Lune d'écarlate

C’est quoi l’amour, mon petit pote, en plus de l’envie de sauter une gonzesse ? Qu’est-ce qui amène un mec à croire qu’une femme est différente des autres ? Elle n’est pas différente, mon vieux, et le mec il est encore moins différent, et ceux qui se croient les plus originaux sont les moins différents de tous. Dis-moi, qu’est-ce qui pousse ces gens à se marier ? Pourquoi ils ne louent pas un appart où ils peuvent partager leur intimité à souhait et observer le caractère de leur adversaire, vérifier si oui ou non il est prêt à faire les courses et la vaisselle ? Ce serait la seule façon de savoir si on veut continuer à être associés ou non. Une fois que t’as signé, que t’as fait une gigafête, que t’es même passé par l’église, t’es foutu, mon salaud.

Le destin a deux visages, il convient de le savoir. La preuve en sont tous ces gens qui, à chaque Noël, à chaque pont prolongé, se déversent sur les routes par milliers. Rompus à l’ennui et à la temporisation, toute l’année ils ont attendu l’arrivée de ces quelques jours qui les libèrent de la routine, leur permettent d’atteindre un but minuscule, modeste, réalisable, fantasmé et vécu à l’avance : aller au bord de la mer ou n’importe où pourvu que ce soit loin de chez soi. Se livrer à un rite sans lequel l’année serait gâchée, sans intérêt. La preuve que le destin a deux visages, ce sont les centaines de rêveurs qui finissent emprisonnés dans la tôle, pissant le sang, une bouillie de chair et d’os qui a droit à une ligne dans un journal et à un numéro de téléphone à la télévision. C’est ainsi, et il convient de le savoir, splendeurs et naufrages sont les deux faces du destin.

Il faut sans doute être prêt à voir, s’être préparé à voir chaque jour, sa vie durant, et avoir invoqué chaque nuit les cartes qui peuvent vaincre le hasard, qui peuvent prédire que le train-train quotidien a changé, que la vie ne sera plus ce morne défilé d’ennuis : aller au bureau, traverser chaque jour les mêmes lieux, la même route de l’Amitié pour rentrer, voir les visages las des collègues, du marchand de cigarettes et de bonbons au coin de la rue, d’autres personnes avec qui elle n’a jamais échangé un mot et qu’elle voit pourtant plus souvent que sa mère et que Richard et que Jorge et que Ceballos réunis, avoir pour la énième fois la même conversation et dire à vos souhaits lorsque quelqu’un éternue.

Moi, je ne suis pas comme elles. J’ai des faiblesses et j’ai besoin qu’on m’aide.
Pourtant je pourrais devenir meilleure que je ne suis et je devrais commencer par là.
Aimer mon prochain, être plus modeste et comprendre la souffrance d’autrui.
Aider les démunis comme je peux, consacrer plus de temps à ma fille, mieux connaître mes voisins et ne mépriser personne.
Boire moins, fumer moins.
Être bonne, meilleure, faire attention à ce que je fais.

Ce que veulent les vautours, c’est des lèvres, des langues, des fesses, des seins, des aisselles, des cous, des oreilles, ce qu’ils veulent, c’est humilier, punir, que les poupées parfumées paient une à une toutes les dettes que la vie a contractées auprès d’eux. Je suis passé par là, je sais de quoi je parle. Ce n’est pas facile à comprendre car, dans ces moments-là, on ne pense pas. On perd simplement les pédales. On se sent super balèze de pouvoir faire ce qu’on veut, on se sent au-dessus de la loi, aucun enfoiré de maton ne peut nous enfermer et nous démolir la façade. On est un champion, et la preuve c’est qu’on fait ce qu’on veut. On ne demande la permission à personne.