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sur 2714 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La première fois que j'ai lu ce roman, je l'ai trouvé correct, sans plus.

Je crois que c'était la première fois que je lisais du Philip K. Dick. Je savais que c'était l'une de ses oeuvres les plus connues et qu'il s'agissait d'un classique de l'uchronie. le pitch est devenu éculé : et si l'Axe avait gagné la Seconde guerre mondiale? Ainsi, dans une ville de San Francisco sous domination japonaise, on suit les destins de plusieurs personnages à peine reliés les un.es aux autres.

J'avais aimé l'ambiance mélancolique, le focus sur la partie japonaise de l'Axe, les petits détails amusants ou grinçants dans la vie de chaque personnage, le miroir inversé entre occupation japonaise et Amérique dominée. Par contre, j'avais été frustrée par l'absence de liens entre les personnages et j'avais trouvé que l'intrigue n'avait ni queue ni tête et ne menait nulle part. D'où un sentiment mitigé...

La deuxième fois que j'ai lu ce roman, je l'ai trouvé bon.

J'avais lu quelques autres classiques de Dick entretemps, notamment Ubik et Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? Et je commençais à comprendre ce qu'il cherchait à faire. Ses personnages ne sont pas des héros, mais des gens ordinaires, voire un peu losers, qui vivent une vie ordinaire dans un monde ordinaire (à leurs yeux - quoique... j'y reviendrai). Une approche que, jusqu'alors, je n'avais vue qu'en littérature blanche, alors qu'en imaginaire, j'étais plutôt habituée à un.e héros/héroïne qui sauve le monde.

Étonnamment, je me rappelais bien les personnages, alors qu'iels ne m'avaient pas semblé si remarquables - Childan l'antiquaire colonisé/collabo, Tagomi l'homme d'affaires japonais, le couple séparé Frank/Juliana partagé entre tendresse et rancoeur l'un.e pour l'autre... Parfois, les gens ordinaires vous touchent plus que les héros.

La troisième fois que j'ai lu ce roman, je l'ai vraiment aimé.

J'ai lu d'autres oeuvres plus mineures de Dick et mon interprétation précédente est bancale pour cette raison : les personnages ne trouvent pas leur univers "normal". Au contraire, son côté factice leur saute aux yeux. L'interrogation sur la nature de la réalité revient obsessionnellement chez Dick. Tous les détails qui font le sel de ses univers montrent également à quel point ils sont faits de toc. Même les personnages doutent de leur propre réalité. Sont-ils vraiment censés me toucher? Est-ce que je me foire complètement?

Puis j'ai vu la série télé, que j'ai trouvé bonne quoiqu'inégale par moments. Juliana, en particulier, m'a fait tiquer : son côté "Élue sauveuse du monde" est très anti-dickien et mille fois moins intéressant que le personnage paumé du roman. Bizarrement, les personnages les plus réussis sont des inventions de la série (John Smith et l'inspecteur Kido). Finalement, une adaptation de Dick passe mieux quand elle n'est pas littérale. Ça m'a toutefois donné envie de relire le bouquin...

La quatrième ou cinquième fois que j'ai lu ce roman, je l'ai trouvé excellent. Mais bon, je suis une mordue de Philip K. Dick. Je ne recommande pas forcément de faire la même chose que moi.
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Paru en 1962, « Le Maître du Haut Château » marque un tournant dans la trajectoire du prolifique Philip K. Dick. le succès du roman ainsi que l'obtention du prix Hugo donneront un nouvel élan à la carrière de l'un des plus grands écrivains américains du vingtième siècle.

« Le Maître du Haut Château » n'est pas à proprement parler un livre de Science-Fiction. Philip K. Dick y délaisse les tropes habituels du genre, et nous propose un roman de facture plus classique, qui est en réalité une uchronie, se déroulant dans les années soixante, dans un monde où l'Allemagne nazie et son allié japonais ont gagné la seconde guerre mondiale.

Franklin Roosevelt n'a pas survécu à la tentative d'assassinat de Guiseppe Zangara en 1933, laissant la place à un président républicain isolationniste, qui ne prépare pas son pays à la guerre qui gronde. Les armées allemandes ont vaincu leurs homologues soviétiques à Stalingrad. Bref, la seconde guerre mondiale s'achève en 1948 par la capitulation des Alliés. L'Amérique est divisée en trois zones : l'ouest, où se déroule l'essentiel de l'intrigue, est placée sous domination japonaise ; le centre est « neutre », tandis que l'est du pays est placé sous domination allemande.

