Arrêtez les horloges, coupez le téléphone,
Jetez un os au chien pour que ses aboiements ne résonnent,
Faites taire les pianos et au son d'un tambour voilé
Sortez le cercueil, qu'avance le cortège endeuillé.
Que les avions tournoyant dans les airs déplorent
Et tracent sur le ciel le message Il est mort.
Nouez des rubans de crêpe au cou blanc des pigeons des squares,
Et que les mains des gendarmes soient gantées de coton noir.
Il était mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest,
Ma semaine de labeur et mon dimanche de sieste,
Mon midi, mon minuit, ma langue, ma chanson ;
Je croyais que l'amour durerait à jamais : je sais à présent que non.
Eteignez les étoiles ; elles ne sont pas conviées à la veille.
Remballez la lune et démontez le soleil,
Videz l'océan et balayez les forêts ;
Car plus rien de bon ne saurait advenir désormais.
Funeral Blues, W.H. Auden
Les souvenirs, c'est ce qu'on ne veut plus se rappeler.
Les souvenirs,c'est ce qu'on ne veut plus se rappeler.
Les souvenirs, c'est ce qu'on ne veut plus se rappeler.»
Les souvenirs s'étiolent, les souvenirs s'ajustent, les souvenirs se conforment à ce que nous croyons nous rappeler.
Les souvenirs s'étiolent, les souvenirs s'ajustent, les souvenirs se conforment à ce que nous croyons nous rappeler.
Et pourtant il n'est pas un seul jour de sa vie où je ne la revois pas
Tu as tes merveilleux souvenirs, dirent les gens par la suite, comme si les souvenirs étaient un réconfort. Les souvenirs ne sont rien de tel. Les souvenirs portent par définition sur des temps passés, des choses enfouies. Les souvenirs, ce sont les uniformes de Weslake dans la penderie, les photos craquelées aux couleurs délavées, les invitations au mariage des gens qui ne sont plus mariés, les faire-part de décès de gens dont on ne se rappelle plus le visage. Les souvenirs, c'est ce qu'on ne veut plus se rappeler.
Je me suis jurée de garder le cap. "Garder le cap" était l'impératif qui se réverbérait en écho jusqu'à l'autre bout de la ville. En vérité je ne savais pas du tout ce qui se passerait si je n'y arrivais pas. En vérité je ne savais pas du tout ce qu'était le cap. Je pensais à tort, que cela avait quelque chose à voir avec le mouvement, les voyages, les hôtels où l'on descend et que l'on quitte, les aéroports d'où l'on s'en va et où l'on arrive. J'ai essayé.
Quand vient la saison des nuits bleues, on a l'impression que les journées n'en finissent jamais. Et à mesure que la saison des nuits bleues se rapproche de son terme (inexorable, inéluctable), on est saisi d'un frisson, d'une appréhension physique, maladive, lorsqu'on s'en avise pour la première fois : la lumière bleue s'en va, déjà les jours raccourcissent, l'été n'est plus là. Ce livre s'appelle «Le bleu de la nuit» parce qu'à l'époque où j'ai commencé à l'écrire, j'avais l'esprit de plus en plus souvent tourné vers la maladie, vers la fin des promesses, le déclin des jours, l'inévitable assombrissement, l'agonie de la clarté. Le bleu de la nuit, c'est le contraire de l'agonie de la clarté, mais c'est aussi son avertissement.