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Citations sur Ce qui manque à un clochard (37)

J'écris aujourd'hui mes Mémoires en considérant que je rassemble une multitude d’éclats de verre brisé. Le projet de ces pages est de réunir des morceaux épars, à la recherche d'un miracle.

Il n'y a rien de plus difficile à reconstituer qu'un miroir. Les éclats ne veulent plus former la belle unité de l’origine.
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Il fallait se rendre à l'évidence et, pour une fois, considérer honnêtement les choses concrètes. La vie que j’avais menée était éreintante. A échelle d'homme, elle était sauvage, barbare, guerrière. Depuis que j'ai quitté la maison de mes parents, je n'ai jamais eu de lit, de draps ou de couvertures. Dans ma cabine, je dors assis sur les vieux sièges cabossés. Quand j'étais à Bourges, dans le quartier Avaricum, je me reposais sur des planches, à même le sol. Je n'ai jamais eu d’assiettes, de couverts ou de plats pour cuire mes aliments. Je n'ai jamais eu de chauffage non plus. Je n’ai jamais eu d'eau courante, je n'ai jamais eu d’électricité, je n'ai jamais eu de toilettes. Le feu d'une cheminée, le bois d'un poêle sont des bonheurs que je connais peu.

On me répondra qu'on ne peut pas vivre dans pareilles conditions. J'ai traversé le siècle comme un gueux, un va-nu-pieds. Alors mon vieux corps n'en peut plus. Il est usé par les repas froids, les longs jours de jeune, les bouteilles de lait qui tiennent lieu de viande, de légume et de sucre. Mon carême perpétuel m'amène sur les rivages du Styx.
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J'avais la malchance d'être tendre. Mais la société est dure ; elle n'accepte pas les personnes qui font trop de sentiments. Je l’ai compris dès l'adolescence. Je pleurais pour un rien. A Saint-Florent déjà, j’ai passé des journées entières enfermé sans rien pouvoir faire d'autre que dessiner en pleurant.

J'étais trop émotif. Mon cerveau partait vite vers des contrées terribles. La mort d'un chat était un traumatisme dont je ne me remettais jamais. On pourra m'objecter le ridicule de ces peines enfantines. Les gens installés évoquaient bêtement une sensibilité de peintre.

Ces insensés ne se rendaient pas compte que je pleurais sur leurs propres malheurs. Les enfants qui se moquaient d'un camarade plus fragile qu’eux, une vieille dame qui peinait pour porter son linge au lavoir les matins d'hiver, une jeune fille éconduite par son fiancé me plongeaient dans l'abîme.
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Evidemment, je n’ai jamais pu constituer une bibliothèque. Dans mes masures j'étais empêché. Depuis que j’ai la chance de vivre dans une cabine de camion, j'ai fini par rassembler des livres à l'intérieur d'une grosse caisse en fer. Je devais faire des choix car il m'était impossible de tout conserver. Dans l'armoire mystérieuse, Nikolaï Gogol, Fiodor Dostoïevski, Alexandre Pouchkine, Ivan Tourgueniev, Léon Tolstoï, Anton Tchekhov ont une place essentielle. La littérature du XIXe siècle représente le sommet de ce que les écrivains peuvent nous donner. Je possédais aussi les œuvres complètes de Baudelaire, qui a été mon poète de prédilection. Je gardais six grammaires qui m'ont permis d'apprendre le russe, l'allemand, le suédois, et le polonais, sans jamais demander l'aide d'un professeur.
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Un ami m’a demandé l'autre jour ce qui manquait à un clochard. Je lui ai répondu sans l'ombre d'une hésitation, le regard droit, la voix claire : le temps de vivre parmi les hommes.
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Boisdé [Maire de Bourges ] et sa clique hautaine méprisaient les petites gens. J'étais partisan de la dérision. Face aux chicanes de ceux qui possédaient tous les pouvoirs, il faut opposer l'ironie mordante, le pastiche moqueur, la comédie drolatique. L'arme suprême pour faire tomber les coffres-forts capitonnés, c'est la pirouette des clowns. (p. 114)
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Tout au long des années, j'ai changé ma façon de dessiner. Avant la guerre, j'utilisais la couleur. Ce qui ne m'empêchait pas de rendre mes paysages mélancoliques. Puis, dès le début des années cinquante, j'ai utilisé l'encre de Chine. Cette période fut ma préférée ; mes dessins à la plume et à l'encre noire correspondaient exactement à ce que je ressentais.

Vers 1963, j’ai cherché sans grande conviction une manière plus douce, impressionniste, d'aborder mes sujets. Mais mon cœur était tourné vers l'encre de Chine. Je garde aussi une tendresse pour mes croquis abstraits et symbolistes. Il n'en reste pas moins que mon âme n'est pas dans ces lignes nues, dures, ou ces motifs secs.
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J'étais certain que mes dessins en noir et blanc passeraient à la postérité. Mais un sentiment d'inachèvement me taraudait. Je m'étais dispersé. Dessin, photographie, cartographie, travail de mode, poésie: j'aurais dû choisir. L'autre jour, j'ai lu que Jean Cocteau avait connu le même drame. Romancier, poète, peintre, dramaturge, cinéaste, dessinateur, céramiste, tapissier, lithographe, l'académicien s'est perdu dans les bras de trop de muses. Les gens ne sont pas capables de comprendre une création polymorphe. Ils ont peur. Ils crient au monstre. Le créateur est un homme malheureux par nature, par naissance, par déraison. Il ne sert à rien d'ajouter une couche de désespoir par une vie désordonnée. j'ai griffonné des mots de Jean Cocteau dans -Opium- sur un coin du calendrier des Postes de l'année 1975: "la sagesse est d'être fou lorsque les circonstances en valent la peine" .

En art, il faut suivre une seule route. Je continue de choisir l'inverse. (p. 250)
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J'aimais marcher sous la pluie car je m'imaginais alors que plus personne ne pourrait voir ma peine.
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J'ai parlé abondamment de Guite. Mais je veux encore dire le voile de tristesse qui s'est abattu sur ma vie après le départ en prison de notre mère, la tristesse qui débordait, m'empêchait de dormir. L'injustice à son endroit me révoltait et me brisait. Elle fut si malheureuse avec mon père. La seule réponse de la société était l'enfermement. Je n'ai jamais su répondre à cette sommation bestiale. Je n'ai su que pleurer. (p. 193)
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