Le roman ne comporte ni héros, ni narrateur prédominant, et multiplie les protagonistes et les points de vue. D'un chapitre à l'autre, l'intrigue est ainsi appréhendée au travers du regard de Robert Childan, un marchand d'art américain, de M. Tagomi, un homme d'affaire japonais, de Franck Frink, un ouvrier américain qui dissimule sa judéité, de Juliana, sa femme qui l'a quitté et de Baynes, un officier de l'Abwher qui se rend à San Francisco pour une mission de la plus haute importance.

Les différents protagonistes, que K. Dick utilise comme autant de focales sur un récit qui entremêle avec maestria les intrigues, voient leurs destinées se croiser dans un monde dont la plongée au coeur des ténèbres est orchestrée par les hauts dignitaires nazis.

Dans l'ouest des Etats-Unis, où les Japonais exercent une forme de domination « douce », un oracle taoïste millénaire, le Yi King ou Livre des Mutations a été adopté par une partie de la population autochtone. Les personnages du roman, qu'ils soient Américains comme Robert Childan et Robert Frink ou Japonais comme M. Tagomi consultent régulièrement l'oracle qui leur fournit des réponses énigmatiques sous forme d'hexagrammes. Tenaillés par une forme d'angoisse qui confine à la paranoïa, les personnages dickiens, tentent ainsi, avec un succès incertain, d'appréhender un futur qui ne laisse pas d'inquiéter.

Le Yi King joue une rôle majeur dans le développement de l'intrigue et apporte via l'ambiguïté toute orientale de ses réponses une touche d'humour bienvenue à ce livre très sombre. Et pourtant, c'est un autre livre, échangé sous le manteau et dont le succès ne cesse de croître, qui dissimule en son sein le véritable noeud gordien du roman : « Le Poids de la Sauterelle ». Il s'agit d'un roman écrit par un certain Hawthorne Abendsen, dont la rumeur prétend qu'il s'est réfugié dans un château, et qui raconte un monde où les Alliés auraient gagné la guerre en 1945. Ce roman dont le titre provient d'une citation de l'Ecclésiaste (« Et les sauterelles deviendront un fardeau »), ne décrit toutefois pas « notre monde » tel qu'il est dans les années soixante, mais un autre monde alternatif, où les relations entre les vainqueurs étasuniens et anglais se font de plus en plus tendues. « Le Maître du Haut Château » ne serait pas tout à fait un ouvrage de K. Dick s'il ne dissimulait pas une uchronie dans une autre ...

L'hypothèse retenue pour la construction de ce premier franc succès de l'auteur, à savoir la victoire de l'Axe en 1948 et la mise en place d'une domination germano-nippone du monde, lui confère une forme de noirceur étouffante. En arrière-plan de l'intrigue protéiforme du roman, le lecteur découvre avec effarement un monde qui évoque un musée des horreurs où la Méditerranée a été asséchée, et où les forces du Mal ont perpétré un nouveau génocide, en Afrique cette fois. Rongé par la folie, Hitler a cédé le pouvoir à Martin Bormann qui vient de mourir et dont la succession est l'un des enjeux de l'intrigue. Dans ce cauchemar éveillé qu'est le monde imaginé par K. Dick, les toujours fringants Goebbels, Göring et Heydrich se disputent dans une lutte fratricide qui fait froid dans le dos le pouvoir vacant, tout en continuant de concevoir les futures abominations destinées à asseoir définitivement la suprématie de la race aryenne sur l'univers. Cette immersion (très documentée) dans l'imaginaire nazi, aussi oppressante que percutante, évoque « Fatherland » de Robert Harris et me semble constituer l'une des clés du succès du roman.

