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EAN : 9791027801480
352 pages
Le Castor Astral (01/03/2018)
4.08/5   6 notes
Résumé :
La Syrie est en train de disparaître en tant que pays. Mais la poésie n'est pas inscrite dans un temps et un lieu circonscrits, elle n'est pas de circonstance, elle dépasse les conjonctures, elle se réfère au temps et à l'espace humains. N'est-ce pas dans les œuvres des poètes syriens, qui ont pris la poésie comme un dialogue incessant entre soi et le monde, comme politique dont l'objet est l'amour, que se dessine le visage de la Syrie ? Cette anthologie est un pano... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Depuis ses débuts, le poète Saleh Diab a été préoccupé non seulement par l'écriture de la poésie mais aussi par la lecture critique de la poésie, les recherches dans la poétique arabe et son évolution dans la modernité, laquelle s'est divisée en plusieurs courants, expériences et sensibilités. Il a publié plusieurs recueils de poésie : Une lune sèche veille sur ma vie (1998), Un été grec (2006), Tu m'envoies un couteau, je t'envoie un poignard (2009), J'ai visité ma vie (2013) – Prix Thyde Monnier de la Société des Gens de Lettres. Il a aussi publié des traductions et des essais, notamment un essai sur la poésie écrite par des femmes poètes arabes, Récipient de douleur (2007). Il est titulaire d'un Doctorat dont le sujet est la poésie arabe contemporaine. Diacritik publie son grand entretien avec Hussein Bin Hamza, autour de l'anthologie de la poésie syrienne qu'il vient de faire paraître au Castor Astral.


Hussein Bin Hamza : Quelle est l'importance de publier une anthologie de la poésie syrienne aujourd'hui ?


Saleh Diab : Bien que le livre soit paru sous le titre de Poésie syrienne contemporaine, cette anthologie dépasse les limites territoriales du pays que l'on appelle « La Syrie » pour s'ouvrir au monde arabe dans son entier. Son horizon est par excellence arabe. Son importance réside dans le fait qu'elle comble un manque et ouvre une voie que le lecteur et le chercheur européen, français notamment, ne connaît pas. Cette voie mène à la poésie arabe moderne. Les poètes syriens ont creusé des formes d'écriture nouvelles et créé des styles, explorant des champs poétiques vierges dans la poétique arabe. S'il n'y avait pas eu Adonis, Mohammed al Maghout, Nizar Kabbani, la poésie arabe moderne aurait suivi un autre cours. Ils ont bouleversé le goût traditionnel du public, ils ont provoqué un séisme esthétique.

Selon moi, il n'existe pas ce que l'on pourrait appeler une « poésie syrienne » dotée d'une spécificité esthétique qui la distinguerait de la poésie écrite dans les pays voisins. Il n'y a pas diverses poétiques arabes. Il y a une seule poétique arabe, au sein de laquelle des poètes expriment des singularités poétiques. La poésie écrite en Syrie a toujours été associée à la poésie écrite au Liban, en Irak, en Égypte, etc. Elle est part d'un tableau qui est celui de la poésie arabe. La parution d'une anthologie de la poésie écrite en Syrie est un événement pour la poésie arabe. Ce n'est pas exclusivement une affaire syrienne mais elle peut montrer une autre image des Syriens, image qui révèle ce que les Syriens ont donné de plus beau au monde arabe et au monde entier.


Hussein Bin Hamza : Est-ce que tu considères que cette anthologie est une proposition esthétique, poétique, apportée à ce qui se passe en Syrie depuis 7 ans ? Était-ce ton objectif ?


Saleh Diab : Quand j'ai commencé à travailler à cette anthologie je n'avais aucun objectif politique à l'esprit. Mon travail sur cette anthologie remonte à une époque antérieure à la guerre. J'ai d'abord traduit, transposé des poèmes vers le français pour mesurer le degré de validité de leur poéticité dans la langue d'arrivée. Il m'est arrivé de traduire pendant 15 ans des poètes arabes vers le français et des poètes français vers l'arabe pour un festival de poésie en France.
Lors de ma soutenance de thèse sur la poésie arabe contemporaine, les membres du jury ont évoqué l'urgence de faire une anthologie de la poésie arabe contemporaine afin de combler le manque dans le champ éditorial français et m'ont demandé de m‘atteler à ce projet. C'est ce à quoi je m'emploie depuis des années. Comme toute anthologie, mon anthologie cherche à se concentrer sur une poétique précise, à s'arrêter sur elle pour la donner à voir et à entendre. Ce faisant, j'en écarte d'autres. Ma préoccupation a été de représenter les modèles les plus actifs dans le mouvement de la poésie écrite en Syrie depuis un siècle. Je n'ai pas seulement choisi les poètes ni des poèmes de chacun d'entre eux, au hasard, j'ai choisi les poèmes qui me parlaient et avec lesquels j'entretenais un lien d'amitié. J'ai choisi les poèmes- amis et j'ai collé sur le mur des chambres dans lesquelles j'ai habité ces poèmes qui se sont gravés dans ma mémoire. Mon souci a été de présenter au lecteur et au spécialiste français les modèles les plus avant-gardistes dans le laboratoire de la poésie syrienne. Mon choix s'est effectué après avoir lu les oeuvres complètes de chaque poète avec le plus grand soin, la plus extrême sensibilité et avec la délicatesse de celui qui compose un bouquet de fleurs et rentre au soir pour le poser sur la table. C'est précisément la définition du mot grec « anthologie ».

Devant le spectacle de l'homme qui redevient sauvage et l'effondrement des valeurs de la civilisation, l'inversion des rôles de bourreaux et victimes, de mercenaires et de martyrs, la propagation de la barbarie organisée, l'utilisation des pauvres comme fagots pour le bûcher, je voulais présenter l'esthétique poétique arabe à travers son modèle syrien avec ses caractéristiques humaines. Loin de la propagande politique et de ceux qui commercent avec le sang des pauvres, qui font émerger dans les médias, surtout en France, des écrits médiocres, faibles, la présentant comme la grande littérature syrienne, je voulais transmettre au lecteur français d'autres voix que celles des imposteurs mis en scène par des politiciens, des associations qui n'ont rien à voir avec la littérature, des groupes politiques, des éditeurs qui font de la publicité à la faveur des événements tragiques qui ont lieu en Syrie. Ces voix, occultées volontairement, je les célèbre, car ce sont les vraies voix de la poésie écrite en Syrie, et elles sont les voix des Syriens et leurs noms.


Hussein Bin Hamza : le lecteur français est-il concerné par le point de vue que tu développes ici, d'autant que le livre est paru dans une maison d'édition spécialisée dans la poésie et respectée ?


