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EAN : 9782070373437
384 pages
Gallimard (05/01/1982)
3.36/5   155 notes
Résumé :
Les Bijoux indiscrets (1748), roman frivole - certains diront licencieux - est aussi un roman à clefs : les contemporains de Diderot (1713-1784) se plurent à reconnaître, sous les traits de la favorite, la Pompadour, et sous ceux du sultan, Louis XV. Grâce à un anneau magique, ce dernier peut connaître les secrets galants de ses courtisanes... Diderot en profita pour égratigner le Tout-Paris de son époque et affirma ensuite, contrit (faussement ?), regretter de l'av... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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En l'an 390 000 070 003 de l'Empire du Congo, le puissant sultan Mangogul règne tranquillement sur son royaume. Tellement tranquillement qu'il s'ennuie, en fait, à mourir. Il convoque alors le génie Cucufa, pour lui demander des distractions. Ce dernier lui offre alors une bague aux propriétés spéciales : il suffit de la tourner vers une femme pour que ses bijoux intimes se mettent à parler, à confier leurs aventures et leurs déceptions. Très vite, les masques tombent : les maris se découvrent cocus, les prudes sont prises en flagrant délit d'hypocrisie, les veuves réclament des pensions pour les enfants qui ne sont pas toujours celui du mort.

Ce Congo imaginaire (et qui ressemble bien plus à l'Inde qu'à un pays africain) est bien entendu un prétexte pour se moquer des grand personnages de l'époque. Si tout le côté scandaleux du texte a disparu aujourd'hui, on reste sensible à la belle satire de l'époque. Personne n'est épargné : la cour, ses prudes et ses coquettes, les prêtres, les scientifiques, … nul doute que les premiers lecteurs de ce récit ont dû reconnaître beaucoup de leurs contemporains dans les personnages qui font leur apparition dans ce texte.
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Denis Diderot ( 1713-1784) est surtout connu et célébré
pour avoir dirigée avec d 'Alembert au milieu du XVIII e
Siècle , la publication de l 'oeuvre monumentale qui
est : l 'Encyclopédie .
Son roman " Les bijoux indiscrets" , publié en 1748 fut
considéré comme un roman frivole , d autres diront
licencieux .
"Mettant en scène Louis XV et Mme de Pompadour sous les
traits du sultan Mongogul et sa favorite Mirmoza , le maître
d 'oeuvre de l 'Encyclopédie livre une fantaisie romanesque
autour d 'une bague ayant le pouvoir de déclencher la voix
de la vérité sexuelle des femmes ." le Monde ".
Ce livre est un chef-d 'oeuvre de libertinage , avec toute la
grâce de l 'écriture , l 'art de la dérision critique , et la
truculence de l'un des grands génies littéraires français .
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Je viens de relire ce petit chef-d'oeuvre et je ne résiste pas au plaisir de faire un billet plus complet.

Ce roman a été écrit fin 1747. En janvier 1748, Les Bijoux indiscrets sont imprimés en deux volumes. Cependant, le 29 janvier, un libraire, Bonin, les dénonce à la police. Il envoie une seconde dénonciation le 12 février. Tout ceci n'arrange pas Diderot qui avait vu ses Pensées philosophiques condamnées à être brûlées en 1746. Il sera par ailleurs arrêté et enfermé à Vincennes en 1749 après avoir publié, suite aux Bijoux indiscrets, des Mémoires sur divers sujets de mathématiques, avec une dédicace à Mme de P***, et, de façon anonyme, une Lettre sur les aveugles, à l'usage de ceux qui voient.

Les Bijoux indiscrets appartient à la littérature dite libertine. Ceci explique que le roman se passe dans un pays exotique, ce qui était de mise à l'époque. Mais il s'agit ici d'un pays fantaisiste, comme celui que fera apparaître, en 1759, Voltaire avec Candide. le roman commence à la façon d'un Rabelais avec la naissance de Mangocul, le futur sultan, au Congo (on pourra noter les références à l'Afrique, à l'Asie, à l'Inde, d'où ce pays imaginaire). L'histoire est finalement assez simple : le sultan désire passer du bon temps en ayant connaissance des aventures qu'ont et qu'ont pu avoir les femmes de sa cour. le génie Cucufa lui offre alors une bague. En tournant le chaton vers la femme qu'il désire faire parler, son bijou (entendons par là sa partie intime) racontera tout. Bien entendu, Mangocul ne va pas se gêner pour s'en servir et mettre ces dames dans des situations bien embarrassantes. Les seules, finalement, qui ne seront pas embarrassées seront les religieuses. Et ceci n'est pas dû à leur chasteté ! Loin de là ! Car ce que racontent leurs bijoux ferait rougir n'importe qui. le sultan prend cela à la fois comme un jeu (il ira jusqu'à vouloir faire parler le bijou d'une jument) et comme un pari avec sa favorite (ce qui rappelle Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos)