Par effet de contraste, la domination nippone sur la côte ouest paraît aussi douce que civilisée. Au travers du regard des « indigènes », on comprend cependant à quel point, les Américains, à l'instar de Robert Childan, souffrent en silence de cet assujettissement et se moquent, au fond, de l'intérêt maniaque que portent les Japonais pour les objets authentiques tel qu'un colt 44 de 1860, une forme d'entichement un peu ridicule qui va mal au teint des supposés vainqueurs. M. Tagomi nous permet a contrario d'appréhender le regard que porte l'occupant sur des sujets qu'il juge souvent mal dégrossis, voire vulgaires, et à coup sûr par trop éloignés des canons de la sagesse orientale. Comme toujours, les apparences sont trompeuses et si la cohabitation entre l'occupant et l'occupé semble sereine, les esprits bouillonnent. En nous proposant tour à tour les pensées qui traversent ses protagonistes, l'auteur diagnostique avec finesse le malaise existentiel qui sous-tend la domination japonaise sur l'ouest américain.

Dans « Le Maître du Haut Château », Philip K. Dick épure son roman des oripeaux de la Science-Fiction, multiplie les arcs narratifs, nous glace le sang en nous rappelant toute l'horreur du nazisme, nous initie aux charmes délicats de la sagesse orientale, et nous plonge dans une forme de vertige métaphysique en intégrant un roman dans son roman, une uchronie dans son uchronie, nous forçant à nous interroger sur ce qui est advenu, sur ce qui aurait pu advenir, et sur ce qui est « à venir », en nous rappelant le sens profond de ce mot magnifique : avenir.
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Il m'est difficile de dire si j'ai aimé ce livre, j'aurais l'impression de ne pas lui rendre justice. J'ai conservé de l'intérêt tout au long de ma lecture, j'ai eu envie de connaître le fin mot de cet univers uchronique où Allemagne nazie et Japon impérial sont devenus les maîtres du monde, mais se mangent le nez. Certains personnages ne sont qu'eux-mêmes ou moins qu'eux-mêmes, d'autres ont des identités différentes sous des couvertures variées.

Le roman se déroule en suivant le point de vue de ces différents personnages, qui ont tous des accointances présentes ou passées, des raisons de se rencontrer, pour une issue heureuse ou malheureuse, existante ou non-existante. Ils se partagent entre Américains, soumis à l'Occupation, qui cherchent malgré tout à réaliser leur potentiel, à panser leurs blessures, à s'en sortir, à trouver des appuis ; entre Japonais, puisque ceux-ci occupent la côte Ouest, la Californie (la plus grande partie de l'intrigue se déroule à San Francisco), alliés des Nazis mais menacés par ces derniers, d'autant plus après la mort de Bormann, le chancelier allemand ; enfin, entre les Allemands eux-mêmes, implantés en Amérique ou en visite plus ou moins officielle, qui heureusement se dispersent en rivalités stériles.

Certains croient en leur destin, en un destin commun et meilleur pour leur patrie, d'autres sont cyniques, brutaux, et se contentent d'exécuter les ordres... Et puis, il y a cet Abendsen, auteur du très remarqué et populaire Poids de la Sauterelle, étrange roman qui décrit, dans un monde parallèle à celui-ci, la victoire des Anglais et des Américains, ainsi que la lutte entre ces derniers pour se partager le monde. le Poids de la Sauterelle est interdit, mais autant dire qu'il circule, et éveille chez ses lecteurs interrogations, incompréhension, espoir.

Le "liant" de ces aventures dispersées est un certain désespoir qui règne chez les hommes - que j'ai aimé ce Tagomi, qui n'est pas un rigolo, mais qu'on n'attend pas non plus dans un certain rôle héroïque, humanisé pourtant par ses doutes et la fragilité de sa foi politique, compensé par son sens du devoir ! Tagomi, comme Frank Fink, comme Juliana, a pour habitude de consulter l'Oracle, le Yi King, étonnante méthode de lecture des situations, vieille de deux mille ans, qui peut tout déceler et qui a ce pouvoir de faire ouvrir les yeux, de faire lever la pâte des questionnements. N'est-elle pas la Voix du Tao, oeuvre philosophique s'il en est ?

Aurais-je dû consulter le Yi King pour lui demander quel était le sens de tout cela ? Pourquoi les personnages étaient-ils toujours légèrement en décalage ? En quoi les gestes des uns, leurs décisions, ont-ils une incidence sur le destin des autres ? Pourquoi la vie nous fait-elle parfois nous sentir vides et sans but ? Pourquoi faudrait-il se poser des questions lorsqu'on tente de lire un bon livre ? Mais est-ce si désagréable ? Dois-je nécessairement avoir les réponses dès la première lecture ? Dois-je tout comprendre, alors que la vie-même est parfois si mystérieuse et incompréhensible, sous le prétexte que je lis une fiction, dans ce monde qui est le mien ?