Saleh Diab : En effet, la traduction des poèmes n'est pas seulement adressée au lecteur qui ne connaît pas la langue mais aussi au lecteur spécialiste du domaine, lequel se transforme à son tour en traducteur au cours de sa lecture des oeuvres, car le livre est publié en édition bilingue. Que le livre soit publié dans une maison d'édition spécialiste de poésie qui diffuse dans les pays francophones, qui n'est pas lié à un parti politique ou à une association féministe, donne en effet au livre une bonne réputation et une authentique reconnaissance dans le milieu des lettres. L'anthologie n'est pas soumise aux impératifs du « politiquement correct ». Elle se situe en dehors de l'idéologie et de l'utilisation mercantile de la tragédie syrienne, en France.
Composant cette anthologie, je renvoie au lecteur français les poèmes dont les auteurs ont été influencés par les traductions de la poésie européenne. le lecteur français va recevoir ces textes étrangers qui commenceront une vie nouvelle dans sa langue, il va percevoir l'autre, l'étranger, en entrant dans le tréfonds de sa langue, à travers la poésie. Nous dénotons parfois, dans les poèmes, des formes, des modes ou des images issus du champ poétique occidental, mais le poète syrien les a absorbés et les a reproduits, les a fait entrer dans sa poétique et ils lui sont devenus propres. le fait de les renvoyer au lecteur français dans sa nouvelle forme nous montre l'opération de renversement des rôles de soi à autrui où autrui permet d'accéder à soi, et ceci est propre à la traduction. Celle-ci permet d'ouvrir des possibles du texte de la langue original qui n'étaient pas supposés au départ. de ce point de vue il y a enrichissement et dialogue entre deux cultures.


Hussein Bin Hamza : Comme dans toute anthologie il arrive que l'on retienne telles expériences poétiques ou tels parcours de poètes et que l'on en écarte d'autres. Que se passe-t-il dans ton anthologie ? Selon quels critères as-tu opéré tes choix ?


Saleh Diab : En effet, des critères esthétiques et artistiques ont précédé mes choix. Ces critères découlent de ma lecture personnelle, subjectivité que je revendique, et de ma conception de la poésie. Mon évaluation de la poésie ne s'est jamais faite à l'aune de l'idéologie. Certes, le livre est une anthologie mais il a sa composition et pour en avoir une compréhension profonde, il faut le lire entièrement. J'ai classé les poètes chronologiquement afin de structurer le corpus de ce livre dans l'objectif qu'il soit une référence pour les lecteurs et les chercheurs. Je me suis arrêté avec la plus grande attention sur la place poétique occupée par chaque poète. Comme toute anthologie, celle-ci propose un choix dans le cadre de limites. Ce n'est pas une encyclopédie à visée exhaustive, ce n'est pas non plus un dictionnaire, ce n'est pas un recensement des poètes. J'ai choisi les poètes pour lesquels la poésie est un enjeu existentiel, les poètes qui ont questionné la nature de la poésie et ses outils, la relation entre le poète, soi, son héritage poétique, la langue et le monde. Ces poètes ont assimilé ce qui avait été accompli avant eux mais aussi parallèlement à eux et l'ont transformé à des degrés divers en leur accomplissement propre. Ils ont accordé à l'expérience personnelle un statut central dans leurs poèmes. Leur langue est dépourvue de slogans directs, qu'ils relèvent de l'idéologie, de la sexualité, de la didactique, de tout ce qui en principe relève de la communication et non de la poésie. Ce sont des poètes qui ont consacré leur vie à leur pratique poétique. Ils ont considéré la poésie comme un acte de foi, comme une identité en mouvement qui s'ouvre sur l'avenir. Ils ont tenté de créer de nouvelles formes d'expression et une nouvelle langue dans la langue. Ils ne revendiquent pas le « statut » ni le « métier » de poètes. J'ai écarté les écrits descriptifs, purement factuels, chargés d'épithètes, de pathos, les banalités qui prétendent être de la poésie, qui se caractérisent par un langage relevant de la pure communication. La question du genre n'est pas entrée dans mes critères de choix. Car pour moi la poésie n'est pas une affaire sociologique et la question des quotas concernant le genre masculin ou féminin du poète n'y a pas sa place. Il n'existe qu'une seule mesure, celle de la poésie. La poésie arabe contemporaine est redevable dans ses formes, son esthétique, son climat, à de nombreuses traductions qui sont devenues parts du patrimoine poétique arabe. La vraie poésie est par nature universelle. Les poèmes que j'ai choisis rejoignent dans leur vision de l'humain et la structure de leur langue mes lectures de la poésie du monde. Il y a des poèmes qui reflètent des poèmes de Rilke, Ritsos, Nicolas Vaptzarov, Attila Jozef, Vasco Popa, Attilio Bertolucci, etc. J'ai traduit ce que j'aime. le traducteur est un passeur, mais pas seulement, il est aussi un créateur, de valeurs poétiques et culturelles de l'Ailleurs vers Ici. Pour accomplir cette oeuvre, il lui faut trouver quelque chose de suffisamment précieux et riche qui lui permette de faire entrer l'Autre dans la culture d'Ici, dans un mouvement d'aller-retour entre deux langues et deux cultures, ouvrant Ici à l'Ailleurs et inversement.
Je suis étonné que certains soient contrariés de mes choix parce que je n'ai pas mis leur ami(e), soeur, frère, etc. dans l'anthologie ou bien qu'ils m'aient demandé de supprimer certains poètes de l'anthologie parce qu'ils ne partagent pas les mêmes orientations politiques qu'eux, ou encore n'ont pas la même appartenance confessionnelle. Ces personnes, qui se réclament du monde des lettres, faisant fi de toute déontologie et dignité, me demandent de faire le choix à ma place ! Ils voudraient composer à ma place mon anthologie, mon bouquet de fleurs, que j'apporte en offrande à l'autel. Ce sont les poèmes qui m'ont appelé avec ce qu'ils portent comme valeur poétique pour que je les traduise.


Hussein Bin Hamza : On constate que tu n'as pas englobé toute la poésie de la génération des années 60. Pourquoi ?


Saleh Diab : Je n'ai pas composé l'anthologie selon l'ordre des générations. La poésie à mon sens est affranchie de la temporalité. Ce que l'on a appelé « la poésie des années 60 » se divise en trois catégories. La première est la catégorie des poètes qui puisent à la poétique d'Adonis pour la reproduire. Ces poètes-là n'ont pas posé de questions sur la poétique d'Adonis, se contentant de l'imiter, avec naïveté parfois.
La deuxième catégorie est constituée de poètes qui écrivent des poèmes selon une esthétique qui rejoint la poésie de la résistance en Palestine et au Sud du Liban. Rappelons que la poésie de la résistance est une reproduction de la poésie de Nizar Kabbani avec des messages politiques. Les poètes de la deuxième catégorie ont écrit des textes liés à l'histoire, à la sociologie, portant un message. Les deux catégories sont à mon avis conventionnelles, elles sont un ressassement de ce qui a déjà existé en poésie et ne cherchent pas à créer ni à inventer.
La troisième catégorie comprend les poètes qui ont montré une conscience poétique et qui ont réussi à inventer une écriture qui dépasse les deux premières catégories. Ils ont pris la poésie comme le prolongement de leur corps et de leur esprit. Ces poètes syriens ont vécu au Liban. Ce sont les poètes syriens dont l'expérience a mûri dans l'horizon de liberté de la ville de Beyrouth. Ils ont découvert des formes, inventé des styles d'écriture en s'ouvrant sur le monde. Même à présent, quand je lis leurs poèmes, je sens leur fidélité à la poésie qu'ils ont prise comme une sorte de processus créatif intérieur au sein duquel la vue se transforme en une vision. La poésie est liée à la vie intérieure en son tréfonds, ils ont reconstruit et recréé le monde. Cette catégorie a posé des questions fondamentales sur l'identité de la poésie et la relation du poète avec soi, la langue, l'héritage, le monde. Leurs poèmes, liées à la mort et à la vie, embrassent une vision cosmique. le poète, chez eux, est responsable non seulement de son poème mais du monde entier. Leur poésie me parle jusqu'à aujourd'hui.


