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EAN : 9782707346056
176 pages
Editions de Minuit (06/02/2020)
4.4/5   5 notes
Résumé :
"C’est le simple « récit-photo » d’un voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie. La tentative pour porter, sur un corpus d’images inédites réunies clandestinement par Emanuel Ringelblum et ses camarades du groupe Oyneg Shabes entre 1939 et 1943, un premier regard.
Images inséparables d’une archive qui compte quelque trente-cinq mille pages de récits, de statistiques, de témoignages, de poèmes, de chansons populaires, de devoirs d’enfants dans les écoles c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« Non, nous ne nous laisserons palissader sans rien faire. Nous avons une machine à faire des remous dans le Passé », Henri Michaux, face aux verrous. 1954.
Passé, histoire d'un présent, d'un présent achevé ? d'un présent condamné ?
Le passé, si il est voué à l'histoire, ne doit pas quitter notre imagination.
«  l'imagination – cette faculté qui est éthique et politique avant même que d'avoir à s'exercer littérairement ou artistiquement, par exemple- travaille de toute façon dans la dimension du défi, de l'exigence, de l'impossible saisie. On ne possède pas ce qu'on imagine. On imagine éparsement, lacunairement. On imagine à grand-peine, on ressasse infiniment, on demeure en défaut. C'est par l'imagination, néanmoins, que se tracent les voies nécessaires à la compréhension historique et à l'interprétation politique elle-mêmes.
Exercer son imagination relève en fin de compte, non de la fantaisie personnelle, mais du défi de savoir quelque chose qui ne nous est pas donné immédiatement, clairement, ou distinctement. Quelque chose qui « appelle » notre conscience depuis une distance- ainsi, aujourd'hui, la guerre faite à tout un peuple, là-bas en Syrie- ou d'un passé qui, comme celui du ghetto de Varsovie, semble en effet défier notre imagination. »
Comment prendre contact en réduisant la distance, et comment garder la juste distance pour ne pas dénaturer le contact, comment rendre le regard opérateur de la pensée ?
Comment faire lien sans pour autant combler l'absence ?
Comment respecter l'archéologie du temps ?
Tenter une restitution , oser imaginer, essayer voir, « poser la question du rôle des images dans la lisibilité de l'histoire » comme l'expliquait Georges Didi-Huberman dans le texte « Anthropologie du visuel »( conférence 2011)
Il ne s'agit pas de « boucher des trous » mais mettre en évidence l'évidement, l'absence afin que la lumière soit faite, ou du moins que son passage soit rendu possible.
Et nous devons faire appel à notre'imagination pour que la pensée puisse donner une image la plus fidèle possible à la mémoire d'un temps.
Comment lorsque l'histoire est en cendres, éparse, morcelée, pulvérisée, éparpillée, ensevelie, comment opérer le remontage des temps que les bourreaux, les assassins ont voulu et veulent toujours effacer ?
Quel souffle soulève enlève la poussière du temps, quel souffle porte serment à la lumière pour que les « éparses »de ce temps survivent jusqu'à nous ? Quel souffle porte mémoire ?
La force d'un soulèvement, un acte de résistance.
Même « dos au mur » comment mettre en marche « cette machine » dont parlait Michaux ? « Pour faire passer une vérité malgré tout ».
Varsovie. 03 aout 1942. Emmanuel Rigelblum, écrivant résistant, enterre avec son groupe, Oyneg Shabes, une extraordinaire collecte dont 35 639 pages on été retrouvées après la guerre : poèmes, billets, chroniques, témoignages, photographies, cartes postales…emballages de bonbons, les cartes de rationnement, blagues, chansons, journaux clandestins, , procès-verbaux, les derniers messages des déportés..et bien d'autres documents. autant de « semences de vie ».
La première et la deuxième caches ont été déterrées en 1946 et en 1950. Une troisième cache reste toujours à déterrer sous les décombres recouverts de Varsovie...Archéologie du savoir….
Varsovie. du 1er ou 3 octobre 2018 . Georges Didi Huberman se rend à Varsovie, à l'Institut juif de Varsovie pour consulter ce « trésor » muet.
Voir pour comprendre. Comprendre la nécessité de ce trésor, l'histoire même de la constitution de ces archives clandestines, comprendre la division au sein même d'une communauté à l'intérieure de laquelle la préexistante d'une classification sociale, une fracture politique a fait le jeu des bourreaux.
Et Didi-Huberman rappelle l'analyse faite par Hannah Harendt à ce sujet, analyse qui en son temps fit et fait encore scandale, concernant la sujétion établie par les « maîtres » des Judenräte sur le reste du « peuple » du ghetto.
Papiers, défis, papiers conflits…
« Éparses » au-delà d'un essai sur l'archéologie historique qu'il soulève, soulève également le problème de l'indivisibilité. La tentation de rendre les choses « indivisibles » peut elle avoir pour conséquences de rendre certains faits invisibles ? Cela nous interroge sur la notion de peuple, de nation.
La résistance ne peut-elle s'exprimer et exprimer, et simplement exister, justement qu'à la lumière des fragmentations qui parcourt son histoire ?
Un ensemble n'est pas un Tout, mais une diversité, une pluralité. Faire d'un peuple un tout, est un risque pris à l'encontre de la mémoire. C'est prendre le risque d'effacer un sujet d'une phrase, c'est imposer un impératif qui risque de clore toute parole. « Non, nous ne nous laisserons palissader sans rien faire ». Alors, écrire, semer.
« Epars a son étymologie dans le participe sparsum du verbe spagere, qui veut dire « jeter ça et là, éparpiller, disséminer. ».Le verbe se dit aussi dans un sens rituel, lorsqu'on répand un liquide sur quelque chose ou quelqu'un pour en faire la bénédiction.
Mais ce qui a été parsemé a été, tout aussi bien semé. L'éparsement serait donc ensemencement ( en grec : speirô, « je sème », sperma «  la semence »). La dissémination serait séminale, une disparition eût- elle d'abord disséminé toute chose au quatre vents. ...l'écriture pourrait se comprendre comme de l'épars collecté, comme de la disparition ensemencée. Un texte travaillerait donc comme un archiviste : il rassemble ou, plutôt, il réassemble – remonte- de l'épars ». «  le poétique c'est faire collecte ». « en laissant les brisures visibles » «  en laissant du jeu dans le montage, dans la bordure des textes et des images, de façon à laisser chaque fragment dans sa singularité, dan sa solitude partenaire ».