Je n'ai qu'une réponse, pourtant évidente : je relirai ce livre, parce qu'il m'a beaucoup apporté, je reviendrai sur les traces de ma lecture de l'uchronie dans l'uchronie, sur les pas de ces personnages qui essaient de faire des choix, de vivre leur vie, avec l'espoir ténu de les comprendre encore mieux, et la satisfaction déjà présente de savoir qu'au fond ce n'est pas si important. Ce livre est un coup de coeur.
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Euh ...Ouh là, c'est compliqué...Je ne sais pas si j'ai tout compris et je ne voudrais pas dire de bêtises.
Agathe s'empara de ce qui se trouvait à sa portée : des crayons de couleurs. Elle demanda : "Oracle, que dois-je penser du Maître du Haut Château, car c'est obscur". Puis elle renversa la boîte par terre. le premier était le 45, un K'a plein de wu. Presque wabi. Bon signe. Elle feuilleta son Yi King jusqu'à la page 45.
"Quand le poète produit l'harmonie malgré le chaos,
N'essaie pas de comprendre et laisse-toi porter", lut-elle.
"Alors c'est que c'est bien", pensa-t-elle. "Le chaos, c'est l'uchronie, la victoire du mal, des Nazis, et l'harmonie, c'est la réussite d'un projet abouti, celui du poète. Il est vrai que cet univers cauchemardesque parfois à peine esquissé -comme les massacres en Afrique ou la situation en Europe, centré sur des personnages secondaires à San Fransisco, est parfaitement harmonieux et permet au lecteur de le considérer dans une ligne de fuite infinie. On peut y croire.
Le deuxième chiffre était un trois. le F'o. L'erreur. Agathe ouvrit le livre à la page trois.
"Celui qui voit double ne voit pas clair,
Celui qui voit double voit moins clair que celui qui voit triple", lui révéla l'oracle.
"Voilà ce qui m'a gênée", se dit-elle. "Tous leurs commentaires sur le double, l'effet miroir. Mais non, c'est triple qu'il faut voir. Trois zones aux Etats-Unis, l'une allemande, l'une japonaise, l'une neutre. Trois livres, le Yi King, le Poids de la Sauterelle, le Maître du Haut Château. Et trois mondes : le nôtre, celui du Maître du Haut Château, et celui du Poids de la Sauterelle. Et une troisième guerre mondiale qui est inéluctable. Pour rétablir le wu et le wabi. L'harmonie. le triangle de M. Tagomi. C'est très clair, merci, Oracle."
Et le dernier chiffre était le 11, le Wag. "Oh non, "pensa-t-elle, "alors je n'ai vraiment pas compris." Car c'était un trait négatif, un signe d'aveuglement. La page 11 le confirma :
"Le diamant a tant de facettes qui brillent au soleil
Que si tu crois les voir toutes c'est que tu ne vois rien."
"Bon", se dit-elle, "j'ai déjà vu le triangle et le chaos. Il y a aussi le mal, les Nazis ...Mais pourquoi tous ces objets, ces bijoux, ces Japonais obsédés par les reliques américaines, cette sagesse orientale de la part des alliés du chaos ? J'accepte ma superficialité et pour le reste, j'y penserai demain. Bonne nuit, Oracle."


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Les Allemands et les Japonais ont gagné la Seconde Guerre mondiale. La solution finale a été étendue au « problème africain », décimant ce continent. La Méditerranée a été asséchée, embouteillée, transformée en terres arables grâce à l'énergie atomique.
(...)
L'intérêt réflexif des uchronies n'est plus à démontrer. La puissance narrative de Philipp K.Dick laisse loin derrière tous les modèles du genre.

Article complet sur le blog :
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C'est mon premier contact avec cet auteur mythique de la science-fiction.
Un roman que j'ai trouvé fascinant, très original et profond.

Ici, pas de futur lointain, pas d'extra-terrestres, ni de héros dotés de super-pouvoirs, pas de voyages intergalactiques. On y verra seulement que les allemands ont développé des fusées qui leur permettent des voyages interplanétaires, vers la Lune ou Mars, mais cela n'influence en rien une intrigue bien terrestre.