Hussein Bin Hamza : Dans les années 90 tu t'es borné aux expériences poétiques révélées par le Forum Littéraire des Jeunes Écrivains de l'Université d'Alep ; tu n'as inclus aucune des jeunes voix du troisième millénaire commençant, pourquoi ?


Saleh Diab : Je ne regarde pas la poésie à travers le découpage générationnel. Les poèmes classiques de Badawi al Jabal me parlent plus que tout ce que tu appelles « voix du troisième millénaire ». L'anthologie n'est pas structurée selon les générations. Au cours des années 90, la ville d'Alep a été un chantier littéraire et un affluent de la littérature syrienne dans le roman et la poésie moderniste. A mon avis le Forum a été le dernier laboratoire littéraire syrien. Les poètes du Forum ont témoigné d'une conscience poétique aiguë, et bien qu'il n'y ait pas eu de grosse production poétique, leurs poèmes ont résisté à l'épreuve du temps. Ils ont questionné le poème de la revue « Poésie »/« Shi'r », le poème des années 70 qui s'appuie sur la parole quotidienne, ils ont puisé aux expériences esthétiques de quelques poètes libanais des années 70, s'ouvrant sur la poésie traduite. Ils se sont également nourris à l'héritage classique, interrogeant le statut du poète et la relation entre poétique, esthétique et politique. Leurs poèmes sont intemporels tout en étant inscrits dans le temps et l'expérience humains. Leur souci n'était pas la notoriété, le poète pouvait n'avoir écrit qu'un seul livre ou même un seul poème durant toute sa vie, mais son oeuvre devait être marquée par son empreinte esthétique personnelle.
Le problème des voix du troisième millénaire, comme tu les appelles, est celui de la lecture : ils n'ont pas bien lu la poésie arabe contemporaine dans son ensemble ni Khalil Joubran ni al – Rihani ni les poètes de la revue «Shi'r », ni les pionniers irakiens ni le groupe de Kirkuk ni les poètes libanais e
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Saleh Diab : « Ces voix sont les vraies voix de la poésie écrite en Syrie », par Hussein Bin Hamza

Depuis ses débuts, le poète Saleh Diab a été préoccupé non seulement par l'écriture de la poésie mais aussi par la lecture critique de la poésie, les recherches dans la poétique arabe et son évolution dans la modernité, laquelle s'est divisée en plusieurs courants, expériences et sensibilités. Il a publié plusieurs recueils de poésie : Une lune sèche veille sur ma vie (1998), Un été grec (2006), Tu m'envoies un couteau, je t'envoie un poignard (2009), J'ai visité ma vie (2013) – Prix Thyde Monnier de la Société des Gens de Lettres. Il a aussi publié des traductions et des essais, notamment un essai sur la poésie écrite par des femmes poètes arabes, Récipient de douleur (2007). Il est titulaire d'un Doctorat dont le sujet est la poésie arabe contemporaine. Diacritik publie son grand entretien avec Hussein Bin Hamza, autour de l'anthologie de la poésie syrienne qu'il vient de faire paraître au Castor Astral.

Hussein Bin Hamza : Quelle est l'importance de publier une anthologie de la poésie syrienne aujourd'hui ?

Saleh Diab : Bien que le livre soit paru sous le titre de Poésie syrienne contemporaine, cette anthologie dépasse les limites territoriales du pays que l'on appelle « La Syrie » pour s'ouvrir au monde arabe dans son entier. Son horizon est par excellence arabe. Son importance réside dans le fait qu'elle comble un manque et ouvre une voie que le lecteur et le chercheur européen, français notamment, ne connaît pas. Cette voie mène à la poésie arabe moderne. Les poètes syriens ont creusé des formes d'écriture nouvelles et créé des styles, explorant des champs poétiques vierges dans la poétique arabe. S'il n'y avait pas eu Adonis, Mohammed al Maghout, Nizar Kabbani, la poésie arabe moderne aurait suivi un autre cours. Ils ont bouleversé le goût traditionnel du public, ils ont provoqué un séisme esthétique.

Selon moi, il n'existe pas ce que l'on pourrait appeler une « poésie syrienne » dotée d'une spécificité esthétique qui la distinguerait de la poésie écrite dans les pays voisins. Il n'y a pas diverses poétiques arabes. Il y a une seule poétique arabe, au sein de laquelle des poètes expriment des singularités poétiques. La poésie écrite en Syrie a toujours été associée à la poésie écrite au Liban, en Irak, en Égypte, etc. Elle est part d'un tableau qui est celui de la poésie arabe. La parution d'une anthologie de la poésie écrite en Syrie est un événement pour la poésie arabe. Ce n'est pas exclusivement une affaire syrienne mais elle peut montrer une autre image des Syriens, image qui révèle ce que les Syriens ont donné de plus beau au monde arabe et au monde entier.

Hussein Bin Hamza : Est-ce que tu considères que cette anthologie est une proposition esthétique, poétique, apportée à ce qui se passe en Syrie depuis 7 ans ? Était-ce ton objectif ?

Saleh Diab : Quand j'ai commencé à travailler à cette anthologie je n'avais aucun objectif politique à l'esprit. Mon travail sur cette anthologie remonte à une époque antérieure à la guerre. J'ai d'abord traduit, transposé des poèmes vers le français pour mesurer le degré de validité de leur poéticité dans la langue d'arrivée. Il m'est arrivé de traduire pendant 15 ans des poètes arabes vers le français et des poètes français vers l'arabe pour un festival de poésie en France.

