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EAN : 9782290001547
286 pages
J'ai lu (03/09/2007)
3.72/5   126 notes
Résumé :
Que restera-t-il de nous ? Peut-être des souvenirs, magnifiés, interprétés ou, pire, falsifiés. Inanimés, nos meubles, nos habits, nos objets familiers jalonnent le sillage de notre vie. Ils sont les témoins silencieux de nos joies et peines. Le kétala, le partage de l'héritage, disperse tout ce que possédait celui ou celle qui n'est plus. Attristés par leur séparation imminente, les meubles et divers objets de Mémoria cherchent un moyen d'éviter l'éparpillement des... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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sur 126 notes
Voici un roman atypique, à la belle langue, à la fois joyeux et tendre, qui nous plonge d'une maniére peu usitée au coeur de la tradition orale de l'Afrique, plus précisément au Sénégal, terre de naissance de l'auteur.
"Le Ketala "est le partage de l'héritage .
Il disperse l'ensemble des meubles ou objets qui jalonnaient la vie de celui ou celle qui n'est plus.
En l'occurrence , ici celle de Mémoria, leur défunte propriétaire, tant admirée et aimée.
"Lorsque quelqu'un meurt ....nul ne se soucie de la tristesse de ses meubles. "Peut être des souvenirs magnifiés, réinterprétés ou pire falsifiés. .....
L'auteur nous convie par ce biais original à restituer par la voix des meubles , "réunis" en assemblée, tels "vieux collier de perles"," oreiller" ," canapé, "mouchoir," statue d'ébène " babouches", "montre, "....témoins silencieux de la vie de Mémoria, de ses joies et de ses peines , à lui rendre hommage , en racontant tout ce qu'ils savent ....Un dialogue qui met mal à l'aise au début s'instaure entre ces familiers de l'héroïne disparue.
Le lecteur par ce biais surprenant et inédit revoit la vie de cette jeune femme arrivée vierge au mariage . Elle se voit confiée à un homme choisi par sa famille ....
On découvre les traditions familiales de là bas: pression de la famille, mariage arrangé, culture orale transmise de génération en génération, autorité incontestable du père, simulacre d'union non consommée, solitude à l'ombre d'un époux homosexuel trés discret.
Un drôle de livre magnifiquement écrit, doux, subtil , déroutant et original, nous plongeant au coeur de l'Afrique , qui peut ne pas plaire à tout le monde , de par sa forme ....
C'est aussi un ouvrage de mémoire et de transmission, un bel hommage fin, pétri de poésie,et émouvant à la tradition orale de l'Afrique, à ses particularités et à sa culture ancestrale ....
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Fatou Diome après le grand succès de son premier roman ,
"Le Ventre de l 'Atlantique", évoque dans "Le Kétala", la douleur engendrée par la perte définitive d 'un être aimé
Que reste-t-il de nous après la mort ? Cette question constitue la trame principale du roman .Mémoria est morte .
Dans quelques jours , l 'imam va procéder ,comme l 'exige la tradition musulmane , au Kétala , le partage de
l 'héritage .Accablés par la séparation prochaine , les meubles et divers objets familiers de la défunte cherchent un moyen d 'empêcher la dispersion des traces de leur propriétaire bien-aimée .Alors ceux-ci décident de lui rendre un hommage avant leur éparpillement .Pendant les cinq jours et les six nuits qui les séparent de la cérémonie , ils vont reconstituer par la parole ,la mystérieuse vie de leur maîtresse tant aimée .
Ainsi s'organise une assemblée atypique où chaque objet de la défunte prend la parole et raconter aux autres ce qu 'il a vu et seulement ce qu 'il a vu , sans aucune interprétation .Ainsi tous les objets de Mémoria , vont reconstituer le puzzle de la vie de leur ex- maîtresse. Témoins silencieux de ses joies et de ses peines , ils vont donc d 'une manière plus humaine que les hommes , reconstituer le puzzle de sa vie . Il se dégage de ce roman
l'idée que seuls nos meubles et nos objets personnels nous connaissent vraiment car ils nous accompagnent à chaque instant de notre vie , même dans nos moments les plus intimes . l'auteure en cédant la parole à des objets inanimés , elle leur permet d 'une certaine manière de vivre humainement .Ces" voix de l 'absence "comme elle les nomme , ne cessent de critiquer toutes les tares des humains , alors que leurs témoignages révèlent qu 'ils ont
également tous les défauts qu 'ils leur reprochent .
Dans "Kétala", l 'auteure très imprégnée par sa culture africaine , s 'attaque à certaines traditions africaines comme : les mariages arrangés , la femme marginalisée , elle doit se soumettre aux quatre volontés de l 'homme sans aucune considération de son opinion ou avis ...En bref elle dénonce la dictature de l 'homme et le peu de droit accordé à la femme africaine .Elle dénonce
l 'hypocrisie .
La grande richesse de ce roman réside dans l 'écriture poétique et musicale de son auteure qui voulait sans doute rendre hommage à le tradition orale de l 'Afrique .
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Triste histoire d'une jeune Sénégalaise… racontée par ses meubles

Kétala, c'est la cérémonie où on se partage les effets d'un défunt, et avant qu'ils soient éparpillés, les objets partagent ce qu'ils savent de la vie de Mémoria, leur maitresse, afin qu'ils puissent tous conserver son souvenir.