L'histoire prend la forme d'une uchronie se déroulant au début des années 1960, époque où le roman a été écrit. le monde est dominé par les allemands et les japonais, qui ont gagné la seconde guerre mondiale. L'action se déroule principalement à San Francisco, dans un Ouest des États-Unis sous domination japonaise, alors que l'Est des USA est sous les griffes des allemands.

L'intrigue, que je ne détaillerais pas, se déroule lentement, sur fond de luttes de pouvoir dans l'Allemagne nazie, et d'une menace nucléaire de l'Allemagne à l'égard du Japon.
On pourrait dire qu'il ne s'y passe pas grand chose, d'ailleurs j'ai vu que c'est une critique qui revient souvent parmi les lecteurs. Pour ma part, amateur de Duras, Proust ou Woolf, j'aime au contraire cette progression lente, un peu méditative du récit, où, je trouve, l'essentiel n'est pas ce qui se passe, mais la dimension métaphorique voire métaphysique de ce qui est raconté.
On y suit les vies parallèles de différents personnages, et les méandres de leurs pensées à la recherche de réponses pour leurs orientations futures en interrogeant le Yi King, ou "Livre des Transformations" un livre écrit il y a près de 3000 ans, tandis que s'annonce progressivement dans le roman l'existence d'un livre "le Poids de la Sauterelle" qui raconte une autre issue à la seconde guerre mondiale, gagnée en 1945 par les Alliés, jusqu'à une fin bien énigmatique.

L'action se déroule dans une partie du monde plutôt paisible, où la domination japonaise se fait en respectant la culture locale, où une grande part est donnée à la spiritualité et au questionnement existentiel, alors que l'autre partie du monde sous domination nazie est faite de brutalité, de cruauté, de génocide par exemple des populations du continent africain. Bref, une sorte de monde du mal opposé à un monde du bien. Cette question du bien et du mal sera d'ailleurs souvent présente dans les dilemmes auxquels seront confrontés les acteurs du récit. Au passage, je me suis interrogé sur l'analogie avec la situation des deux blocs de la guerre froide. La domination japonaise décrite dans le livre semble plus tolérante que l'impérialisme américain de la même époque dans certaines parties du monde, alors que sur la brutalité du monde nazi est bien plus extrême que celle du monde soviétique.

En fait, le mystère et la profondeur du livre proviennent de ce que, au delà de l'histoire qui nous est contée, on sent que tout cela nous parle d'autre chose. du questionnement sur la vérité, la réalité.

Deux thèmes du livre y participent. D'une part, cette question de démêler le vrai du faux se trouve soulevée par le commerce d'objets artistiques. L'un des protagonistes, Childan, spécialisé dans la vente d'antiquités américaines authentiques pour des clients japonais se trouve confronté à la découverte de nombreux faux. Dans le même temps, les objets originaux créés par deux artisans Frink et Mac Cathy sont perçus successivement par deux clients comme possédant une force particulière, du Wu comme le dit Paul, le premier client. Quant à l'autre client, Mr Tagomi, la contemplation d'un de ces objets l'amènera dans un autre monde, le nôtre.
Étonnante scène qui, pour moi, évoque le rôle de l'objet d'art, de l'art en général, capable de nous mener à une autre façon d'appréhender le monde, des mondes, dirons nous, et m'a fait étrangement penser à cette phrase de Klee: "L'art ne reproduit pas le visible, l'art rend visible".

Cette façon d'appréhender le monde autrement se trouve illustrée de manière passionnante et énigmatique au travers du livre "Le poids de la sauterelle", et du pouvoir qu'il semble prendre sur la population. Une femme et lectrice, Juliana Frink, mènera une quête pour retrouver l'auteur Abendsen, "le Maître du Haut Château ". A la fin du roman, après bien des péripéties, rencontrant l'auteur dans sa retraite, elle fait, après avoir interrogé le Yi King, la découverte insensée que "Le poids de la sauterelle" dit la vérité, que les Alliés ont bien gagné la guerre en 1945, même si le monde qui est décrit n'est pas le nôtre réellement, puisque dominé par le Royaume-Uni et un Churchill dictateur.
L'auteur lui-même ne voudra pas admettre cette "vérité", et cette révélation le mettra en colère ainsi que son épouse. La fin du livre décrit la joie de Juliana, arrivée à la fin de sa quête, lectrice "mouvante, éclatante, vivante" d'avoir appris la " vérité".