Lors de ma soutenance de thèse sur la poésie arabe contemporaine, les membres du jury ont évoqué l'urgence de faire une anthologie de la poésie arabe contemporaine afin de combler le manque dans le champ éditorial français et m'ont demandé de m‘atteler à ce projet. C'est ce à quoi je m'emploie depuis des années. Comme toute anthologie, mon anthologie cherche à se concentrer sur une poétique précise, à s'arrêter sur elle pour la donner à voir et à entendre. Ce faisant, j'en écarte d'autres. Ma préoccupation a été de représenter les modèles les plus actifs dans le mouvement de la poésie écrite en Syrie depuis un siècle. Je n'ai pas seulement choisi les poètes ni des poèmes de chacun d'entre eux, au hasard, j'ai choisi les poèmes qui me parlaient et avec lesquels j'entretenais un lien d'amitié. J'ai choisi les poèmes- amis et j'ai collé sur le mur des chambres dans lesquelles j'ai habité ces poèmes qui se sont gravés dans ma mémoire. Mon souci a été de présenter au lecteur et au spécialiste français les modèles les plus avant-gardistes dans le laboratoire de la poésie syrienne. Mon choix s'est effectué après avoir lu les oeuvres complètes de chaque poète avec le plus grand soin, la plus extrême sensibilité et avec la délicatesse de celui qui compose un bouquet de fleurs et rentre au soir pour le poser sur la table. C'est précisément la définition du mot grec « anthologie ».

Devant le spectacle de l'homme qui redevient sauvage et l'effondrement des valeurs de la civilisation, l'inversion des rôles de bourreaux et victimes, de mercenaires et de martyrs, la propagation de la barbarie organisée, l'utilisation des pauvres comme fagots pour le bûcher, je voulais présenter l'esthétique poétique arabe à travers son modèle syrien avec ses caractéristiques humaines. Loin de la propagande politique et de ceux qui commercent avec le sang des pauvres, qui font émerger dans les médias, surtout en France, des écrits médiocres, faibles, la présentant comme la grande littérature syrienne, je voulais transmettre au lecteur français d'autres voix que celles des imposteurs mis en scène par des politiciens, des associations qui n'ont rien à voir avec la littérature, des groupes politiques, des éditeurs qui font de la publicité à la faveur des événements tragiques qui ont lieu en Syrie. Ces voix, occultées volontairement, je les célèbre, car ce sont les vraies voix de la poésie écrite en Syrie, et elles sont les voix des Syriens et leurs noms.

Hussein Bin Hamza : le lecteur français est-il concerné par le point de vue que tu développes ici, d'autant que le livre est paru dans une maison d'édition spécialisée dans la poésie et respectée ?

Saleh Diab : En effet, la traduction des poèmes n'est pas seulement adressée au lecteur qui ne connaît pas la langue mais aussi au lecteur spécialiste du domaine, lequel se transforme à son tour en traducteur au cours de sa lecture des oeuvres, car le livre est publié en édition bilingue. Que le livre soit publié dans une maison d'édition spécialiste de poésie qui diffuse dans les pays francophones, qui n'est pas lié à un parti politique ou à une association féministe, donne en effet au livre une bonne réputation et une authentique reconnaissance dans le milieu des lettres. L'anthologie n'est pas soumise aux impératifs du « politiquement correct ». Elle se situe en dehors de l'idéologie et de l'utilisation mercantile de la tragédie syrienne, en France.

Composant cette anthologie, je renvoie au lecteur français les poèmes dont les auteurs ont été influencés par les traductions de la poésie européenne. le lecteur français va recevoir ces textes étrangers qui commenceront une vie nouvelle dans sa langue, il va percevoir l'autre, l'étranger, en entrant dans le tréfonds de sa langue, à travers la poésie. Nous dénotons parfois, dans les poèmes, des formes, des modes ou des images issus du champ poétique occidental, mais le poète syrien les a absorbés et les a reproduits, les a fait entrer dans sa poétique et ils lui sont devenus propres. le fait de les renvoyer au lecteur français dans sa nouvelle forme nous montre l'opération de renversement des rôles de soi à autrui où autrui permet d'accéder à soi, et ceci est propre à la traduction. Celle-ci permet d'ouvrir des possibles du texte de la langue original qui n'étaient pas supposés au départ. de ce point de vue il y a enrichissement et dialogue entre deux cultures.

Hussein Bin Hamza : Comme dans toute anthologie il arrive que l'on retienne telles expériences poétiques ou tels parcours de poètes et que l'on en écarte d'autres. Que se passe-t-il dans ton anthologie ? Selon quels critères as-tu opéré tes choix ?

Saleh Diab : En effet, des critères esthétiques et artistiques ont précédé mes choix. Ces critères découlent de ma lecture personnelle, subjectivité que je revendique, et de ma conception de la poésie. Mon évaluation de la poésie ne s'est jamais faite à l'aune de l'idéologie. Certes, le livre est une anthologie mais il a sa composition et pour en avoir une compréhension profonde, il faut le lire entièrement. J'ai classé les poètes chronologiquement afin de structurer le corpus de ce livre dans l'objectif qu'il soit une référence pour les lecteurs et les chercheurs. Je me suis arrêté avec la plus grande attention sur la place poétique occupée par chaque poète. Comme toute anthologie, celle-ci propose un choix dans le cadre de limites. Ce n'est pas une encyclopédie à visée exhaustive, ce n'est pas non plus un dictionnaire, ce n'est pas un recensement des poètes. J'ai choisi les poètes pour lesquels la poésie est un enjeu existentiel, les poètes qui ont questionné la nature de la poésie et ses outils, la relation entre le poète, soi, son héritage poétique, la langue et le monde. Ces poètes ont assimilé ce qui avait été accompli avant eux mais aussi parallèlement à eux et l'ont transformé à des degrés divers en leur accomplissement propre. Ils ont accordé à l'expérience personnelle un statut central dans leurs poèmes. Leur langue est dépourvue de slogans directs, qu'ils relèvent de l'idéologie, de la sexualité, de la didactique, de tout ce qui en principe relève de la communication et non de la poésie. Ce sont des poètes qui ont consacré leur vie à leur pratique poétique. Ils ont considéré la poésie comme un acte de foi, comme une identité en mouvement qui s'ouvre sur l'avenir. Ils ont tenté de créer de nouvelles formes d'expression et une nouvelle langue dans la langue. Ils ne revendiquent pas le « statut » ni le « métier » de poètes. J'ai écarté les écrits descriptifs, purement factuels, chargés d'épithètes, de pathos, les banalités qui prétendent être de la poésie, qui se caractérisent par un langage relevant de la pure communication. La question du genre n'est pas entrée dans mes critères de choix. Car pour moi la poésie n'est pas une affaire sociologique et la question des quotas concernant le genre masculin ou féminin du poète n'y a pas sa place. Il n'existe qu'une seule mesure, celle de la poésie. La poésie arabe contemporaine est redevable dans ses formes, son esthétique, son climat, à de nombreuses traductions qui sont devenues parts du patrimoine poétique arabe. La vraie poésie est par nature universelle. Les poèmes que j'ai choisis rejoignent dans leur vision de l'humain et la structure de leur langue mes lectures de la poésie du monde. Il y a des poèmes qui reflètent des poèmes de Rilke, Ritsos, Nicolas Vaptzarov, Attila Jozef, Vasco Popa, Attilio Bertolucci, etc. J'ai traduit ce que j'aime. le traducteur est un passeur, mais pas seulement, il est aussi un créateur, de valeurs poétiques et culturelles de l'Ailleurs vers Ici. Pour accomplir cette oeuvre, il lui faut trouver quelque chose de suffisamment précieux et riche qui lui permette de faire entrer l'Autre dans la culture d'Ici, dans un mouvement d'aller-retour entre deux langues et deux cultures, ouvrant Ici à l'Ailleurs et inversement.