Ce qui est intéressant, à mon sens, dans ce roman, c'est que nous ne sommes pas du tout dans de la pure pornographie. Tout est en retenue (enfin, tout est relatif quand même). le style n'est pas non plus ampoulé. Il s'agit d'un conte qui se lit aussi bien que le Candide de Voltaire et que je rapproche car on peut y trouver le même style d'humour, satirique. Je ne sais pas d'ailleurs si Voltaire a été influencé. Il s'agissait disons d'une norme de l'époque. Diderot entendait brosser le portrait de ses contemporains, leurs travers et le ridicule de certaines situations.

On a souvent tendance, lorsqu'on parle de cet auteur, à penser de suite à Jacques le Fataliste et son maître. Cependant, Diderot a écrit d'autres oeuvres telles que celle-ci ou encore La Religieuse, qui sortent un peu des sentiers battus, ce qui en fait toute leur force.


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Mmmmh, pas très #MeToo ce Denis Diderot, même carrément coquin.
Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, les bijoux deviennent indiscrets à l'instigation du sultan Mangogul du Congo, qui reçoit du génie Cucufa une bague qui fait parler le sexe (le bijou) des femmes à leur corps défendant (c'est le cas de le dire :D).
Le sultan s'en va essayer sa bague de tous côtés et parie avec sa favorite Mirzoza qu'il ne se trouvera aucun bijou vertueux. Il y a de quoi lancer le #Balance ton sultan (après #Balance ton Zeus : voir la dernière critique de Fabinou7 sur les Poèmes antiques de Leconte de Lisle).
Voilà qui s'inscrit parmi les contes libertins du 18e siècle. Mais Diderot a l'esprit trop vaste et trop fin pour se limiter à une plaisanterie grivoise. Bien sûr les femmes sont bien embarrassées de voir révélée l'activité de leur bijou qu'elles auraient préféré cacher. Mais c'est à une satire de toute la cour de Louis XV et de Mme de Pompadour que Diderot se livre. Et les hommes ne s'en sortent pas plus à leur avantage que les femmes.
Le phénomène des bijoux parlant est l'occasion de disputes entre savants à l'académie des sciences puis entre bramines (les prêtres). Des expériences sont même tentées, sans succès. Les vantardises des petits-maîtres sont réduites à néant, la passion du jeu est stigmatisée et le rapport à l'argent disséqué.
Subrepticement Diderot suggère sa conception du matérialisme au fil des pages de ce roman apparemment léger. Il semble d'ailleurs avoir été embarrassé plus tard par cet écrit, quand il s'est agi de démontrer que le matérialisme pouvait être aussi vertueux que le spiritualisme. Mais il ne le reniera pas son oeuvre puisqu'il a écrit bien plus tard des chapitres supplémentaires. Un libertinage badin pour servir le libertinage savant en quelque sorte.

