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Critique de JS_R


JS_R
06 septembre 2016
C'est un décor qui se met en place sans bruits, avec une sorte d'évidence : une France de 2022, que l'on n'a guère le temps d'apercevoir. C'est l'évidence même. Nous sommes dans le présent ; c'est à notre porte, comme 2022 le sera en 2022, sans aucun pouvoir évocateur. Une date que l'on peut recouper, avec précision, d'après les informations distillées dans le roman. Et en premier lieu en découvrant cette France grise ; grise comme quelque chose qui aurait à voir avec l'air du temps. Mais sans emphase, comme on le respire, une fois encore, au présent.

Ce qui occupe la France, c'est le bruit de fond que génère la perspective des prochaines élections présidentielles, et du résultat d'un second tour. On apprend que le pays a, en 2012, une nouvelle fois élu le Petit (ça ne s'invente pas) .... Puis qu'il a donné sa voix à un candidat socialisant, pour un autre quinquennat. Et c'est ce dernier, en lice pour sa propre succession, qui affronte le candidat Saulnier. Candidat du Parti Franc (ce qui ne s'invente pas non plus). Que tous les pronostics voient vainqueur.

(Uchronie ? Pas vraiment. Nous étions, à l'époque de cette parution, en 2011, et dans l'expectative de proches élections présidentielles, qui ont donné les résultats que l'on sait. En rien ceux-ci n'invalident la logique qui préside à la construction de ce récit, sinon son propos)

Mornau est un des chiens de garde du parti. Il a une longue histoire à raconter ; et c'est dans le bureau d'un inspecteur qu'il le fait. Je vous laisse découvrir ce qui l'y a mené...

Qu'est-ce qui nous intéresse le plus, dans Préparer l'enfer ? Est-ce l'enfance de Mornau ? Près d'une autoroute, dans une région désolée et surtout délaissée par les autorités ? le croisement d'un destin et d'une personnalité pour le moins particuliers, avec une forme d'engagement envers l'extrême, qui accueillera Mornau en son sein ? A moins qu'il ne s'agisse de cette réalité suspendue, sans heurts, qui voit s'élever un parti portant aux nues, dans ses rouages, la démagogie, la communication, et qui emprunte les chemins de traverse vers une nouvelle sorte de totalitarisme ? Un peu tout ça, tour à tour.

Ce sont des discussions, parfois un peu sclérosantes pour le roman et en même temps fascinantes par le dévoiement des signes, du langage et des concepts, qui nous enseignent ce qui porte le Parti Franc vers la gloire annoncée, et par quelles répliques, en interne, se fomente une pensée faite pour le "peuple". T. di Rollo semble prendre en tenaille le jeu médiatique, les impasses auxquelles sont confrontées, par manque de courage ou par immobilisme, certains de nos chers candidats à l'élection présidentielle. Il répond à mon sens à une question qui ressemble un peu à ça : que se passe-t-il, quand les journalistes sont pris au piège de leur propre jeu d'élucidation de ce marché truqué, dans la traque systématique des vérités, l'éclairage des pouvoirs, la surveillance des crédibilités, l'institutionnalisation, finalement, de leur fonction vers des sphères qui les tient toujours davantage liés à leurs chères proies politiques ? Quand le jeu faussé, l'impuissance de tous est mise en lumière, où s'achemine-t-on, avec toujours plus de lumière à faire ? Il se dévoile une scène où nous nous demandons, nous mêmes aujourd'hui, quelle place reste-t-il à prendre. Et s'il reste la moindre place, et bien, pour quel genre de formation politique ? Pour quoi reste-t-il de la place ?

C'est en tout cas une physionomie du changement que s'attèle à décrire T.Di Rollo, pour le pire, bien entendu. On retrouve, tant dans le déroulé de sa narration, dans le tristement ironique "Préparer l'Enfer", dans cette patience reptilienne qui caractérise la montée molle d'un extrêmisme politique, un épisode d'actualité lasse et désabusée, sur fonds de relents de bistrot, de vacarme d'autoroutes, de tueries mécaniques, et d'enfances faites pour chavirer. Mornau, Mornau le mort-né.

Il est parfaitement à l'aise, se ralliera d'un haussement de sourcils au Franc, comme pour couper court à une conversation de bar, et faire taire un voisin un peu trop bavard. Non, il ne lui en faut pas plus pour continuer, comme cette France, son chemin personnel vers l'enfer, qu'il connaît si bien.



Ce n'est pas un roman qui vous portera aux nues, et vers la joie de l'élucidation, comme certains polars prétendent le faire. Ce roman de la "Série Noire" ne revêt les oripeaux de la fiction qu'à contrecoeur ! Car Préparer l'Enfer, c'est un programme qui semble parfois, malheureusement, tenir plutôt bien la route.



Le seul bémol, c'est qu'en son temps, ce roman semblait né d'une certaine actualité, ceci dit sans considérations péjoratives. Confrontés comme nous le sommes à des temps plus sombres encore dernièrement, cette fiction paraît manquer, pour assombrir davantage son lecteur, de quelques éléments supplémentaires ...
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