Je suis étonné que certains soient contrariés de mes choix parce que je n'ai pas mis leur ami(e), soeur, frère, etc. dans l'anthologie ou bien qu'ils m'aient demandé de supprimer certains poètes de l'anthologie parce qu'ils ne partagent pas les mêmes orientations politiques qu'eux, ou encore n'ont pas la même appartenance confessionnelle. Ces personnes, qui se réclament du monde des lettres, faisant fi de toute déontologie et dignité, me demandent de faire le choix à ma place ! Ils voudraient composer à ma place mon anthologie, mon bouquet de fleurs, que j'apporte en offrande à l'autel. Ce sont les poèmes qui m'ont appelé avec ce qu'ils portent comme valeur poétique pour que je les traduise.

Hussein Bin Hamza : On constate que tu n'as pas englobé toute la poésie de la génération des années 60. Pourquoi ?

Saleh Diab : Je n'ai pas composé l'anthologie selon l'ordre des générations. La poésie à mon sens est affranchie de la temporalité. Ce que l'on a appelé « la poésie des années 60 » se divise en trois catégories. La première est la catégorie des poètes qui puisent à la poétique d'Adonis pour la reproduire. Ces poètes-là n'ont pas posé de questions sur la poétique d'Adonis, se contentant de l'imiter, avec naïveté parfois.

La deuxième catégorie est constituée de poètes qui écrivent des poèmes selon une esthétique qui rejoint la poésie de la résistance en Palestine et au Sud du Liban. Rappelons que la poésie de la résistance est une reproduction de la poésie de Nizar Kabbani avec des messages politiques. Les poètes de la deuxième catégorie ont écrit des textes liés à l'histoire, à la sociologie, portant un message. Les deux catégories sont à mon avis conventionnelles, elles sont un ressassement de ce qui a déjà existé en poésie et ne cherchent pas à créer ni à inventer.

La troisième catégorie comprend les poètes qui ont montré une conscience poétique et qui ont réussi à inventer une écriture qui dépasse les deux premières catégories. Ils ont pris la poésie comme le prolongement de leur corps et de leur esprit. Ces poètes syriens ont vécu au Liban. Ce sont les poètes syriens dont l'expérience a mûri dans l'horizon de liberté de la ville de Beyrouth. Ils ont découvert des formes, inventé des styles d'écriture en s'ouvrant sur le monde. Même à présent, quand je lis leurs poèmes, je sens leur fidélité à la poésie qu'ils ont prise comme une sorte de processus créatif intérieur au sein duquel la vue se transforme en une vision. La poésie est liée à la vie intérieure en son tréfonds, ils ont reconstruit et recréé le monde. Cette catégorie a posé des questions fondamentales sur l'identité de la poésie et la relation du poète avec soi, la langue, l'héritage, le monde. Leurs poèmes, liées à la mort et à la vie, embrassent une vision cosmique. le poète, chez eux, est responsable non seulement de son poème mais du monde entier. Leur poésie me parle jusqu'à aujourd'hui.

Hussein Bin Hamza : Dans les années 90 tu t'es borné aux expériences poétiques révélées par le Forum Littéraire des Jeunes Écrivains de l'Université d'Alep ; tu n'as inclus aucune des jeunes voix du troisième millénaire commençant, pourquoi ?

Saleh Diab : Je ne regarde pas la poésie à travers le découpage générationnel. Les poèmes classiques de Badawi al Jabal me parlent plus que tout ce que tu appelles « voix du troisième millénaire ». L'anthologie n'est pas structurée selon les générations. Au cours des années 90, la ville d'Alep a été un chantier littéraire et un affluent de la littérature syrienne dans le roman et la poésie moderniste. A mon avis le Forum a été le dernier laboratoire littéraire syrien. Les poètes du Forum ont témoigné d'une conscience poétique aiguë, et bien qu'il n'y ait pas eu de grosse production poétique, leurs poèmes ont résisté à l'épreuve du temps. Ils ont questionné le poème de la revue « Poésie »/« Shi'r », le poème des années 70 qui s'appuie sur la parole quotidienne, ils ont puisé aux expériences esthétiques de quelques poètes libanais des années 70, s'ouvrant sur la poésie traduite. Ils se sont également nourris à l'héritage classique, interrogeant le statut du poète et la relation entre poétique, esthétique et politique. Leurs poèmes sont intemporels tout en étant inscrits dans le temps et l'expérience humains. Leur souci n'était pas la notoriété, le poète pouvait n'avoir écrit qu'un seul livre ou même un seul poème durant toute sa vie, mais son oeuvre devait être marquée par son empreinte esthétique personnelle.

Le problème des voix du troisième millénaire, comme tu les appelles, est celui de la lecture : ils n'ont pas bien lu la Lien : https://diacritik.com/2018/0..
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Mazrim Ohrti

L'anthologie a ceci de particulier qu'elle tente de promouvoir un espace de réception on ne peut plus réduit illustrant ses critères préalablement définis sans jamais prétendre, on s'en doute, être exhaustive. Celle-ci concerne la poésie syrienne publiée en bilingue. Lorsque sonne le mot Syrie, résonne en fond son actualité au coeur d'un drame qui ne voit aucun aboutissement. Il est question ici de poésie, et seulement, cette anthologie n'ayant pas vocation à émouvoir les rotatives ni faire tourner les esprits plus que nécessaire. Ses poètes sont nés entre 1900 et 1967. Beaucoup sont donc encore vivants. Saleh Diab, poète syrien installé en France en 2000 en est l'auteur et s'y inscrit également comme dernier de la liste. L'introduction est une clé d'ouverture de toutes ces sensibilités à recontextualiser ; par rapport à ce que cherche à traduire la poésie syrienne, selon sa place occupée dans la poésie arabe, mais aussi au regard de l'histoire et de la situation géopolitique du pays, de son évolution confrontée à celle du monde. Toutes ces voix se regroupent sous une bannière culturelle, au-delà de l'état nation avec ses frontières, créé anciennement par l'administration colonialiste française. Cette production ne résume pas à elle seule l'âme syrienne, mais au moins éclaire-t-elle son empreinte sur la voie vers sa modernité. Ce qui semble clair est l'implication de la poésie d'un tel pays dans le champ du politique, comme un argument supplémentaire à la responsabilisation de l'oeuvre d'art et de son action. Poésie, instrument de révolte et de revendication d'une identité ; mais d'abord instrument de beauté, de ferveur et de sensualité aux travers de ses multiples courants. L'anthologie révèle une généalogie de la poésie du 20ème siècle.