Je trouve que cette fin est un magnifique hommage au pouvoir de la fiction. En effet, quel vertige jubilatoire pour le lecteur, de découvrir, comme les personnages du roman, que, malgré les dénégations de l'auteur, la vérité est dans le livre. Et cette mise en abîme nous suggère que "Le Maître du Haut Château" est aussi une "histoire vraie", finalement bien plus subtile que celle de De Vigan.

En conclusion, un roman bien plus complexe que ce à quoi je m'attendais. Je comprends pourquoi il fut couronné par le prix Hugo en 1963, et qu'il eut tant de succès.
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Je voulais lire ce livre juste derrière celui de Philip Roth "Le complot contre l'Amérique" et puis …. j'ai oublié (un an déjà)..
Le thème est un peu le même : une uchronie autour des États-Unis et de la seconde guerre mondiale. Dans celui de Philip Roth, le point de divergence se situe en 1941 Roosevelt n'a pas été réélu et c'est un gouvernement antisémite qui est à la tête du pays. Dans celui ci, le point de départ est que Roosevelt est mort dans un attentat en 1933 (attentat qui a bien eu lieu mais où c'est le maire de Chicago qui est mort et pas Roosevelt qui était à ses côtés)

Le parallèle des deux histoires s'arrête là : dans « le maître du haut château » l'action se passe en 1968 : La seconde guerre mondiale a été gagnée par les allemands, les japonais et les italiens en 1948 (« Roosevelt étant mort, les USA ne se sont pas réarmés assez vite et n'ont pas fait le poids face à L'Axe » est la thèse de P.K Dick)

L'histoire est ici passionnante : quelle imagination !! les États-Unis ont été divisés en deux : une partie à l'ouest est occupée par les japonais et une partie à l'est est occupée par les allemands. Une mince bande entre les deux occupants est resté « libre » : le Colorado et quelques autres états.

Je n'en dirais pas plus sur l'histoire (des espions, des fausses antiquités, une jeune femme qui n'a pas froid au yeux, un bijoutier juif qui tente de survivre dans les ex-USA, un mystérieux écrivain…et le Tao)

Ce que j'ai beaucoup aimé dans ce livre est le fait qu'un des personnages écrive une uchronie qui imagine le monde si les USA avaient gagné la guerre (une uchronie dans l'uchronie donc avec une version proche de celle que l'on connaît mais pas tout à fait)

Une réussite pour ma part : passionnant de bout en bout avec un écrivain qui m'avait déjà bluffé avec Ubik.
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Les Nazis et les Japonais ont gagné la Seconde Guerre mondiale.
Début des années 60 : l’Ouest américain est occupé par les Japonais, tandis que l’Est est aux mains des Allemands. Le centre du pays reste délaissé. Pourtant on commence à parler d’un livre écrit par un auteur reclus, qui décrit un monde où les Alliés auraient vaincu et où l’Empire Britannique est plus fort que jamais, domine la Russie, et peut-être envisage une guerre contre les États-Unis… Une Uchronie dans l’uchronie, un roman profondément subversif pour les Allemands et les Japonais.

Nous ne sommes pas dans une ambiance étouffante ou totalitaire. Au contraire, l’auteur a installé son histoire dans son temps (l’Amérique du début des années 60), et je m’imaginais bien dans un film de cette époque se passant sur la côte Ouest des USA. Malgré quelques éléments typiquement SF (les Allemands se sont consacrés à fond à la conquête spatiale après leur victoire et s’apprêtent à aller sur Mars, les entreprises allemandes prospèrent et fabriquent des fusées qui remplacent nos avions), l’ambiance est extrêmement réaliste grâce à des personnages pétris de faiblesses et des gestes du quotidien qui émaillent le récit. À tel point qu’on peut y croire…

Le plus intéressant dans ce roman n’est sans doute pas le scénario lui-même, mais la vision de Philip K Dick sur l’être humain.

Plusieurs personnages clés s’en remettent à un vieux livre chinois, le Yi King : ils lancent des baguettes, et selon le résultat ils lisent des hexagrammes du Yi King, qui prédit l’avenir et les forces en présence. Ils sont devenus incapables de prendre une décision sans ce jeu de hasard… Au contraire, ils sont convaincus que ce livre trace leur destin. Étrange sensation que de suivre des hommes parfois haut placés ne sachant plus analyser rationnellement une situation, et se sentant dépassés par les événements. Comme si le destin était écrit.

