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EAN : 9782370492074
137 pages
Volte (13/10/2022)
3.81/5   13 notes
Résumé :
PROMENADES DANS LA COMMUNE IMAGINAIRE DE BELLEVILLE.

Les forces de l’ordre sont aux portes du quartier, mais les habitant·e·s du quartier s’organisent. Deux membres de la Commune libre de Belleville arpentent les différents secteurs du territoire.
À travers les pérégrinations de Bri et dilem, c’est l’autonomie d’un quartier assiégé – acquise à la fois en puisant dans ses racines historiqueset en se projettant dans les pratiques alternatives d’u... >Voir plus
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J'en suis la première désolée, car je pensais aimer cette lecture, mais j'abandonne. Je suis péniblement arrivée à la page 36 sur 55 mais je n'arrivais pas à garder les yeux ouverts, rien ni personne ne m'accrochait dans ce récit. On ne fait que survoler, en suivant une patrouille et à l'aide de descriptions qui m'ont parues creuses et inintéressantes, de futurs quartiers qui se voudraient soi-disant utopiques et « autonomes ». D'habitude, surtout quand c'est court et encore plus à 20 pages de la fin, je vais au bout. Mais là rien n'a éveillé mon intérêt dans ce tour du quartier d'une Belleville « révolutionnaire », d'un Paris revisité où des quartiers résistent au capitalisme numérique par une réinvention d'une vie plus solidaire, libre : tout n'est que descriptions de cette « Commune » et elles ne m'ont rien apporté car je n'ai vu poindre aucune histoire réellement, aucun attachement à un personnage puisqu'on les effleure à peine (et oui je sais qu'effleurer veut déjà dire toucher à peine, c'est vous dire), juste la description d'un futur possible de cohabitation entre le vilain monde répressif plus ou moins actuel et des quartiers qui résistent avec l'esprit bobo, vert, féministe et plein d'autres mais tous manquant de contour, de coffre, d'être habité. Finalement, on voit bien que ces gens ont quand même besoin d'une économie et trafiquent avec le reste de la ville contrôlé par « les croisés ».
.
Bref, j'arrête avec les guillemets, vous avez compris ce que j'en pense. Pour autant, comme toujours, ce n'est que mon ressenti à un moment donné et je ne veux décourager personne de faire cette découverte, car si je l'ai commencé c'est que l'idée de cette exploration m'a rendue curieuse ; si j'étais curieuse c'est qu'on a su me la rendre attractive ; et si elle m'a attirée c'est parce que d'autres lecteurs, bien plus nombreux et sensibles à ce récit, ont adoré et sauront vous en parler mieux que moi, si jamais ça vous intéresse. Je suis juste passée totalement à côté et je pense toujours qu'il est bon, quand on se renseigne sur un livre, qu'on ne voit pas uniquement les bonnes critiques mais aussi la possibilité que le message ne nous atteigne pas. J'ai aperçu l'idée de la bonne idée, de la poésie, du potentiel mais n'ai finalement rien ressenti de tout cela à cette lecture ! Je vous souhaite néanmoins une bonne exploration si l'idée vous plaît.
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Dans Melmoth furieux, Sabrina Calvo dessinait les contours de la Commune de Belleville : ses habitants, son architecture, ses (non)-règles de vie. Une utopie faite de bric et de broc, portée par des désirs de liberté et de respect de l'autre. Mais toujours sur le fil du rasoir car entourée, cernée par des forces armées hostiles à ce mode de vie, à ce non-respect de la norme établie. Dans Maraude(s), Dilem & Bri nous font faire le tour de cette enclave fragile mais précieuse.

Place Krasucki (que de souvenirs à l'évocation de ce nom !), point de départ des maraudes de ce petit opuscule. Je suis navré d'utiliser Google Maps tant cela va à l'encontre de tout ce que véhicule l'ouvrage, mais n'habitant pas Paris ni sa proche banlieue, et désirant tout de même mettre des images sur ces lieux, je saute le pas. le petit bonhomme jaune me transporte sur une place construite autour d'un arbre au feuillage accueillant : « le Micocoulier – increvable et déjà centenaire ». Ça met tout de suite dans l'ambiance. Et nous partons pour une promenade. Je laisse de côté la carte électronique pour me plonger dans les mots. Maintenant que j'ai une image de départ, je reviendrai aux pixels après ma lecture complète de Maraude(s).

