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Critique de Malaura


Depuis plusieurs semaines, un certain engouement s'est créé autour du livre de Jean-Paul Didierlaurent « le liseur du 6h27 ». Et c'est vrai, voilà un petit ouvrage gentillet, le premier roman d'un auteur d'origine vosgienne, nouvelliste déjà récompensé par plusieurs prix littéraires. Vrai aussi qu'elle se lit plutôt agréablement cette histoire d'un employé d'usine amoureux d'une dame-pipi qui manie la plume aussi bien que la chasse d'eau. Et d'ailleurs le récit commence plutôt bien au côté de cet ouvrier « ni beau, ni laid, ni gros, ni maigre » lisant dans le RER les pages des livres qu'il a réussis à sauver du pilon.

Cet ouvrier discret, le gentil «héros» du roman, c'est Guylain Vignolle dont la contrepèterie malheureuse du patronyme «Vilain Guignol » n'a jamais cessé de le blesser, depuis les rires moqueurs de ses petits camarades d'enfance jusque dans les regards ironiques de ses congénères à l'âge adulte.
Si bien qu'il a tout fait pour devenir invisible. Aussi anonyme que possible, il a décidé de «se fondre dans le paysage jusqu'à se renier soi-même pour rester un ailleurs jamais visité»…
N'ayant pas réussi à passer le cap de la contrepèterie de son nom de famille - Vilain Guignol, c'est très traumatisant, a priori bien davantage que de s'appeler Dugland ou Ducon – le voilà à 36 ans qui mène une existence terne et étriquée dans la solitude de son petit studio avec un poisson rouge pour toute compagnie. Comble d'horreur, cet homme qui adore les livres n'a rien trouvé de mieux que de travailler dans une usine où l'on broie du papier !! Jour après jour, il fait ainsi fonctionner la Zerstor 500, un diable de machine vorace qui mange même les rats et les jambes des ouvriers négligents ! Quelques éclaircies viennent toutefois illuminer çà et là cette vie maussade et solitaire en compagnie de personnages hauts en couleurs et généreux : Guiseppe, l'ancien ouvrier unijambiste, le gardien d'usine féru de poésie qui s'exprime en alexandrins…

La première partie du récit est assez savoureuse et nous projette sans mal dans l'univers étriqué du jeune homme. La description de la Zerstor 500 vaut le détour. Ce monstre de gloutonnerie déchiquetant, éviscérant et régurgitant en boue abjecte tous les ouvrages mis au rebut s'anime littéralement sous la plume de Didierlaurent et on imagine aisément le sentiment pénible d'accablement que doit ressentir Guylain, l'amoureux des livres, en actionnant chaque jour cette ignominieuse « Chose » aussi avide que pernicieuse. Déprime, honte et culpabilité dessinent son triste quotidien. Sa seule satisfaction vient alors de la lecture des pages épargnées des mâchoires du monstre.

Et nous, curieux et plein d'espoir, nous nous imaginons déjà être en présence d'un Bohumil Hrabal à la française, avec entre les mains une variante pleine d'esprit d' « Une si bruyante solitude », le chef d'oeuvre de l'auteur tchèque.
Mais la France n'est pas un régime de répression, les actes de résistance se font rares en littérature française et nos auteurs ne sont pas sanglés dans la camisole étroite d'un gouvernement dictatorial dont ils pourraient trouver matière à draper leur art. Et le roman de quitter brusquement les rives de la gravité pour sombrer dans une histoire un peu mièvre d'amour fleur bleue !...Préjudice fatal portant gravement atteinte à notre emballement initial !

Patatras ! Voilà le train qui déraille, on a subitement changé de quai, la destination n'est plus la même, on voyage maintenant au pays des Bisounours !
Où est passé notre monstre de machine dont on entendait les mâchoires de fer claquer en un sinistre fracas? Oubliées la Zerstor et les jolies pages sauvées de son estomac de métal, on passe à la dame-pipi et à la lecture de son journal de bord de technicienne de surface. S'il a fait rire les usagers du RER, le passage où la demoiselle se venge mesquinement d'un chieur désobligeant en lui laissant deux carrés de papier pour s'essuyer le postérieur, nous a, pour notre part, définitivement fâché contre cette Cendrillon moderne et son falot prince charmant !
A ces personnages sans consistance, propres sur eux, ternes et sans âme, on préfère les êtres entiers, les taciturnes, les enflammés, les ours, les râleurs, les colériques, les emmerdeurs, les êtres de chair et de sang avec qui partager les turpitudes de l'existence. On préfère la Zerstor tiens, au moins elle a du caractère !

Non, « le liseur du 6h27 » n'est pas un mauvais livre, c'est un joli conte moderne gentiment moralisateur. Mais il devient trop lisse, trop policé et débordant de bons sentiments, et ce n'est pas la destination que nous voulions suivre… On voudrait toujours pouvoir voyager en 1ère classe en littérature …On s'est trompé de compartiment voilà tout…
Merci à Masse Critique et aux éditions du Diable Vauvert pour l'envoi de ce roman que sincèrement nous aurions bien voulu aimer davantage. La plume de l'auteur est chaleureuse et enjouée, alors la prochaine fois, peut-être pourrons-nous goûter aux joies d'un autre trajet en commun ?...
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