Lu dans l'édition des oeuvres de Diderot publiée aux éditions Hermann. le volume contenant Les Bijoux indiscrets a paru en 1978. Les annotations sont précieuses pour saisir les allusions à l'actualité de la cour.
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Les bijoux indiscrets/Denis Diderot
Des bijoux indiscrets pour un érotisme discret.
On connaît Diderot philosophe et savant au savoir encyclopédique. Son éclectique curiosité l'a conduit aussi jusqu'aux rives de la littérature libertine. Son désir d'étonner, de surprendre et même de choquer est à l'origine de ce roman exotique et fantaisiste comme c'était la mode à ‘époque, dont il disait qu'il avait pour but « délassement et dissipation ». Mais pas seulement. En effet l'étude de moeurs et coutumes des contrées où se déroule l'action amène notre auteur à mener une réflexion philosophique tout en se livrant à une satire de son temps. Ne disait-on pas qu'il s'agissait « d'un roman frivole où s'agitaient des questions graves. » Cet écrit fut la première oeuvre romanesque de Diderot.
Il faut savoir que la période allant de 1742 à 1750 a vu fleurir un très grand nombre de romans coquins.
Diderot fit publier en 1748 sans nom d'auteur ni d'éditeur. Mais le secret fut vite démasqué. Imaginez alors la polémique qui fait sourire aujourd'hui !
Mangogul, (sous entendez Louis XV) le sultan, personnage considérable, dispose d'une bague magique pour inciter le bijou à la confidence, sauf si un caveçon a été mis en place par un conjoint soupçonneux parti guerroyer.
Les bijoux auxquels il est fait allusion sont l'arme absolue qu'utilisent les femmes qui font la chattemite à des fins diverses et inavouées : aussi bien pour des délices amatoires que pour effacer une dette au jeu de cavagnole et n'importe quel maroufle, faquin ou premier robin venu peut être appâté et accoisé par cet irrésistible leurre.
Mais gare au caquet des bijoux, ces harangueurs qui sommeillent sous les vertugades, que le madré Mangogul sait faire parler !
L'humour est omniprésent dans toutes ces lignes de cette allégorie tout en retenue mais tout à fait scabreuse :
Sophie à Zélide « deux femmes dévotes de profession, conduisant leurs intrigues avec toute la discrétion possible » :
« J'ai tout tenté pour concilier la réputation et les plaisirs. Mais puisqu'il est dit qu'il faut renoncer à la réputation, conservons au moins les plaisirs. »
Mangogul en grande conversation avec sa favorite Mirzoza, se livre à une série de définitions savoureuses :
« La femme sage serait celle dont le bijou est muet où n'en est pas écouté.
La prude, celle qui fait semblant de ne pas écouter son bijou.
La galante, celle à qui le bijou demande beaucoup et qui lui accorde trop.
La voluptueuse, celle qui écoute son bijou avec complaisance.
La courtisane, celle à qui son bijou demande à tout moment, et qui ne lui refuse rien.
La coquette, celle dont le bijou est muet, ou n'en est point écouté, mais qui fait espérer à tous les hommes qui l'approchent, que son bijou parlera quelque jour et qu'elle pourra ne pas faire la sourde oreille. »
Les situations cocasses se succèdent et le sultan propose à son ami Sélim de savoir si Fulvia sont amante lui est fidèle : après avoir écouté le caquet du bijou de Fulvia, Sélim s'écrie dans un style théâtral :
« Ingrate, perfide, si je vous aimais encore, je me vengerais ; mais indigne de ma tendresse, vous l'êtes aussi de mon courroux ! »
Et à la favorite qui le veut consoler, il répond :
« Les femmes sont indéfinissables, et toutes me seraient odieuses si vous n'étiez comprise dans un sexe dont vous avez tous les charmes. Fasse Brama que vous n'en preniez jamais les travers ! »
le style sublime de Diderot rend magiques tous ces instants tragico-comiques.
Parfois le ton devient plus sérieux et critique envers la société : « …On jouait gros au jeu ; on s'endettait, on ne payait point, et l'on dépensait tant qu'on avait de l'argent et du crédit. On publia contre le luxe de très belles ordonnances qui ne furent point exécutées. On prit des villes, on conquit des provinces, on commença des palais et l'on épuisa l'empire d'hommes et d'argent. Les peuples chantaient victoire et se mourraient de faim. Les grands avaient des châteaux superbes et des jardins délicieux, et leurs terres étaient en friche… »
Un petit chef d'oeuvre d'humour libertin mais pas seulement.

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Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Mangogul avait à peine abandonné les recluses entre lesquelles je l’avais laissé, qu’il se répandit à Banza que toutes les filles de la congrégation du coccyx de Brahma parlaient par le bijou. Ce bruit, que le procédé violent d’Husseim accréditait, piqua la curiosité des savants. Le phénomène fut constaté ; et les esprits forts commencèrent à chercher dans les propriétés de la matière l’explication d’un fait qu’ils avaient d’abord traité d’impossible. Le caquet des bijoux produisit une infinité d’excellents ouvrages ; et ce sujet important enfla les recueils des académies de plusieurs mémoires qu’on peut regarder comme les derniers efforts de l’esprit humain.

