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Critique de LaBiblidOnee


Voici un livre où l'expression cloîtrer quelqu'un prend tout son sens ! Un livre qui prouve également que la liberté individuelle est souvent conditionnée par l'indépendance financière - et donc en l'occurrence par la condition des femmes dans la société. Soeur Suzanne est d'une époque où naître adultérine vous expédiait au couvent pour éloigner les ragots mondains, ne pas utiliser l'argent des enfants dits légitimes, et même expier la faute de la mère. Reniée par sa famille qui lui refuse dot et asile, elle est contrainte de prononcer ses voeux : Contrainte moralement, par les mots très durs de sa mère et les us de l'époque ; mais aussi contrainte physiquement. Etrange, pour un état qui dit en appeler aux vocations. Or Suzanne n'a tellement pas la vocation qu'elle hurle « NON » lorsqu'on lui demande de jurer fidélité à Dieu. Il faut dire qu'elle n'a pas grand chose à faire dans un couvent, elle qui aspire à un mari plus réel.


« Jésus-Christ a-t-il institué des moines et des religieuses ? L'Eglise ne peut-elle absolument s'en passer ? Quel besoin a l'époux de tant de vierges folles ? Et l'espèce humaine de tant de victimes ? (…) Dieu qui a créé l'homme sociable approuve-t-il qu'il se renferme ? (…) Toutes ces cérémonies lugubres qu'on observe à la prise d'habit et à la profession, quand on consacre un homme ou une femme à la vie monastique et au malheur, suspendent-elles les fonctions animales ? Au contraire ne se réveille-t-elles pas dans le silence et l'oisiveté avec une violence inconnue aux gens du monde, qu'une foule de distraction emporte ? (…) Où est-ce qu'on voit cet ennui profond, cette pâleur, cette maigreur, tous ces symptômes de la nature qui se languit et se consume ? »


Supportant ses malheurs sous l'empire d'une mère supérieure digne de ce nom, dont elle était la favorite, elle succombe rapidement au désespoir à l'arrivée de celle qui la succède, une jésuite qui fait de Suzanne son souffre-douleur. Et le mot est faible, tant les faits racontés s'apparentent à de la maltraitante et de la torture. Très franchement, en tant que lectrice, j'ai même trouvé le trait un peu forcé pour être crédible : Si de telles choses existent vraiment, comment croire que Dieu n'est qu'amour - ou plus exactement, comment ceux qui se prêtent à de tels actes peuvent prétendre représenter ou servir un Dieu d'amour ? Je sais pourtant, d'un autre côté, de quoi l'humain est capable et surtout en groupe enfermé. le récit, qui s'éloigne rapidement de Sister Act pour basculer dans la folie, ira d'ailleurs jusqu'au procès… Qui faute de lui rendre sa liberté, la fera changer de couvent.


Mais pouvez-vous imaginer ce qu'elle trouvera dans le suivant ? Si vous êtes naïfs comme moi, vous ne pouvez pas ! le récit prend donc un tournant que je n'attendais pas, et Soeur Suzanne ne pourra compter que sur un hypothétique bienfaiteur pour la sortir de là. Ce roman, anticlérical et libertin s'il en est, est le réquisitoire qu'elle lui écrit pour le convaincre de l'aider. C'est le récit de la dernière chance pour faire entendre sa voix cloîtrée trop longtemps et, pour Diderot peut-être, faire entendre toutes les autres voix qui s'élèvent silencieusement, en prières et sans porte-parole, vers des cieux souvent sourds. « Il n'est pire aveugle », vous vous rappelez ? Mais au-delà de la peinture des moeurs et déviances que l'on retrouve dans tout groupement humain, et même si les femmes aujourd'hui ont l'indépendance financière nécessaire pour choisir leur voie, c'est un récit qui continue d'interroger, comme tout classique digne de ce nom : Même en ayant la vocation, et après les scandales que l'on connaît, est-il humainement possible et souhaitable de vivre reclus ? Ce récit, au même titre que le roman de John Boyne "Il n'y a pas pire aveugle", ou que la série TV "Ainsi soient-il", sur la prêtrise actuellement en France et dans l'Eglise catholique, contribue à poser la question de la nécessité de l'instauration de telles restrictions institutionnelles, qui n'ont pas été instaurées par Dieu mais par les hommes…


Mon édition est intéressante qui raconte comment cette fable est née d'une blague de l'auteur à un ami. Dès lors, j'aimerais croire que tout cela n'est qu'imagination… On sait cependant que beaucoup de vocations ont été « forcées » par les événements ; et l'auteur ayant connu lui-même une éducation religieuse chez les Jésuites, on peut craindre qu'il n'y ait plus de réel dans cette histoire que l'on ne voudrait croire. Ce qui explique également sa volonté de publication posthume.


« On ne sait pas l'histoire de ces asiles, disait l'avocat dans son plaidoyer, on ne la sait pas ».


Vous qui la voulez savoir, elle vous est ici contée : accrochez-vous ! Une lecture moderne, autant dans ses idées que dans son ton et dans son rythme, même si répétitive du fait du récit de sévices en huis clos.
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