Nous observons aussi plusieurs personnages — pas forcément les mêmes — qui sont continuellement en représentation, et qui ont peur de mal agir ou de se faire mal voir de leurs interlocuteurs. C’est le cas des Japonais, mais aussi d’Américains travaillant pour des Japonais et ayant intégré cette culture typiquement asiatique qui consiste à ne pas faire de vague… Cependant, ce thème est aussi exploré avec des ouvriers américains tentant de se faire une place dans la société en développant une nouvelle activité, et ne sachant comment se comporter face à des acheteurs potentiels.

De façon générale, la description des cultures asiatiques et allemandes est un brin caricaturale, mais certaines choses sont bien vues : dans ce monde, les Japonais sont à première vue très respectueux des Américains et de leur art passé, mais chacun doit rester à sa place dans la société et ces derniers ne sont que des larbins. L’antisémitisme est culturel et a déteint sur les Américains occupés, les Nazis ont génocidé l’Afrique sans que cela n’émeuve grand monde. Quand on y pense, tout ceci paraît très crédible, et parfois pas si éloigné de notre réalité.

D’autres réflexions sont menées sur l’art, l’histoire, la culture, le sentiment d’infériorité. Elles parsèment le roman et nous interrogent sur nos certitudes.
Ce n’est ici que quelques éléments que j’ai relevés dans ce livre, car il mérite au minimum une deuxième lecture pour en saisir toutes les richesses.

Sur la forme, c’est un roman très bien écrit — et très bien traduit — nous offrant un texte fluide et agréable.

Et évidemment, la fin du récit suggère un des thèmes préférés de l’auteur : qu’est-ce que la réalité ? Qu’est-ce que la vérité ?

Lien : https://feygirl.home.blog/20..
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L'uchronie est un domaine littéraire où il fait bon s'égarer de temps en temps. A quelques semaines de la diffusion en France de la série « le maître du Haut Château » inspirée du roman éponyme de Philip K. Dick, j'ai lu ce dernier avec délectation. Osons ce terme, plus adapté à la dégustation d'un plat raffiné, pour la littérature.
Oui, je me suis délectée de cette histoire où les Alliés ne sortent pas vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale, où les forces de l'Axe dominent le monde.
Ce ne sont pas les Américains qui ont lâché la bombe atomique mais les Nazis. Les Etats Unis d'Amérique n'ont pas envoyé le premier homme sur la lune mais les Allemands sont partis à la conquête de l'espace, des missions sont envoyées vers Mars.
Les vols supersoniques mettent Los Angeles à deux heures de Berlin grâce aux avions fusées.
L'Allemagne n'est pas divisée en quatre secteurs mais les Etats Unis sont séparés en deux zones : à l'est, sous domination nazie, à l'ouest, sous domination japonaise, au centre une zone neutre où vit l'homme dict le maître du Haut Chateau

La Résistance s'organise, cahin caha, de part et d'autre de la zone neutre. A Los Angeles, Frank Frink est renvoyé de l'usine où il fabrique des imitations d'antiquités pour le marché japonais. Monsieur Takomi doit accueillir l'agent Rudolf Wegener et organiser la visite du couple héritier de l'Empire du Japon. Juliana Frink, ex épouse de Franck, a tout quitté pour rejoindre les Etats neutres des Rocheuses.
Les personnages se croisent, s'éloignent, parfois sans se connaître. Deux éléments les relient : un roman subversif « le poids de la sauterelle », interdit dans les zones sous la domination nazie, parce qu'il décrit un monde où la Guerre n'a pas été perdue par les Alliés. le deuxième élément est l'utilisation du « Livre des transformations », le Yi King, faite par les principaux héros du roman : Takomi, Frank, Juliana et un personnage inattendu.
Le Yi King revêt une grande importance : les baguettes sont lancées six fois pour créer un hexagramme que l'on interprète dans le "Livre des transformations". Lors des moments importants de la vie de chacun des héros, ces derniers font appel à cette pratique.
Ainsi Takomi pressent un malaise pesant sur les relations entre l'Allemagne nazie et le Japon, qui se confirmera lorsque l'agent allemand lui apprendra qu'une attaque allemande est prévue contre le Japon.