Huit courtes balades à travers cette commune, morceau de Paris sorti de son carcan rigide et mortifère, empli d'yeux espions et de groupes armés. Point de départ, à chaque fois (ou presque), la place Krazu. Et les auteurs nous convient à un parcours au fil des rues, des cours, des immeubles. Entre ceux qui sont libérés, ouverts à l'échange, à la réflexion, à l'expérimentation. Et ceux qui se cloîtrent, fermés sur eux, avec des murailles faites de grilles et de codes, enclaves dans l'enclave. Promenade parmi des gens différents, parfois en désaccord, mais toujours prêts à discuter, à échanger, pour améliorer le quotidien dans le respect de l'autre.

Face à eux, le reste du monde. Et les relations ne sont pas au beau fixe. « Car c'est une guerre. » Guerre interne et externe. Comme je le disais plus haut, certains « riches » n'ont pas quitté Belleville et se recroquevillent dans leur propriété, enfermés, protégés par des barrières. Ils militent pour tenter de bloquer les changements impulsés par la Commune en proposant leur propre vision du monde, à base de « bouts de métal anti-clodo sur les bancs publics. » (Brassens doit se retourner dans sa tombe). Les contrôleurs de la CAF se sont regroupés et effectuent des contrôles sans raison. Traces anciennes de la vie d'avant qui n'ont pas réussi à passer à autre chose. Et les joggers continuent à courir, en régiments, en « véritables cyborgs mercenaires ». Heureusement, certains ont mis leur besoin au service de la Commune, produisant de l'électricité.

Mais le danger rôde, car la guerre externe avec la « cité connectée » n'est pas terminée. Loin de là. Toujours plane « la menace policière ». Les barricades sont dressées et tiennent. Enfin, pour la plupart. Et les militants affûtent leurs armes. Certains vont jusqu'à fabriquer des explosifs. Une guerre, je vous dis. D'autant que des espions tentent sans cesse de pénétrer la Commune et d'y disposer ses « yeux » : les « bubons-caméras ». Observer pour mieux détruire. Mais ils auront du travail, à vouloir cartographier et organiser ce labyrinthe tortueux et varié.

Cette Commune est foutraque (plus encore que le monde des Flibustiers de la mer chimique de Marguerite Imbert), pleine de différences et d'oppositions. Mais elle est vivante. On y retrouve des gens passionnés par ce qu'ils réalisent. Et c'est merveilleux. Par exemple, comme dans Melmoth furieux, le tissu est encore et toujours là : les copines couturières tissent et cousent des « manteaux impossibles ». Et quand l'une d'entre elles est embarqué hors de cette zone de liberté, on organise un commando pour la récupérer. Au nez et à la barbe des « normies », des forces de l'ordre, de ces représentants d'un Empire guerrier et violent.

J'ai fini de lire Maraude(s) et, la tête pleine d'images, je vais les confronter à celles, pixellisées, de Google. Prolongement finalement bienvenu, qui me permet d'ancrer ce monde dans le monde réel. de comprendre que cette lutte décrite n'est pas que de papier et d'encre mais également de béton et de sang, de chair et de bitume. de donner encore davantage de vie à une Commune dont on ne peut qu'espérer qu'elle va continuer à résister.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Déambulations dans les rues et les lieux emblématiques de la Commune imaginaire de Belleville : « Ici, c'est le radeau des naufragés de Paris – cielleux qui ont fui la grille smart de la cité connectée pour activer des liens réels. »
(...)
« Comment inventer l'avenir si le passé nous échappe ? » se demandent Dilem & Bri. Cette description jubilatoire d'un futur possible, assemblage d'utopies désirables en prise avec les (inévitables ?) reliquats d'oppressions existantes, existera les imaginations et semble poser une question complémentaire : Comment inventer l'avenir si on ne commence pas par l'imaginer ? Sans être pessimiste pour autant, leur récit évite la facilité de l'idéalisation et refuse l'économie des écueils : d'ailleurs, « la rue de l'Avenir est une impasse où l'horizon est bloqué par un haut mur d'immeuble ». « Nous avons besoin d'un but, pas simplement de résister. Il nous faut un dégagement, un nouveau monde à construire. Mais comment articuler l'impossible quand le simple possible paraît impensable ? La lutte contre la répression est continue, sans limites. Nos moyen, eux, sont limités, et si nous pouvons contenir des assauts depuis nos murailles, il est peu probable que cela suffise. »

Article complet sur le blog :
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Maraude(s) est la quatrième parution dans la collection dite Eutopia des éditions La Volte, néologisme voulant dire « bon lieu » ou « lieu du bon/du bien ». Dans ce court texte, ce bon lieu se situe à Belleville, soit à Paris, dans le XX° arrondissement, et précisément, dans la Commune de Belleville, avec un grand C, puisqu'on est bel et bien dans les pas historiques, dans un hommage, dans une inspiration, de la Commune de Paris, soit, un projet politique où l'organisation – prise au sens large - ne se fait pas par la représentation, mais par la démocratie directe.