Saleh Diab insiste sur ses choix, allant de la poésie soufi à l'avant-garde, en rappelant que la poésie arabe recouvre trois types de poèmes : « la poésie verticale » ou « classique », la « poésie libre » et le « poème en prose », sous entendu avec leurs nuances et leurs aspérités.
Plusieurs étapes sont à retenir dans cette évolution, avec des orientations dans la prosodie et la métrique selon les époques ; dans la mesure où il s'agit d'une anthologie chronologique. On retiendra Adonis (né en 1930), dans cette deuxième étape de la modernité, chez qui « La poésie est une forme de voyance… » ; poète célèbre dans le paysage de la poésie mondiale, par ailleurs théoricien et traducteur de grands poètes occidentaux du 19ème et du 20ème, ayant contribué à faire apprécier la poésie moderne dans une place occupée jusqu'alors par les textes classiques arabes. Comme toujours, il est impératif d'évoquer les précurseurs de cette modernité. Parmi eux, Khayr ad-Din al-'Asadi, (« mon ivresse s'est enivrée, ma voix s'est fanée et on est passé / au langage des signes »), Badawi al-Jabal, un des derniers poètes arabes classiques, chez qui les poèmes soufis rendent compte de sa poésie visionnaire « entre les sanglots des djinns et la rumeur / du sable », 'Urkhan Muyassar, avant-gardiste appartenant au cercle surréaliste d'Alep (« Dans le passé je n'avais pas de bêches / je creusais les tombes avec mes ongles »), Nizar Qabbani, proche d'une poésie orale, s'orientant vers des thématiques politiques (« je savais… / que je menais un coup d'état contre les coutumes de la tribu / que je sonnais les cloches du scandale »). le souffle mystique n'est pas incompatible avec le positionnement d'une écriture critique et dénonciatrice. Les « invités » de cette anthologie sont trop nombreux pour identifier chacun. Rappelons Kamal Khir Bik, proche d'Adonis, membre comme lui du Parti Social Nationaliste Syrien, poète assassiné, auteur d'un ouvrage de référence sur la poésie arabe contemporaine (« Je sais que je suis un joueur expérimenté (…) je suis tombé au seuil de la phrase »), Saniyah Salih, à la « poésie métaphysique, imprégnée de romantisme », Adil Mahmud, dont la « poétique est fondée sur la parole quotidienne » (« Mon oncle Yvan / le vendeur de roses / qui aime la piquette / et les belles femmes »). Beaucoup, sous une définition possible de l'avant-garde, « ont rejoint les poètes de la mouvance des années 70 qui ancrent leur poésie dans une esthétique du quotidien » : Mundhir Masri, Riyad as-Salih Husayn, mort très jeune, figure de mythe auprès d'un large lectorat, à l'écriture d'une grande simplicité et d'une grande tonalité émotionnelle… Il faut compter aussi avec ceux qui, parmi les plus jeunes, représentent la « troisième modernité », dont la poétique souvent dépend d'orientations idéologiques (évolution du monde oblige) ; les mêmes parfois, créateurs d'un courant appelé « poème de la parole » ; sans oublier ceux qui au contraire ont renoué avec un certain classicisme, quelle que soit la thématique reflétant leur problématique… Jusqu'à Saleh Diab donc, dernier poète de cette anthologie à qui l'on doit ce travail, auteur, entre autre, de deux essais sur la poésie écrite par les femmes dans le monde arabe, et plus récemment d'un magnifique livre de poésie bilingue intitulé « J'ai visité ma vie » paru aux éditions du Taillis pré, etc…

Inutile d'ajouter que la poésie syrienne comme toute autre fait partie de la communauté mondiale de la poésie, avec ses spécificités porteuses de valeurs universelles. Rappelons enfin que ce livre a fait l'objet de plusieurs lectures sur France Culture, en dépit de cette tromperie (pire qu'un « trompage » donc) ayant consisté à faire entrer (de force) une poétesse, d'origine syrienne certes, dans cette anthologie où elle ne figure pas ; puisque son nom, son visage sur la page facebook de la radio et une lecture de ses textes furent sensés illustrer celle-ci. Lecture par un comédien dont la réputation n'est plus à faire qui s'offre le luxe, tout de même, d'une sacrée parenthèse. C'est vrai, la poétesse en question, en plus d'être souriante et jolie, est (Jacques a dit) prolifique. Qui a dit racolage ? Comme si cette approche, déjà singulière, pouvait de surcroît légitimer n'importe quel écart. Allons, allons, dans un domaine aussi consacré et affranchi que la poésie ! On retiendra juste que cette anthologie manquait à notre bibliothèque, ne serait-ce que par la richesse et la diversité des oeuvres présentées, comme un espace que chacun pourra pénétrer à sa guise pour y découvrir un esprit, une pensée, une culture à la fois proche et lointaine ; et surtout en marge de l'actualité d'un pays suscitant bien des visions caricaturales et approximatives. Ceci, juste histoire de remettre les pendules à l'heure du temps.


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Poésie syrienne contemporaine
Mazrim Ohrti

L’anthologie a ceci de particulier qu’elle tente de promouvoir un espace de réception on ne peut plus réduit illustrant ses critères préalablement définis sans jamais prétendre, on s’en doute, être exhaustive. Celle-ci concerne la poésie syrienne publiée en bilingue. Lorsque sonne le mot Syrie, résonne en fond son actualité au cœur d’un drame qui ne voit aucun aboutissement. Il est question ici de poésie, et seulement, cette anthologie n’ayant pas vocation à émouvoir les rotatives ni faire tourner les esprits plus que nécessaire. Ses poètes sont nés entre 1900 et 1967. Beaucoup sont donc encore vivants. Saleh Diab, poète syrien installé en France en 2000 en est l’auteur et s’y inscrit également comme dernier de la liste. L’introduction est une clé d’ouverture de toutes ces sensibilités à recontextualiser ; par rapport à ce que cherche à traduire la poésie syrienne, selon sa place occupée dans la poésie arabe, mais aussi au regard de l’histoire et de la situation géopolitique du pays, de son évolution confrontée à celle du monde. Toutes ces voix se regroupent sous une bannière culturelle, au-delà de l’état nation avec ses frontières, créé anciennement par l’administration colonialiste française. Cette production ne résume pas à elle seule l’âme syrienne, mais au moins éclaire-t-elle son empreinte sur la voie vers sa modernité. Ce qui semble clair est l’implication de la poésie d’un tel pays dans le champ du politique, comme un argument supplémentaire à la responsabilisation de l’œuvre d’art et de son action. Poésie, instrument de révolte et de revendication d’une identité ; mais d’abord instrument de beauté, de ferveur et de sensualité aux travers de ses multiples courants. L’anthologie révèle une généalogie de la poésie du 20ème siècle.

