant un polar bien noir, comme il se doit pour cet auteur fasciné par la Tragédie Humaine. Court (moins de 200 pages) et puisant dans les obsessions classiques de di Rollo,
le Syndrome de l'éléphant explore le destin tragique d'un anti-héros lâche et paradoxalement, éminemment humain.
Un cadavre encombrant
L'affaire est vite entendue.
Launey et Jocelin, deux voleurs à la petite semaine, visitent une énième demeure isolée. Une proie facile, évidente.
Sauf qu'au cours de leur cambriolage, les choses tournent mal et voilà les deux comparses avec un cadavre sur les bras.
Avec ce premier accroc de taille dans leur collaboration jusque là fructueuse, Jocelin avoue à Launey que leur chance insolence n'était pas dû au hasard mais à un don singulier pour lire les autres, sorte de prescience congénitale à la fois bénédiction (pour le voleur) et malédiction (pour l'homme).
Les conséquences tragiques de cette bavure seront bien plus graves que l'inconvénient d'un corps à dissimuler et finiront par radicalement transfigurer la vie de Launey.
Divisé en trois parties,
le Syndrome de l'éléphant est un drôle de roman. Pour peu que l'on connaisse l'oeuvre de di Rollo, et nonobstant l'absence d'un univers science-fictif, on pourrait y voir une vraie suite au cycle de la Tragédie Humaine tant les rouages et les idées à l'oeuvre se ressemblent.
Un héros en perdition qui n'en finira pas de tomber, un regard sur l'amour filial qui fait désespérément défaut, une violence sèche et omniprésente et une idée de la Mort comme seule porte de sortie d'un univers cruel et écrasant.
Vous êtes bien dans un roman de Thierry di Rollo mais cette fois, quelque chose cloche.
Ce(ux) qui restent
Si le style est là, si l'atmosphère marque, c'est une sensation d'impasse qui ressort à la lecture du Syndrome de l'éléphant avec une dernière partie aux enjeux trop simples qui contrastent avec sa poésie macabre sur deux amants qui se sont manqués et autant de vies gâchées.
On ne peut s'empêcher de penser que le roman manque de fond, du background science-fictif qui faisait aussi le sel de l'univers de Thierry di Rollo et qui contribuait grandement à l'ambiance et à la profondeur des thématiques développées. En utilisant cette fois une banale intrigue de polar, dans un monde qui reste le nôtre malgré tout,
Thierry di Rollo trébuche.
Une sensation de trop peu, de trop plein aussi, comme un roman qui manque le coche. Une charnière qui grince.
C'est dommage car, au fond,
le Syndrome de l'éléphant n'est pas un mauvais roman, au contraire. Il reste dans le récit cette mélancolie désabusée d'un
Thierry di Rollo capable de capter la noirceur du monde tout en surlignant sa beauté sombre. C'est la justesse de ce personnage, Jocelin, qui se découvre un don similaire au héros de L'Oreille Interne mais qui découvre l'innommable, l'absence d'amour, l'absence d'affection, l'inutilité de son existence.
Et puis Launey, encore une réussite lui aussi, comme le dépositaire d'une malédiction qu'il ne comprend pas, condamné à passer à côté de tout, à commencer par l'amour.
Comme toujours, chez di Rollo l'amour tient une place prépondérante dans son intrigue, il évolue en négatif, d'autant plus présent qu'il est absent, d'autant plus émouvant qu'il est manqué.
Même si
le Syndrome de l'éléphant semble raté, il reste pourtant la preuve ultime que
Thierry di Rollo, au fond, est un grand romantique et un grand humaniste. Condamné à regarder les pantins humains s'ébattre au sein de ses histoires terribles pour mieux constater les fêlures de leurs âmes et en extirper les charbons ardents qui rougeoient encore.
Comme point d'entrée dans l'oeuvre de Thierry di Rollo, la lecture du Syndrome de l'éléphant peut se concevoir pour le lecteur de littérature blanche ou policière qui a peur de tenter le grand bain de la Tragédie Humaine. Pour les autres, le roman reste une friandise supplémentaire pour qui aime di Rollo mais on reste déçu à l'arrivée par son manque d'ampleur et son intrigue finalement trop ténue. Reste un récit de fantastique qui ne dit pas son nom et des personnages toujours désespérément beaux dans leur chute.
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