Maraude(s) est une promenade, une dérive urbaine où découvrir comment résister à ce monde infernal, étatisé, administré.

Courir les rues, les arpenter, pour retrouver des ami-es, visiter des lieux, échapper aux flics ou aux adversaires de la Commune, tromper la surveillance généralisée (« peste de l'image » p.15), voire la supprimer, prendre la mesure des alternatives qui se créent, ou dénoncer la Mesure, une autre mesure, celle de l'obsession chiffrée, une « horreur » (p. 9).
Nous avançons, on glisse, on se faufile, nous marchons, nous prenons, nous passons, nous remontons, on redescend, on trace, on passe, on traverse, nous débouchons… les verbes utilisés dans le texte disent la quête, le mouvement, car au-delà des menaces et de la peur (« Nous avons toujours peur que quelque part l'Empire se reforme, qu'un état survive finalement, qu'une multinationale s'invente une dystopie efficace, qu'une révolution trahie tourne en dictature, que la mer finisse par nous engloutir, que le soleil ne se lève pas… » p.43), les auteurs - « on fait partie de la Team Foi » (p. 9) – croient à ce changement  : « de cette cité nouvelle, régénérée, recomposée. Nous avons vu l'intime de son fonctionnement, de la possibilité de son existence – au coeur du péril. Nous y croyons » (p. 55).

Et cette foi, elle fait plaisir : vous lisez un petit passage et vous croisez, Jusepe, Tessa, Zoé, Pierre, Laura. Vous les croisez, qui sur une barricade, qui dans un parc, qui dans un atelier située dans la rue Piat, ou sur la place des fêtes, vers la rue des Pyrénées, et vous êtes en route vers ce « bon lieu ».

Maraude(s) n'est pas tout à fait une fiction. Mais, quelques personnages sont plus marquants, comme la voyante, ou Heli, une vieille camarade, porteuse d'une mémoire révolutionnaire, référente et inspiratrice.
Sur un mode documentaire, qui n'exclut pas les envolées stylistiques et poétiques, on part pour un parcours urbain au fil des rues de Belleville dans une Commune Imaginaire.
On y voit la cohabitation de différentes communautés qui chacune « crée un monde, une langue, des traditions, des habitudes, des styles, sa forme de vie » (p. 37), communautés qui s'aident, commercent etc.
D'où l'importance des lieux qui incarnent ce nouveau monde : « ...nous voilà devant le Sans-Emploi, cantine et jardin solidaires aménagés dans l'ancienne antenne du Pôle » (p. 15) ; « on redescend par la rue du docteur Potain, on passe devant le DOC – espace squatté pour cleaner les fringues, lire des livres qui sentent l'assouplissant, faire de la boxe thaï ou s'organiser pour une grève » (p. 21) ; le gymnase des Pyrénées où « les camarades viennent pour pour le sauna, les AG, jouer aux échecs ou s'engueuler » (p.30) ; des ateliers d'éducation populaire, le port des marchandises (p. 34) qui permet les échanges, des fermes tenues par des Antifa etc. Soit des lieux de convivialité, de rencontres, de cultures et simplement de production : « si on veut pouvoir tenir un territoire autonome assiégé, en pleine ville, alors on doit rester aussi indépendant que possible. Ici, c'est une usine où l'on produit tout » (p. 39).

Mais les auteurs ne cachent pas les doutes et les périls qui menacent : pas d'idéalisme, ni de béatitude, les querelles internes, la violence (on s'entraîne au combat dans les parcs), la fragilité car les moyens sont limités, sont abordées : « nous avons besoin d'un but, pas simplement de résister… Nous devons améliorer la logistique. le marché noir ne nous permet pas tout » (p.41).
Car comme ils le disent avec humour, il ne suffit pas de se promener ! Comment articuler toutes ces inventions sociales ? Comment déjà trouver un moyen « de se parler, sans dire (p. 56) »  ?
On le sent, si le texte est court, au détour de nombreuses phrases, avec une langue inventive, les auteurs disent l'écho des interrogations, des doutes, des espoirs, qui agitent aujourd'hui toute personne ayant l'amour de la liberté.