Le roman est prenant, au rythme bien enlevé : l'existence d'un roman dans le roman met en abyme l'histoire lue avec celle que l'on aimerait lire, celle du « Poids de la sauterelle » dont l'auteur, Hawthorne Abendsen, a la tête mise à prix par les Allemands.
Juliana, exilée volontaire dans les Rocheuses, rencontre un jeune italien avec lequel elle a une aventure sentimentale : il lui parle du livre interdit. Suite à l'élimination du jeune homme, agent nazi en mission pour tuer Abendsen, par elle-même, elle lit l'ouvrage interdit et comprend que l'auteur a découvert, par l'interprétation des hexagrammes, que la guerre a été, en réalité, remportée par les Alliés.

Au-delà de l'uchronie, qui s'appuie sur un fait historique réel à savoir la tentative d'assassinat de Roosevelt, en 1933, par Giuseppe Zangara, Dick met en place une logique de guerre froide entre les force de l'Axe ainsi que l'admiration de la culture japonaise chez de nombreux américains, tiraillés entre attirance, mépris et répulsion. L'harmonie du raffinement recherchée dans tous les domaines par les Japonais fascine de nombreux personnages.
Dick provoque aussi le lecteur qui, de mise en abyme en mise en abyme, est renvoyé à ses propres questionnements, notamment l'interrogation sur ce qu'est notre propre réalité. le lecteur, comme les personnages du roman, lit un livre qui lui décrit un monde autre en lui expliquant que ce monde autre est la réalité. le lecteur est pris dans le principe, propre à la lecture, de l'illusion romanesque.
Dick joue avec les miroirs et interroge la définition de la réalité, de sa frontière avec la fiction, de l'existence de chacun et de son incertitude (suis-je vraiment moi?). Ces jeux de miroirs amènent parfois à se demander sur quel terrain l'auteur souhaite nous emmener au point que l'on ne sait pas vraiment où il veut en venir. C'est ce qui fait tout le sel de la démarche: perdre le lecteur à l'envi pour qu'il se retrouve ou se perde définitivement.


J'ai regardé l'épisode pilote de la prochaine série. Les éléments importants sont présents et captent immédiatement l'intérêt du spectateur. Etant bon public, j'ai apprécié cette mise en bouche qui, à mon avis, ne dessert pas le roman.
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Il faut se le dire, le premier trailer de la série « The Man In The High Castle » donne très envie. Ainsi, je me devais de lire le livre original, d'autant que Phillip K Dick est un auteur que j'ai toujours voulu lire et découvrir. le spitch est simple et énorme à la fois : L'Allemagne/Japon ont gagné la seconde guerre mondiale. L'auteur nous promet ainsi une vision totalement historique/dystopique qui donne froid dans le dos tant cela aurait pu se passer. Alors qui est cet homme du Haut Château ?

Comme dans de nombreux livres de SF de cette époque, le livre conte la vie de plusieurs personnages dont les destins sont liés. le tout se situe dans une Amérique divisée entre l'Allemagne et le Japon. C'est ainsi le quotidien de nombreux personnages, riche en rebondissements, que nous vivons à travers ces pages. le livre se lit très rapidement, je n'ai pas eu le temps de m'ennuyer une seule seconde, je dirai même que je l'ai trouvé trop rapide, trop court.

Les personnages sont très intéressants et leurs situations permettent d'offrir un beau portrait de la situation de l'époque. Tout cela est vraiment ingénieux et fait froid dans le dos. L'auteur va même jusqu'à dépeindre l'idée de notre situation actuelle imaginée par ces gens d'une autre trame temporelle et c'est de même très intéressant. Une belle critique de notre société en soit.

Je ne comprends pas vraiment toutes les critiques que j'ai pu lire jusqu'à maintenant sur le livre suite à l'annonce de la série. Ce livre donne une très bonne idée de cet autre monde. L'auteur exploite l'idée à sa façon et je trouve ça très enrichissant. Je ne trouve pas que le livre soit en deçà de ce qu'il annonce mais c'est un point de vue.

C'est un livre que je conseille vivement, la fin est également très métaphorique et soignée. Une belle petite perle qui me pousse à lire d'autres PKD par la suite.
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