Saleh Diab insiste sur ses choix, allant de la poésie soufi à l’avant-garde, en rappelant que la poésie arabe recouvre trois types de poèmes : « la poésie verticale » ou « classique », la « poésie libre » et le « poème en prose », sous entendu avec leurs nuances et leurs aspérités.
Plusieurs étapes sont à retenir dans cette évolution, avec des orientations dans la prosodie et la métrique selon les époques ; dans la mesure où il s’agit d’une anthologie chronologique. On retiendra Adonis (né en 1930), dans cette deuxième étape de la modernité, chez qui « La poésie est une forme de voyance… » ; poète célèbre dans le paysage de la poésie mondiale, par ailleurs théoricien et traducteur de grands poètes occidentaux du 19ème et du 20ème, ayant contribué à faire apprécier la poésie moderne dans une place occupée jusqu’alors par les textes classiques arabes. Comme toujours, il est impératif d’évoquer les précurseurs de cette modernité. Parmi eux, Khayr ad-Din al-’Asadi, (« mon ivresse s’est enivrée, ma voix s’est fanée et on est passé / au langage des signes »), Badawi al-Jabal, un des derniers poètes arabes classiques, chez qui les poèmes soufis rendent compte de sa poésie visionnaire « entre les sanglots des djinns et la rumeur / du sable », ’Urkhan Muyassar, avant-gardiste appartenant au cercle surréaliste d’Alep (« Dans le passé je n’avais pas de bêches / je creusais les tombes avec mes ongles »), Nizar Qabbani, proche d’une poésie orale, s’orientant vers des thématiques politiques (« je savais… / que je menais un coup d’état contre les coutumes de la tribu / que je sonnais les cloches du scandale »). Le souffle mystique n’est pas incompatible avec le positionnement d’une écriture critique et dénonciatrice. Les « invités » de cette anthologie sont trop nombreux pour identifier chacun. Rappelons Kamal Khir Bik, proche d’Adonis, membre comme lui du Parti Social Nationaliste Syrien, poète assassiné, auteur d’un ouvrage de référence sur la poésie arabe contemporaine (« Je sais que je suis un joueur expérimenté (…) je suis tombé au seuil de la phrase »), Saniyah Salih, à la « poésie métaphysique, imprégnée de romantisme », Adil Mahmud, dont la « poétique est fondée sur la parole quotidienne » (« Mon oncle Yvan / le vendeur de roses / qui aime la piquette / et les belles femmes »). Beaucoup, sous une définition possible de l’avant-garde, « ont rejoint les poètes de la mouvance des années 70 qui ancrent leur poésie dans une esthétique du quotidien » : Mundhir Masri, Riyad as-Salih Husayn, mort très jeune, figure de mythe auprès d’un large lectorat, à l’écriture d’une grande simplicité et d’une grande tonalité émotionnelle… Il faut compter aussi avec ceux qui, parmi les plus jeunes, représentent la « troisième modernité », dont la poétique souvent dépend d’orientations idéologiques (évolution du monde oblige) ; les mêmes parfois, créateurs d’un courant appelé « poème de la parole » ; sans oublier ceux qui au contraire ont renoué avec un certain classicisme, quelle que soit la thématique reflétant leur problématique… Jusqu’à Saleh Diab donc, dernier poète de cette anthologie à qui l’on doit ce travail, auteur, entre autre, de deux essais sur la poésie écrite par les femmes dans le monde arabe, et plus récemment d’un magnifique livre de poésie bilingue intitulé « J’ai visité ma vie » paru aux éditions du Taillis pré, etc…

Inutile d’ajouter que la poésie syrienne comme toute autre fait partie de la communauté mondiale de la poésie, avec ses spécificités porteuses de valeurs universelles. Rappelons enfin que ce livre a fait l’objet de plusieurs lectures sur France Culture, en dépit de cette tromperie (pire qu’un « trompage » donc) ayant consisté à faire entrer (de force) une poétesse, d’origine syrienne certes, dans cette anthologie où elle ne figure pas ; puisque son nom, son visage sur la page facebook de la radio et une lecture de ses textes furent sensés illustrer celle-ci. Lecture par un comédien dont la réputation n’est plus à faire qui s’offre le luxe, tout de même, d’une sacrée parenthèse. C’est vrai, la poétesse en question, en plus d’être souriante et jolie, est (Jacques a dit) prolifique. Qui a dit racolage ? Comme si cette approche, déjà singulière, pouvait de surcroît légitimer n’importe quel écart. Allons, allons, dans un domaine aussi consacré et affranchi que la poésie ! On retiendra juste que cette anthologie manquait à notre bibliothèque, ne serait-ce que par la richesse et la diversité des œuvres présentées, comme un espace que chacun pourra pénétrer à sa guise pour y découvrir un esprit, une pensée, une culture à la fois proche et lointaine ; et surtout en marge de l’actualité d’un pays suscitant bien des visions caricaturales et approximatives. Ceci, juste histoire de remettre les pendules à l’heure du temps.





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Il est des livres qui brusquement nous éclairent : on ne se doutait pas, avant leur surgissement, à quel point nous étions démunis et ignorants de tout un pan de ce qui requiert cependant toute notre attention. Poésie syrienne contemporaine, anthologie bilingue élaborée par le poète Saleh Diab et proposée au Castor Astral, est de ceux-là. Grâce à lui, nous voilà tout d'un coup plus riches.

Il y a certes un apparent paradoxe à s'interroger aujourd'hui sur les poètes d'un pays en train de disparaître en tant que pays. A l'instar d'André Frénaud, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la question alors posée : Où est mon pays ? - et la réponse : C'est dans le poème… pourraient l'une et l'autre être légitimement reprises. Dans le même esprit, la présentation de Salah Diab s'ouvre par une question à la fois plus simple et plus désarmante : Qu'est-ce qu'un poète syrien ?, tant la notion de Syrie est devenue difficile à cerner : l'identité syrienne fabriquée par les Français ne s'est jamais inscrite dans l'imaginaire de la population de la Syrie des années 1947 - 2012, et la tragédie que chaque jour vit actuellement ce pays rend son identité encore plus incertaine.
Dès lors, où est la poésie d'un pays que la plupart des poètes ont fui, dispersés qu'ils sont hors des frontières ? On ne la reconnaîtra pas à la langue puisque ces poètes écrivent en langue arabe, commune à bien d'autres, étant entendu que la poésie écrite dans les langues kurdes et arméniennes (pas assez moderne ? pas assez syrienne ?), aussi bien dans le dialecte syrien, n'entre pas dans le cadre de cette anthologie-là où en définitive seront pris en considération les poètes nés d'un père et d'une mère nés ou ayant vécu sur le territoire de la Syrie de l'Indépendance (1947 – 2012) et d'expression arabe.
Ce qu'illustre à l'évidence la succession de pièces poétiques présentées dans un ordre chronologique bien venu, de Khayr Ad-din Al-'Asadi à Saleh Diab lui-même (ce qui malgré tout pose question, comme à chaque fois qu'un anthologiste inclut son oeuvre propre dans l'anthologie qu'il propose. Et pourquoi à cette dernière place : par modestie ou comme ultime étape de l'évolution racontée ?), c'est la lente libération du modèle classique et de ses contraintes, et l'évolution d'un art vers sa modernité, ce, à travers deux étapes, celle de l'apparition de la poésie libre, puis celle du poème en prose, termes qui recouvrent des notions différentes en français et en arabe, à bon escient nous avertit l'auteur.
Et il est vrai que le lecteur français retrouve en fin de volume, chez les auteurs les plus jeunes, des poèmes qui par la forme et l'inspiration se rapprochent de ce qui lui est donné à lire d'ordinaire, qui témoigne du monde tel que chacun le perçoit au quotidien. Ainsi des poèmes de Luqman Dayraki, de Riyad As-Salih Husayn (qui a le tort, par rapport aux contraintes de cette chronique, d'écrire de longs poèmes, mais le titre de ses recueils témoignent à lui seul du poète qu'il est : Effondrement de la circulation sanguine, ou Simple comme l'eau, clair comme une balle de revolver), de Nûri al Al-Jarrâh :

