Dans ce premier volume des oeuvres complètes de
Mohammed Dib consacré à toute sa poésie, il est difficile de mettre en lumière tel ou tel recueil qui résumerait à lui seul toute sa sensibilité poétique. Chez l'écrivain algérien les thèmes et les styles abondent. Discrète, simple, comme détachée de toute contingence, il y a dans la poésie de
Mohammed Dib une ardeur toute entière ancrée dans le soleil et la mer de sa terre d'origine, dans le désert tout proche, dans l'enfance éblouie par la vie qui l'entoure. Poésie pudique, sensuelle, elle parle de ce qu'offre la lumière du jour et de tout ce que murmurent les secrets de la nuit.
De "
Formulaires", de "L'Aube Ismaël" jusqu'à "O vive", ce qui touche dans l'écriture de
Mohammed Dib, c'est ce mouvement léger, sensible, presque étrange, qui s'opère à sa lecture, un même mouvement de décomposition et de recomposition lente du poème qui faire naître de nouvelles images, de nouvelles impressions chez le lecteur. Qu'elle soit en vers libres ou en prose, la poésie de
Mohammed Dib est souvent présentée comme assez hermétique, aride. Durant sa lecture, elle apparaît pourtant comme une évidence, comme quelque chose qui touche instantanément la sensibilité, fait remonter de lointains souvenirs. Tout est saisie du monde, du temps, porté par un regard intérieur, un regard attentif qui a fait l'expérience du silence, de la nuit et de l'exil pour mieux revenir à une authenticité, à une vérité profonde des êtres et des choses.
“ le coeur inlassable * -
Soulever ton silence
gagner sur ton épaule
la fleur qui brûle sa chance
cette défection de tendresse
cette solitude d'orchidée
et le fardeau penché du visage
la durée qui s'y entrepose
et que n'offusque aucun voile ni
le bord du vent endormi sur ta bouche
sous la poussée d'une furieuse aurore
le pouvoir d'une absence prolifique
s'arrogeant ton nom et le mien
et t'entourer de cette persuasion
de cette dure lampe qui creuse
une rumeur de vent
dans une graduelle chaleur
polie par le désespoir ”
Dénuée de tout lyrisme, de tout sentimentalisme trompeur, la poésie de
Mohammed Dib ouvre des fenêtres sur le monde, nous convie, en creusant toutes les nuances et les paradoxes, à une méditation particulière, à une douce errance sur les rives de l'âme et du corps, de tout ce qui donne sens à la vie.
“ La lumière pour signe ** -
berges au matin
ivres d'effacement
la courbe en vous
se fait don qui
meurt à mesure
et même enfance
pour avoir éclairé
le visage au-delà
monte
jusqu'à l'irruption
de la candeur ”
L'immuable comme l'éphémère, la lumière comme la nuit, la présence comme l'absence, le passé comme le présent, donnent toute leur beauté à une parole rare, celle d'une poésie qui laisse au coeur une trace, une saveur particulière.
(*) extrait de “
Formulaires”, 1970
(**) extrait de “O Vive”, 1987.