Pour faire lien, procéder à une lecture c'est notre imagination, notre pensée imaginative qui doit être ici convoquée. Comme le rappelle Marie-José Mondzain, philosophe de l'image, une image ne dit rien, par elle même, d'elle même, mais une image nous demande de prendre la parole. Émanciper son regard, c'est se considérer comme un être voyant , mais un voyant qui prend parole, et qui ensemencera la possibilité éparses et diverses d'une prise de parole.

«  Celui qui donne vie donnera la possibilité d'ouvrir la bouche » . E. Ringelblum. Journal du ghetto de Varsovie.

« Eparses, voyage dans les papiers de Ghetto de Varsovie », de Georges Didi-Huberman , écrivant, résistant, est paru en février 2020.

Astrid Shriqui Garain

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Tout commence par une conférence donnée par l'auteur en 2017. Un homme étrange, inconnu, s'est adressé à Didi-Huberman et lui a suggéré de prendre connaissance du corpus de photographie de Emanuel Ringelblum, dans le tas d'archives enterrées dans le Ghetto de Varsovie. Des archives inconnus de Didi-Huberman.

Emanuel Ringelblum, historien juif vivant dans le Ghetto de Varsovie s'est chargé de constituer un archive d'environ 35000 pages de documents, photos, lettres, tout ce qui pouvait témoigner de ce qu'était la vie dans le Ghetto. Ces archives ont été enfouis dans la terre, dans des caves, dans des faux murs, ... partout où ça pouvait l'être. Emanuel Ringelblum a fini par être torturé et ensuite fusillé avec sa femme et son fils en mars 1944.