L'essentiel n'est-il pas de les rendre jaloux, ces ennemis de la Commune ? Leur démontrer que d'autres modes de vie existent. Cette Commune n'est pas un lieu d'idéologie, chacun-e y invente selon ses envies, et c'est bien pour cela qu'elle n'est pas un modèle à copier : chaque alternative est et sera différente, adaptée à son territoire. La multiplicité face à l'uniformité.
Heli, libérée, enlevée de son hôpital mortifère, c'est déjà une fête. Et puis, il y a la fête qui s'improvise dans le chapitre final du livre, où tout s'arrête, parce que la vie déborde !

ps : terminons en soulignant, la présence récurrente des arbres dans le récit, phares bienveillants, végétaux réconfortants, au milieu des machines de surveillance de la smart city !
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Sous le signe du combat toujours recommencé, du bonheur de vivre différemment et de l'utopie radicale, une vigilante et joyeuse dérive à deux par les rues et les places de la Commune imaginaire de Belleville.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/05/note-de-lecture-maraudes-dilem-bri/

Retour à la Commune de Belleville, que l'on avait connu pleine de bruit et de fureur, au milieu des combats de rue, des menées souterraines, des vengeances et de la vindicte ordo-capitaliste, dans « Melmoth furieux » (2021). Avec ce « Maraude(s) », publié à La Volte en octobre 2022, concocté à deux voix par Sabrina Calvo (Bri) avec le poète urbain Dilem, nous voici conviés sur le même terrain à un périple en apparence plus apaisé, quasiment bucolique, par places et ruelles connaissant une forme de répit armé et toujours vigilant face à la domination qui rôde aux alentours. Parcours allègre d'un périmètre de défense (on verra à la lecture que Elsa Dorlin et son « Se défendre » ne sont pas être si loin), occasions de convivialité authentique glanées au fil du fortuit (mais qui sont d'autant plus significatives qu'elles émanent volontiers d'une lutte aux objectifs majoritairement partagés – malgré les ou grâce aux différences d'appréciation de la situation par toutes les composantes de la Commune), dérive placée d'emblée ou presque sous le signe debordien de la psychogéographie appliquée (les cercles concentriques et les pénétrantes tracées par le Iain Sinclair de « London Orbital », « London Overground » et « Quitter Londres » proposent bien ici leurs échos) : « Maraude(s) » – dont le titre renvoie aussi, naturellement, à cet élément permanent du paysage contemporain affligé que sont désormais les rondes conduites par les associations pour offrir leurs services de première nécessité aux sans domicile fixe, aux migrants, aux travailleuses et travailleurs du sexe, et à tout que la Cité capitaliste rejette et déclasse si volontiers à ses marges – nous offre tout cela. Mais cette novella le fait à sa manière bien personnelle, inscrivant dans la marche même parmi les paysages urbains des XIXème et XXème arrondissements parisiens ses traits d'humour noir, ses formules-chocs, ses pas de côté inattendus et ses slogans joyeusement multivoques.

Dans une échappée d'écriture devenue relativement rare dans la fiction contemporaine (on retiendra parmi les heureuses exceptions des textes d'Alain Damasio ou de Kim Stanley Robinson, d'Ursula K. Le Guin ou de Doris Lessing), « Maraude(s) » accepte, voire recherche le triple choc de la théorie, de la discussion et de la praxis, se refusant ainsi à céder sans résistance à la doxa du show don't tell, mécanique littéraire si souvent dominatrice même lorsque la « règle » gagnerait à être mise de côté.