C'est l'angle original que l'auteure a choisi pour raconter la vie d'une femme contrainte d'épouser un homme qu'elle connait à peine.
En plus de divergences de sentiments, le couple vivra de nombreux problèmes, et après avoir vécu en France quelques années, Mémoria retournera au pays pour y mourir.

C'est une histoire pas toujours joyeuse, mais le regard extérieur des meubles crée une distance qui allège le propos. Il faut bien sûr adhérer à cet artifice et faire comme si c'était normal d'assister à une discussion entre une assiette, un mouchoir et une statue ancienne…

Un texte d'une belle écriture, un roman qui rappelle les difficultés de la vie de femmes africaines.
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Le roman Kétala autopsie une nouvelle forme de domination de l'homme par l'homme. Une domination à versants moral et sentimental. L'héroïne paie tribut à cette dictature. Utilisée comme objet de convenance sociale et de conformisme sociétal, elle endure mariage blanc et solitude à l'ombre d'un époux homosexuel discret. Pire, ses parents à qui elle doit, selon les normes éducatives et coutumières, révérence et soumission, tirent sur la corde et précipitent sa damnation.

Qui de l'homme ou des objets conserve le mieux la mémoire ? Kétala répond en contrepoint à cette question et Fatou Diome n'y va pas de main morte, affirmant et démontrant que l'être humain oublieux et ingrat n'entretient guère les souvenirs des défunts tandis que les objets en sont de fidèles dépositaires.

Ainsi la romancière leur insuffle-t-elle une âme et la parole. D'ailleurs n'en ont-ils toujours eu ? Les objets ne sont-ils pas des créatures vivantes et sensibles comme les humains ? Eux aussi sont bouleversés et endeuillés après la perte d'un être cher, même si « nul ne se soucie de la tristesse » des « meubles » à la suite d'un décès.

Condamnés au Kétala (partage de l'héritage), à l'éparpillement, les objets prennent donc l'initiative de raconter à tour de rôle leurs souvenirs afin de reconstruire soigneusement l'histoire de la brève vie de Mémoria. Un nom très évocateur faisant allusion à la mémoire, à l'anamnèse, point focal du roman.

Sous le sceau d'une restitution de mémoire donc, les objets font un procès aux humains arrogants et peu respectueux les uns envers les autres. Eux, dignes, s'abstiennent de se venger en dépit de la tentation qui les titille. Kétala est en quelque sorte une révolte. Celle des objets contre les errements des hommes. Fatou Diome les humanise, les élève à hauteur d'homme afin qu'ils le jugent à pied d'égalité.

Argument

D'abord le parcours de l'héroïne, de sa naissance dans un village jusqu'à l'émigration de sa famille à Dakar, est banal et ressemble à celui de plusieurs Sénégalais. Puis sur les chapeaux de roues, sa vie s'élance et sonne le glas de son bonheur de fille choyée par un père, riche commerçant. le mariage avec son cousin qui devait être un prolongement de ce bonheur a été une déconfiture à tous égards. Car son mari, homosexuel discret, n'honore guère son devoir conjugal, préfère passer ses soirées dehors et rentrer à pas d'heure. Comble de désespoir, l'épouse cocufiée le surprend à poil avec sa meilleure amie, sa professeure de danse, qui est en fait un homme travesti en femme. Ce drame allié à la dévaluation du franc CFA précipite leur départ pour la France. Dans ce pays, Mémoria , toujours très amoureuse de Makhou, compte enfin le reconquérir. Peine perdue. Continuum de solitude et de continence. L'époux poursuit en effet ses fréquentions homosexuelles, et en désespoir de cause, elle le chasse de la demeure. Sa vie prend alors un tournant tragique. Obligée de subvenir à ses besoins, de poster des mandats réguliers à ses parents, elle s'engage d'abord comme danseuse puis lentement, afin d'arrondir ses gains, se glisse vers la prostitution. Elle parcourt en un temps record les trottoirs de France et d'Europe, contractant dans la foulée une maladie incurable et fatale, que l'auteure ne nomme jamais quoique le lecteur sache qu'il s'agisse probablement du VIH. Histoire de se disculper, son époux la raccompagne au pays où elle mourra peu de temps après, au ban de sa propre et ingrate famille.

De l'homosexualité

Fatou Diome traite ici une thématique pas si souvent abordée en littérature africaine, même si sa compatriote Ken Bugul l'avait ébauchée quelques décennies plus tôt dans le Baobab fou.