Dans un train

La sirène s'est déclenchée
annonce la fin des jours et des nuits
puis le contrôleur est apparu au bout de l'allée
avec ses bottes et son fusil
il a parcouru tous les compartiments
puis on a entendu le fracas des balles
les curieux
qui nous ont devancés ont vu du sang
qui coulait
sous les portes
et brillait
dans la lumière pâle
(Londres – automne 1987)

et finalement Saleh Diab :

Broderie

Nous avons un pays
nous y avons laissé nos amis
se recueillir autour des chagrins
songer à la neige
pour blanchir les hauteurs de leur solitude
que faire
sous un ciel étranger
à part écouter l'oubli
broder nos années
comme la dentelle
pâtir de nos regrets
à l'air libre
tarir
en lisant des livres
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Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
Le prisonnier
  
  
  
  
Pour que mon âme ne vieillisse pas
de solitude, d’obscurité, de manque d’affection
je dessine sur le mur de ma cellule
une rose
que le geôlier hume... et il pleure
je dessine des visages de femmes souriantes
des arbres que le vent secoue le soir
je dessine un oiseau
je déplie le ciel pour ses ailes
je dessine un cœur transpercé d’une flèche
et j’écris le mot « amour... »
je dessine un papillon chargé de lumière
de pollen de fleur
et du bruissement de cils des anges,
des étoiles bleues qui brillent dans les rêves des morts,
une lune timide qui embellit la peur de ceux qui fuient dans la nuit,
je dessine des sentiers qui grimpent la montagne,
des marches blanches
aidant les anges dans leur ascension au péché
puis j’y rajoute les chèvres
les bergers
et les amoureux qui – de leurs chansons –
pavent la voix du ciel,
je dessine des violettes des gazelles et des cyclamens
je dessine un grand taureau vert
qui guide les oiseaux vers mes poèmes
et je n’oublie pas


je n’oublie pas enfin
d’inscrire une porte large et maniable
par où les amoureux se faufilent
pour me consoler
à
minuit
chaque
nuit

                              1991


// Nazih’Abu Afash (1946 -)

/ Traduit de l’arabe par Saleh Diab
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Mots



Il me fait entendre
quand il danse avec moi…
des mots…
qui ne ressemblent pas à des mots
il me saisit
par le bras
me plante
dans l’un des nuages
et dans mes yeux
tombe la pluie noire
averse …
averse

il m’emporte avec lui…
il m’emporte
vers un soir de balcons roses
et moi comme une enfant dans ses mains
comme une plume… portée par la brise
il apporte pour moi…
sept lunes dans ses mains
et un bouquet de chansons
il m’offre un soleil.
Il m’offre…
un été…
un troupeau d’hirondelles…

il m’informe…
que je suis sa merveille
que je vaux…
des milliers d’étoiles
que je suis un trésor…
et que je suis…
le tableau le plus beau qu’il ait jamais vu
il raconte…
des choses qui me font tourner la tête
me font oublier le tintamarre de la musique
me font oublier…
la piste…
et les pas
des mots
qui retournent sens dessus-dessous mon histoire…
qui me font femme en quelques instants
une autre femme…
en quelques instants…

Il me fait entendre quand il danse avec moi…
des mots…
qui ne ressemblent pas à des mots
il me laisse…
perdue pendant des heures…
il me laisse
m’amuser avec un fil
un fil dont les nœuds sont serrés
un fil fait de cauris
un fil fait de mots
il me laisse
au milieu du drame…

je ressasse…
je ressasse…
les mots
avec moi rien…
que…
les mots


// Nizar Qabbani

/ Traduction de l’Arabe par Saleh Diab
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NAZIH'ABU AFASH
"Un nuage... pas plus" (2016)

Je vous en prie,
détournez vos visages - dans l'autre direction !
Ou au moins baissez un peu les yeux
et prétendez que vous ne regardiez pas de mon côté !
Absolument pas, par Dieu je ne vous hais pas
et votre présence à mes côtés ne me pèse pas,
seulement (alors que les cérémonies funèbres continuent)
je sens que j'ai besoin d'être seul
afin de pleurer à mon aise
sans être envahi de honte
devant vos cœurs valeureux et vos yeux compatissants
... et je vous en prie absolvez-moi,
ce n'est qu'un nuage de larmes, pas plus !
Un nuage...Il va passer.
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Le puits abandonné
extrait 2
  
  
  
  
« Et s’il m’était donné de déployer mon front
sur le mât de la lumière
s’il m’était donné de rester en vie,
voyons, Ulysse reviendrait-il ?
Et le fils désobéissant, et l’agneau ?
Et le pécheur frappé de cécité reviendrait-il
afin de voir le chemin ?

Quand l’ennemi a braqué le canon de la mort
et que les soldats se sont précipités sous une averse
de balle et de mort,
on leur a crié : « Reculez, reculez.
Dans le refuge derrière, c’est un abri
face aux balles et à la mort ! »
Mais ’Ibrahim a continué de marcher
en avant, de marcher,
et sa poitrine étroite remplissait l’horizon.
« Reculez, reculez.
Dans le refuge derrière, c’est un abri
face aux balles et à la mort ! »
Mais ’Ibrahim a continué de marcher
comme s’il n’entendait pas l’écho.

Et on disait c’est de la folie
sans doute est-ce de la folie.
Mais j’ai connu ’Ibrahim, mon cher voisin, il y a longtemps.,
dans l’enfance.
Je l’ai connu pareil à un puits dont l’eau débordait
tous les gens
passaient, nul n’y buvait, n’y jetait
pas même une pierre.

                              Beyrouth, 3 mars 1957


// Yousouf Al-Khal (1917- 1990)

/ Traduit de l’arabe par Saleh Diab
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Tristesse au clair de lune



Ô printemps qui vient de ses yeux,
Ô canari voyageur au clair de lune,
mène-moi à elle,
en poème d’amour ou en coup de poignard
je suis dans l’errance et blessé,
j’aime la pluie et le gémir des vagues lointaines,
je me réveille d’un profond sommeil
pour penser aux jambes désirables d’une femme que
                                   j’ai vues un jour,
pour m’adonner au vin et composer des poèmes,
dis à Leïla ma bien-aimée
à la bouche d’ivresse et aux pieds soyeux
que je suis malade et en manque d’elle
j’entrevois des traces de pieds sur mon cœur.


// Muhammad al-Maghut

/ Traduction de l’Arabe par Saleh Diab
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