Pour former et perpétuer celle des sciences de Banza, on avait appelé, et l’on appelait sans cesse ce qu’il y avait d’hommes éclairés dans le Congo, le Monoémugi, le Béléguanze et les royaumes circonvoisins. Elle embrassait, sous différents titres, toutes les personnes distinguées dans l’histoire naturelle, la physique, les mathématiques, et la plupart de celles qui promettaient de s’y distinguer un jour. Cet essaim d’abeilles infatigables travaillait sans relâche à la recherche de la vérité, et chaque année, le public recueillait, dans un volume rempli de découvertes, les fruits de leurs travaux.

Elle était alors divisée en deux factions, l’une composée des vorticoses, et l’autre des attractionnaires. Olibri, habile géomètre et grand physicien, fonda la secte des vorticoses. Circino, habile physicien et grand géomètre, fut le premier attractionnaire. Olibri et Circino se proposèrent l’un et l’autre d’expliquer la nature. Les principes d’Olibri ont au premier coup d’œil une simplicité qui séduit : ils satisfont en gros aux principaux phénomènes ; mais ils se démentent dans les détails. Quant à Circino, il semble partir d’une absurdité : mais il n’y a que le premier pas qui lui coûte. Les détails minutieux qui ruinent le système d’Olibri affermissent le sien. Il suit une route obscure à l’entrée, mais qui s’éclaire à mesure qu’on avance. Celle, au contraire, d’Olibri, claire à l’entrée, va toujours en s’obscurcissant. La philosophie de celui-ci demande moins d’étude que d’intelligence. On ne peut être disciple de l’autre, sans avoir beaucoup d’intelligence et d’étude. On entre sans préparation dans l’école d’Olibri ; tout le monde en a la clef. Celle de Circino n’est ouverte qu’aux premiers géomètres. Les tourbillons d’Olibri sont à la portée de tous les esprits. Les forces centrales de Circino ne sont faites que pour les algébristes du premier ordre. Il y aura donc toujours cent vorticoses contre un attractionnaire ; et un attractionnaire vaudra toujours cent vorticoses. Tel était aussi l’état de l’académie des sciences de Banza, lorsqu’elle agita la matière des bijoux indiscrets.

Ce phénomène donnait peu de prise ; il échappait à l’attraction : la matière subtile n’y venait guère. Le directeur avait beau sommer ceux qui avaient quelques idées de les communiquer, un silence profond régnait dans l’assemblée. Enfin le vorticose Persiflo, dont on avait des traités sur une infinité de sujets qu’il n’avait point entendus, se leva, et dit : « Le fait, messieurs, pourrait bien tenir au système du monde : je le soupçonnerais d’avoir en gros la même cause que les marées. En effet, remarquez que nous sommes aujourd’hui dans la pleine lune de l’équinoxe ; mais, avant que de compter sur ma conjecture, il faut entendre ce que les bijoux diront le mois prochain. »

On haussa les épaules. On n’osa pas lui représenter qu’il raisonnait comme un bijou ; mais, comme il a de la pénétration, il s’aperçut tout d’un coup qu’on le pensait.

L’attractionnaire Réciproco prit la parole, et ajouta : « Messieurs, j’ai des tables déduites d’une théorie sur la hauteur des marées dans tous les ports du royaume. Il est vrai que les observations donnent un peu de démenti à mes calculs ; mais j’espère que cet inconvénient sera réparé par l’utilité qu’on en tirera si le caquet des bijoux continue de cadrer avec les phénomènes du flux et reflux. »

Un troisième se leva, s’approcha de la planche, traça sa figure et dit : « Soit un bijou A B, etc… »

Ici, l’ignorance des traducteurs nous a frustrés d’une démonstration que l’auteur africain nous avait conservée sans doute. À la suite d’une lacune de deux pages ou environ, on lit : Le raisonnement de Réciproco parut démonstratif ; et l’on convint, sur les essais qu’on avait de sa dialectique, qu’il parviendrait un jour à déduire que les femmes doivent parler aujourd’hui par le bijou de ce qu’elles ont entendu de tout temps par l’oreille.