Donc, Georges Didi-Huberman passe trois jours à l'Institut Historique Juif de Varsovie, en 2018, à étudier ces archives.

En fait, ce qui a d'exceptionnel dans ce livre n'est pas le contenu des archives mais la vision de Didi-Huberman. Celle qui analyse le témoignage, comme dans "Le témoin jusqu'au bout", mais encore plus fort ici. Son affaire ne s'arrête pas à la philosophie ou à l'historiographie. En tant que spécialiste des images, il s'arrêtait et a photographié, par exemple, les boîtes métalliques des archives. Il s'arrête sur une photo d'un gamin juif mendiant et analyse son geste, et le met en rapport avec une photo très connue qui est à l'origine du livre "L'enfant juif de Varsovie". J'appelle ceci de "l'empathie".

Cette empathie apparaît très nettement dans ce livre, dans "Le témoin jusqu'au bout", mais surtout dans une photo prise par Didi-Huberman dans du livre "Écorces". Dans ce livre apparaît une photo banale, en apparence. Un grillage en barbelé avec un petit oiseau de l'autre côté. Il n'y a aucune violence mais on se rend compte de la force de l'image quand on voit qu'elle a été prise en Auschwitz. Didi-Huberman s'est probablement mis à la place d'un prisonnier qui pourrait être gazé ou mourir bientôt tandis que l'oiseau était libre et allait bientôt s'envoler.

C'est ainsi que je lis les livres de Didi-Huberman. Il rajoute une touche très humaniste à des sujets qui ont parfois déjà été traités par ailleurs.

Sur ce sujet, ceci est un livre à lire juste après "Le témoin jusqu'au bout".
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
(p. 25)
Les militaires ou les dirigeants politiques se moquent souvent du papier : in "tigre de papier" est, sans doute, bien plus fragile et inefficace pour prendre le pouvoir qu'un bataillon correctement armé. Devant notre feuille de papier, il ne nous reste donc souvent qu'à pleurer notre impouvoir. Mais il arrive qu'une modeste liasse de feuillets survive aux bataillons, aux militaires et aux dirigeants eux-mêmes, par delà tout partage entre vainqueurs et vaincus. Telle est la puissance du papier : l'inscription à l'encre ou au crayon et la surface de cellulose sont capables de persister plus longtemps que nous autres humains. La feuille de papier, si fragile soit-elle, si exposée soit-elle à l'autodafé, n'est-elle pas susceptible de survivre à son auteur, à son censeur comme à son lecteur ?
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(p. 9)
Je me souviens - c'était il y a longtemps - qu'un jour où je pleurais beaucoup, je rencontrai par hasard mon visage dans le miroir. Quelque chose alors se brisa, quelque chose apparut: mon existence devint éparse, clivée. Je découvris, à me voir pleurant, une perception nouvelle : cela partait sans doute de moi-même et de mon chagrin du moment, mais cela ouvrait soudain une dimension bien plus large, impersonnelle et intéressante. Un ailleurs dans l'ici même. C'était devenu, en un seul instant et sans doute pour le reste de ma vie, la leçon d'un nouveau regard. Il était né de la mise à distance, fatale dans cette situation optique : me voyant pleurer, j'observai tout à coup, comme de l'extérieur, ce que l'émotion, chose toute intérieure, modifiait sur l'interface de mon visage (pas beau à voir, d'ailleurs : régressif, grimaçant, chiffonné). En conséquence de quoi mon chagrin se doubla d'une sorte de conscience refroidie sans être apaisée, tranchante, curieuse de plus de détails , déjà ironique : un acte de connaissance, en somme.
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Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2753563/tables-de-montage-regarder-recueillir-raconter-exposition-caen-abbaye-d-ardenne-du-5-mai-au-22-octobre-2023
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