Dans cette collection Eutopia de la Volte qui s'efforce depuis maintenant quelques années de nous proposer des textes à la fois courts et roboratifs, contribuant à redonner du souffle utopique à nos principes espérance en jachère, à l'image du « Résolution » de Li-Cam, du « Collisions par temps calme » de Stéphane Beauverger ou même du « Un souvenir de Loti » de Philippe Curval (d'une tout autre manière), « Maraude(s) » se signale aussi par plusieurs phrases révélatrices (citons par exemple « Nous avons besoin d'un but, pas simplement de résister : l'imaginaire des cabanes ne suffit plus » ou « Comment inventer l'avenir si le passé nous échappe ? ») qui la placent résolument, davantage encore sans doute que « Toxoplasma » et « Melmoth furieux », du côté de cette utopie radicale qu'appelle de ses voeux Alice Carabédian dans son récent essai tonique, du même nom. Et cette convergence combative des imaginations littéraires et politiques à bien de quoi nous réjouir.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
On glisse sous les défenses et on entre chez l’ennemi – mais lequel ? L’occupation policière est palpable, ça doit être une zone sous loi d’urgence. On se faufile sans attirer l’attention, on a l’habitude. Ca grouille, des jeunes bien habillés profitent de la paix pour acheter des fromages hors de prix. On les a appelés bobos, mais on sait que ce mot ne veut plus dire grand-chose. La frange radicale de cette classe créative a d’ailleurs rejoint la Commune, laissant une partie du bas-Belleville aux profiteurs, ceux-là même qui lèchent les cops pour se donner bonne conscience. Car on sait ce qui se passe ici.
Place de l’Orgie, les cages publiques. Des clameurs, des regards entre les barreaux. Paris montre son vrai visage. Sous le soleil d’un printemps qui n’en finit pas, plusieurs de nos camarades sont enfermés dans de grandes structures métalliques, d’anciens terrains de sport devenus prison à ciel ouvert. On n’imagine pas le calvaire que ça doit être pour nos camarades à l’intérieur. Entassés, moqués par les passants. Sans savoir quand ils seront relâchés. Des cages comme ça, y en a plein la ville. Et nous les cages on veut les ouvrir toutes.
Retour dans nos murs, on en a assez vu. On remonte Belleville puis Rébeval et les escaliers. On croise une moto caméra de la ville – dégénérescence de bubons mobiles. Elle fait pas dix mètres et se fait caillasser. L’ennemi regorge d’imagination pour nous espionner, c’est terrible.
En descendant Bolivar, on pense à l’image, à la nécessité de peut-être devoir se battre sur ce plan-là, un jour : de ne plus leur nier le droit de nous regarder mais peut-être bien de les rendre jaloux. De notre liberté, même ghettoïsée. De notre style et de nos modes de vie.
On va manger un de ces délicieux kebabs végé sous l’arbre géant de la place Bolivar. Ici, les bubons-camrés, l’arbre lui-même se charge de les faire tomber comme châtaignes. On s’assoit sous ses branches. On se dit que c’était ça, la meilleure vengeance : nous sommes toujours en vie. Après tout ce temps, après les affrontements, les raids et l’injustice, on continue à leur faire des doigts dans nos survêts italiens.
À l’angle du parc, la barricade de l’ID coupe l’avenue Bolivar et fait face aux groupes de fachos qui tiennent le 11e arrondissement. Ce que l’on appelle souvent la « queer zone de défense » est souvent en tension à cause des réserves de pétrole dans le sous-sol de la station-service, de nombreuses guerrières tiennent ici leurs positions mais, selon la légende, les débats internes peuvent parfois être aussi éprouvants que les combats.
Manquant de temps, nous évitons stratégiquement l’affrontement et nous nous engageons dans le chemin de garde qui parcourt le haut du parc des Buttes-Chaumont. Nous sommes surprises du nombre de combattantes que nous y croisons. Le haut du parc semble n’être qu’un gigantesque camp d’entraînement. Tous les sports de combat du monde sont mis en partage et les militantes se forment en autogestion aux dernières pratiques de guérilla urbaine à la mode.
Notre regard s’arrête sur les régiments bien spécifiques de joggers. Jadis esclaves du capital, ils ne peuvent s’arrêter de courir et leur incorruptible mentalité néo-libérale demande toujours plus de performance. Véritables cyborgs mercenaires, leurs corps sont outillés par la Mesure. La plupart reviennent de loin, échappés des centres métropolitains ultra-connectés, ils sont maintenant au service de la Commune. Certains d’entre eux produisent une partie de l’électricité dans des sortes de goulags souterrains dont l’existence pose question aux plus convaincus des révolutionnaires. D’autres forment des troupes de démineurs qui percent les lignes ennemies dans un écran sacrificiel.
Nous observons un instant leur va-et-vient évoquant l’accélérationnisme de nos anciens maîtres. Il est troublant de voir que ces individus – ce banquier courant dans la posture voûtée et douloureuse du pénitent ou ce journaliste sérieux et dispo dans son imperméable Libération -, ne savent pas quoi faire de leurs mains.