Le docteur Orcotome, de la tribu des anatomistes, dit ensuite : « Messieurs, j’estime qu’il serait plus à propos d’abandonner un phénomène, que d’en chercher la cause dans les hypothèses en l’air. Quant à moi, je me serais tu, si je n’avais eu que des conjectures futiles à vous proposer ; mais j’ai examiné, étudié, réfléchi. J’ai vu des bijoux dans le paroxysme ; et je suis parvenu, à l’aide de la connaissance des parties et de l’expérience, à m’assurer que celle que nous appelons en grec le delphus, a toutes les propriétés de la trachée, et qu’il y a des sujets qui peuvent parler aussi bien par le bijou que par la bouche. Oui, messieurs, le delphus est un instrument à corde et à vent, mais beaucoup plus à corde qu’à vent. L’air extérieur qui s’y porte fait proprement l’office d’un archet sur les fibres tendrineuses des ailes que j’appellerai rubans ou cordes vocales. C’est la douce collision de cet air et des cordes vocales qui les oblige à frémir ; et c’est par leurs vibrations plus ou moins promptes qu’elles rendent différents sons. La personne modifie ces sons à discrétion, parle, et pourrait même chanter.

« Comme il n’y a que deux rubans ou cordes vocales, et qu’elles sont sensiblement du la même longueur, on me demandera sans doute comment elles suffisent pour donner la multitude des tons graves et aigus, forts et faibles, dont la voix humaine est capable. Je réponds, en suivant la comparaison de cet organe aux instruments de musique, que leurs allongement et accourcissement suffisent pour produire ces effets.

« Que ces parties soient capables de distension et de contraction, c’est ce qu’il est inutile de démontrer dans une assemblée de savants de votre ordre ; mais qu’en conséquence de cette distension et contraction, le delphus puisse rendre des sons plus ou moins aigus, en un mot, toutes les inflexions de la voix et les tons du chant, c’est un fait que je me flatte de mettre hors de doute. C’est à l’expérience que j’en appellerai. Oui, messieurs, je m’engage à faire raisonner, parler, et même chanter devant vous, et delphus et bijoux. »
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Lorsque les savants se furent épuisés sur les bijoux, les brahmines s'en emparèrent. La religion revendiqua leur caquet comme une matière de sa compétence, et ses ministres prétendirent que le droit de Brahma se manifestait dans cette oeuvre.

Il y eut une assemblée générale des pontifes ; et il fut décidé qu'on chargerait les meilleures plumes de prouver en forme que l'événement était surnaturel, et qu'en attendant l'impression de leurs ouvrages, on le soutiendrait dans les thèses, dans les conversations particulières, dans la direction des âmes et dans les harangues publiques.

Mais s'ils convinrent unanimement que l'événement était surnaturel, cependant, comme on admettait dans le Congo deux principes, et qu'on y professait une espèce de manichéisme, ils se divisèrent entre eux sur celui des deux principes à qui l'on devait rapporter le caquet des bijoux.

Ceux qui n'étaient guère sortis de leurs cellules, et qui n'avaient jamais feuilleté que leurs livres, attribuèrent le prodige à Brahma, " Il n'y a que lui, disaient−ils, qui puisse interrompre l'ordre de la nature ; et les temps feront voir qu'il a, en tout ceci, des vues très profondes. "

Ceux, au contraire, qui fréquentaient les alcôves, et qu'on surprenait plus souvent dans une ruelle qu'on ne les trouvait dans leurs cabinets, craignant que quelques bijoux indiscrets ne dévoilassent leur hypocrisie, accusèrent de leur caquet Cadabra, divinité malfaisante, ennemie jurée de Brahma et de ses serviteurs.
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Mangogul descendit dans ses écuries, accompagné de son premier secrétaire Ziguezague.

« Écoutez attentivement, lui dit-il, et écrivez… »

À l’instant il tourna sa bague sur la jument, qui se mit à sauter, à caracoler, ruer, volter en hennissant sous queue…

« À quoi pensez-vous ? dit le prince à son secrétaire : écrivez donc…

— Sultan, répondit Ziguezague, j’attends que Votre Hautesse commence…

— Ma jument, dit Mangogul, vous dictera pour cette fois ; écrivez. »

Ziguezague, que cet ordre humiliait trop, à son avis, prit la liberté de représenter au sultan qu’il se tiendrait toujours fort honoré d’être son secrétaire, mais non celui de sa jument…

« Écrivez, vous dis-je, lui réitéra le sultan.

