Section Alejandra Pizarnik
QU'IMPORTE
Extrait 2
comment mourir quand
on n'est pas sûr d'avoir existé ?
que l'on sait si peu de son nom ?
qu'on est que présumé ?
qu'on est de nulle part ?
d'une colline d'une plaine
du lointain de l'horizon flou
de la menthe du temps ?
il y a tous les siècles
à regarder venir
avec leur part de ciel
avec des nuits glaciales
des nuits chargées de solitude
avec des temps défigurés
des jours taillés en pointe de silex
et des rêves de déchirure
dans les rideaux qui battent aux fenêtres
…
Section Claude Cahun
ARBRE AVEC OISEAU
l'arbre tourne
son ombre vers nous
tilleul ou acacia
quand s'affutent nos soifs
sa main levée
sépare les nuages
pour ouvrir un berceau à la pluie
lui sait
couvrir nos corps de feuilles
leur tremblante clarté de vitrail
et déposer une prière
dans les plis de notre sommeil
avec l'oiseau
merle ou mésange
perpétuant les gestes de l'amour
ils peuvent rire de la mort
qui se prend au sérieux
ce pouls inerte
qu'une lame d'agonie balaye
entre la tombée de la nuit
et l'incertain lever du jour
mais c'est sans importance
rien ne persiste dans nos voix
qu'un vent jauni cherche à trancher
que les rêveries du matin
enlacées à quelque parfum
où se retrempe la lumière
qui danse entre nos doigts
Section Claude Cahun
LE CHÂTAIGNIER DÉRACINÉ
versant ouest
ce qui vers le maquis bascule
gît cet arbre sabré
par la foudre
tête en avant jeté
dans le torrent des pierres
soulevant dans sa ruine
des éclats d'incendie
ses racines
dressées vers le ciel
sculptées dans le silence
lui sont un immobile poing levé
qui renverse l'ordre d'un monde
réglé sur la balance du soleil
dessus dessous se sont perdus
dans le chaos de la rocaille
invitant le regard égaré
qu'une lumière noire aveugle
à une désobéissance radicale
née de sa première stupeur
instant de nuit profonde
coulée de lave dans les yeux
où le temps suspendu
par une seule image
doit revenir dans le regard
qui doit apprendre à recouvrer
le temps de sa propagation
Section Walter Benjamin
FEU DE JOIE
il n'y a que l'errance
qui soit son début et sa fin
sur ce peu de terre habitable
où la mort est toujours plus vaste
les sables du désert plus proches
plus nombreux ces vents de folie
de poussière et de sel
qui défient le soleil
cette bouche d'enfer
il n'y a d'horizon
pour les yeux faméliques
dans le jour aveuglant et torride
que ces mirages secourables
au sang usé des illusions
et la vieille et vaine souffrance
de l'humaine calamité
alors aller
marcher en claudiquant
dans la conjonction suffocante
des astres et le noir de fumée
– sur le bûcher des certitudes
nous n'avons plus au cœur
qu'un sombre feu de joie
et une boussole brisée
Section Alejandra Pizarnik
À L'ORÉE DU SILENCE
source qui cherche son chemin
regard lucide cœur égaré
creusant dans son errance
le lit d'un songe aventureux
source qui cherche son secret
au bord du soleil et des lèvres
à travers l'âpreté des déserts
et l'outre-moi du noir
immense
à l'orée du silence
et du vide à travers
son pays d'arbres morts
dans un murmure de poussière
où la lumière prendrait corps
pareille à un éclat de rire
aveuglant le regard
et dissipant la soif
clarté
comme un éclair de nuit
qui éclaire soudain par mégarde
ce qui nous échappait