Outre les corps des ex-capitalistes, l’ensemble des Buttes-Chaumont est le lieu de fights régulières, d’escarmouches avec les ennemis de la Commune. Le bas du parc est en fait un no man’s land déserté, vivant les allers et retours de forces armées. L’enjeu majeur de ces combats est le promontoire rocheux où s’accroche la tour du Romantisme.
Après avoir visité par courtoisie le comité de défense réuni au local Rosa Malheur, nous nous perdons dans les petites rues de l’arrière, fuyant ce front tumultueux de la Commune. Nous prenons la plus petite rue de Paris, ruelle oubliée du plateau qui mène à la cabane en bambou, refuge végétalisé au cœur de la ville. Nous y retrouvons – grâce au plaisir simple du hasard – des ami.e.s pour prendre le thé.
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Premier départ de nos maraudes, place Krasucki, sous le Micocoulier, increvable et déjà centenaire. Une fin d’après-midi, des oiseaux en embuscade, les enfants se bousculent à la boulangerie, une équipe de zone s’arrange autour du café Voltigeur. Après une rapide visite de la barricade des Cascades – un amas de trottinettes et de vélos Uber -, nous remontons la rue des Envierges.
Échange de banalités – la vie, ça va mal et toi – dans cette rue mille fois grimpée. Puis, première dérive dans la marche programmée : et si nous entrions dans la villa Faucheur ? Là où des anarchistes avaient jadis installé la fabrique de bombes artisanales. À peine passé les portes en fer forgé, la fiction infuse dans notre esprit. Le sensible – le fer des portes ouvertes – se mélange à l’histoire – les bombes – et au présent – la cité HLM. Nous apprenons que cette forteresse abrite un jardin où il fait bon vivre et où l’on cultive les arbres de la mémoire. À n’en pas douter, la cité HLM est notre château communal, une zone à défendre quand viendront à nouveau les fascistes.
Moment de grâce dans les merisiers en fleur où notre inspection militaire prend des airs de promenade champêtre. Ce flottement de la conscience qui parut durer des années – dans notre pensée les souvenirs se baladent d’une tête à l’autre : la cité universitaire de Madrid sous les balles en 36, des gens qui s’affrontent depuis les fenêtres dans une BD de SF – c’était Judge Dredd -, nous l’appelons la théorie des blocs.
À savoir : Lorsque disparaît l’Hégémonie, les bandes réapparaissent, des pans entiers d’immeubles qui se tapent dessus de fenêtre en fenêtre ; la reconstitution tribale des étages, la surveillance des cours plus bas et parfois, parfois, quand les fafs s’incrustent encordés pour grimper les pentes inversées des façades et planter leurs drapeaux en signe de conquête, on s’amuse à renouer avec l’huile chaude. Il y a des immeubles interdits, des immeubles secrets et des dédales de parkings criblés de canalisations où nagent les requins-keufs – c’est ce que disent les enfants d’ici, qui ramènent parfois de faux ailerons de leurs expéditions.
Au moment de sortir du labyrinthe, nous croisons la Faucheuse qui habite ces tours. Nous reconnaissant, elle nous invite à une réunion du comité de défense de la zone 5 – le parc de Belleville. Nous en profitons pour lui demander comment elle pense qu’il faudrait défendre sa cité. Surprise, elle préfère nous surprendre à son tour : la défense n’est-elle pas une fermeture ? Pour l’instant, dit-elle, les portes en fer ferment bien des portes. Mais certain.e.s habitant.e.s s’organisent pour les tenir ouvertes et, s’il le faut, s’organiseront bien pour les tenir fermées.
Rue Piat. Une tour de bois et de verres en mosaïque étincelle et domine les plus hauts arbres du parc. Une seule échelle mène au sommet en dôme, à l’observatoire psychogéographique. En haut, une secte dissidente issue d’une scission de la fédération syndicale des Chouffs de Belleville médite d’un œil et surveille de l’autre toutes les routes vers Paris au sud de la Commune.
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À Belleville peu de gens utilisent encore la cybernétique – il reste évidemment des téléphones portables, mais ils ne sont utilisés que sur les barricades – et la plupart des communautés privilégient les téléphones fixes collectifs. Nous prenons plaisir à être injoignables.
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Et puis ? nous n'allons pas pour autant entrer dans la logique de l’ennemi – qui trop combat le dragon devient dragon lui même –, s’il nous faut bien rendre la justice, prendre en charge les embrouilles, parfois en venir à la bagarre et se salir les mains, nous refusons catégoriquement de recréer une police, de nous fliquer entre nous, de rétablir la torture, la prison, l’asile, la délation. 
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Et nous ne pouvons qu’être pris par la peur que reviennent les “années folles“ de l'illusion démocratique où l'on tente d'oublier les millions de morts et les luttes, les pulsions et les désirs. 
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