— Prince, je ne puis, répliqua Ziguezague ; je ne sais point l’orthographe de ces sortes de mots…

— Écrivez toujours, dit encore le sultan…

— Je suis au désespoir de désobéir à Votre Hautesse, ajouta Ziguezague ; mais…

— Mais, vous êtes un faquin, interrompit Mangogul irrité d’un refus si déplacé ; sortez de mon palais, et n’y reparaissez point. »

Le pauvre Ziguezague disparut, instruit, par son expérience, qu’un homme de cœur ne doit point entrer chez la plupart des grands, ou doit laisser ses sentiments à la porte. On appela son second. C’était un Provençal franc, honnête, mais surtout désintéressé. Il vola où il crut que son devoir et sa fortune l’appelaient, fit un profond salut au sultan, un plus profond à sa jument et écrivit tout ce qu’il plut à la cavale de dicter.

On trouvera bon que je renvoie ceux qui seront curieux de son discours aux archives du Congo. Le prince en fit distribuer sur-le-champ des copies à tous ses interprètes et professeurs en langues étrangères, tant anciennes que modernes. L’un dit que c’était une scène de quelque vieille tragédie grecque qui lui paraissait fort touchante ; un autre parvint, à force de tête, à découvrir que c’était un fragment important de la théologie des Égyptiens ; celui-ci prétendait que c’était l’exorde de l’oraison funèbre d’Annibal en carthaginois ; celui-là assura que la pièce était écrite en chinois, et que c’était une prière fort dévote à Confucius.

Tandis que les érudits impatientaient le sultan avec leurs savantes conjectures, il se rappela les Voyages de Gulliver, et ne douta point qu’un homme qui avait séjourné aussi longtemps que cet Anglais dans une île où les chevaux ont un gouvernement, des lois, des rois, des dieux, des prêtres, une religion, des temples et des autels, et qui paraissait si parfaitement instruit de leurs mœurs et de leurs coutumes, n’eût une intelligence parfaite de leur langue. En effet Gulliver lut et interpréta tout courant le discours de la jument malgré les fautes d’écriture dont il fourmillait. C’est même la seule bonne traduction qu’on ait dans tout le Congo. Mangogul apprit, à sa propre satisfaction et à l’honneur de son système, que c’était un abrégé historique des amours d’un vieux pacha à trois queues avec une petite jument, qui avait été saillie par une multitude innombrable de baudets, avant lui ; anecdote singulière, mais dont la vérité n’était ignorée, ni du sultan, ni d’aucun autre, à la cour, à Banza et dans le reste de l’empire.
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Les grandes villes fourmillent de gens que la misère rend industrieux. Ils ne volent ni ne filoutent ; mais ils sont aux filous, ce que les filous sont aux fripons. Ils savent tout, ils font tout, ils ont des secrets pour tout ; ils vont et viennent, ils s'insinuent. On les trouve à la ville, au palais, à l'église, à la comédie, chez les courtisanes, au café, au bal, à l'opéra, dans les académies ; ils sont tout ce qu'il vous plaira qu'ils soient.

Sollicitez−vous une pension, ils ont l'oreille du ministre. Avez−vous un procès, ils solliciteront pour vous.

Aimez−vous le jeu, ils sont croupiers ; la table, ils sont chef de loge ; les femmes, ils vous introduiront chez Amine ou chez Acaris. De laquelle des deux vous plaît−il d'acheter la mauvaise santé ? choisissez ; lorsque vous l'aurez prise, ils se chargeront de votre guérison.
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Le petit-fils de l 'illustre Schérérazade s 'était seul affermi sur le trône ; et il était obéi dans le Mongol sous le nom de Schachbaam ,lorsque Mangogul naquit dans le Congo . Le trépas de plusieurs souverains fut ,comme on voit , l 'époque funeste de sa naissance .Erguebzed son père n 'appela point les fées autour du berceau de son fils ,parce qu 'il avait remarqué que la plupart des princes de son temps , dont ces intelligences femelles avaient fait l'éducation
n 'avaient été que des sots .Il se contenta de commander son horoscope à un certain Codindo , personnage meilleur à peindre qu ' à connaître .
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Jusqu'au 15e siècle, les livres, ou « manuscrits », sont entièrement reproduits à la main par des copistes. Entre 1430 et 1450, Gutenberg met au point la technique révolutionnaire de l'imprimerie, qui permet de reproduire mécaniquement les textes au moyen de caractères mobiles en métal. En 1772, soit plus de trois siècles plus tard, L'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert présente les étapes de fabrication du livre au siècle des Lumières, bien avant son industrialisation au 19e siècle.
Découvrez le dossier "Le Livre à l'époque moderne (16e-18e siècles)" sur les Essentiels de la BnF : https://c.bnf.fr/QRz
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