Quelle est la position de l'auteure sur cette question hypersensible en terre africaine ? Les objets ne sont-ils pas l'écho de Fatou Diome ? Et ils sont vent débout contre une société trainant aux gémonies cette orientation sexuelle jugée contre-nature. Si Tamara s'est travesti en femme et Makhou a accepté d'épouser Mémoria, c'est pour échapper à cette marginalisation dégradante et sacrifier au moule conservateur de la société sénégalaise portée à instancier un individu traditionnellement et moralement irréprochable. « Chaque fois que la société nie une part d'elle-même, elle baisse le rideau de fer de l'hypocrisie devant ses propres yeux ». « Atypique » certes, mais la romance homosexuelle est « douce, joyeuse, émouvante, innocente… » « Un amour sincère… un amour comme chacun voudrait en vivre. »

Ainsi Fatou Diome semble avoir tranché et choisi son camp : l'homosexualité n'a rien à se reprocher. C'est dans l'air du temps. La plupart des personnalités africaines jouissant d'une certaine autorité intellectuelle abondent dans ce sens, pour faire les yeux doux à l'Occident où cette pratique est des plus normales. Car dans le tourbillon de la mondialisation et de l'homogénéisation des sociétés, les pays occidentaux s'escriment, aidés par quelques comparses locaux, à répandre les mêmes valeurs dans chaque nation.

Certes l'homosexualité a peut-être existé depuis la nuit des temps en Afrique, mais sous l'impulsion de certains défenseurs des droits de l'homme, sa banalisation, son expansion et sa légalisation est en train d'être imposée à l'Afrique. Comme si le meurtre pour la seule raison qu'il a toujours existé dans toute société a lui aussi le droit d'être légitimé.

De l'aumône

Ou la dette des enfants envers les parents. Celle-ci a été l'une des causes de la descente aux enfers de Mémoria. Pour s'en acquitter, elle a dû s'acoquiner avec le monde interlope de la prostitution. Et on connait la suite.

« Au lieu de faire des enfants, ceux qui rentabilisent leur progéniture feraient mieux de coter leurs ovules et leurs spermatozoïdes en Bourse. S'il faut allaiter son bébé et lui demander ensuite d'en payer le prix durant toute sa vie, les gynécologues, les banquiers et les avocats devraient trouver une méthode pour proposer aux foetus des contrats in utero. »

L'auteure pose ici la question du devoir. Celui des enfants envers les parents. Surtout ses limites. Il s'agit là d'un problème très délicat. Enfant, on a été nourri et blanchi par nos parents. Adulte, a-t-on l'absolu devoir de leur renvoyer l'ascenseur ? Dans l'affirmative, jusqu'à quel point ? Jusqu'à leur sacrifier toute notre vie, notre indépendance, notre bonheur personnel ? Mieux, une telle exigence de la part des parents, une telle contrainte de remboursement, n'est-elle pas tout simplement immoral et égoïste ? N'est-elle pas la conséquence de ce rapport humain (ou plutôt inhumain) où toute bonne oeuvre est accomplie dans l'attente irrépressible que la faveur soit retournée ? Malheureusement, en Afrique souvent ce rapport dominant-écrasé constitue celui des parents et des enfants.

Les ficelles de la narration

Il s'agit ici d'une narration de roulement où plusieurs objets successivement se confient, s'épanchent, dessinent le destin martyr et tragique de l'héroïne.

L'interruption de l'histoire à tout bout champ finit par embêter le lecteur même si cette technique maintient le suspens. La vie de Mémoria est en effet un puzzle qui se construit minutieusement, il faut prendre la peine de bien poser les pions, les évènements, l'auteure les ponctue ainsi de commentaires et en profite pour glisser des faits lui tenant à coeur, comme la dette des enfants envers les parents, la religion ancestrale africaine, le lévirat…

Un style aphoristique dans un récit haché.

de la décolonisation de la pensée

Quoiqu'il s'agisse d'un thème neuf et d'un mécanisme narratif très original, j'ai eu du mal à me laisser embarquer dans la bourrasque de l'histoire, les commentaires à vocation didactiques distillant une certaine demi-lassitude. On a parfois l'impression que la romancière, docteur ès lettres modernes, nous livre un cours de littérature française (au moins pourquoi pas africaine puisqu'il est question d'un sujet africain ?). L'auteure sénégalaise inonde le récit de citations d'écrivains français, comme si la littérature africaine écrite, déjà vieille de presque cent ans, n'a pas suffisamment produit d'auteurs valables ou d'oeuvres appréciables afin qu'elle s'y réfère. Et ironie de l'histoire s'est récemment tenue à Dakar une conférence d'intellectuels africains dont l'un des thèmes principaux était la décolonisation de la pensée. Citer un auteur européen reste toujours chez nous une preuve d'érudition et jouit d'une bonne presse. Ne faudrait-il pas plutôt balayer devant nos propres portes d'abord, avant de s'occuper de la devanture de celles des autres ? Autrement dit, citer davantage nos auteurs afin d'affermir, de solidifier leur place dans la littérature mondiale, où elle reste très marginale.

Je ne prône certes aucun vase clos de la pensée ou un quelconque protectionnisme intellectuel, toutefois nous devons déjà être fiers du corpus généré par les artistes noirs. Et sans doute pour vider l'abcès, il faudrait, au bout du processus de libération, écrire dans nos propres langues aux fins de décoloniser radicalement la pensée africaine. Il y a des déjà des précurseurs comme Zénab Koumanthiou Diallo ou le romancier Boubacar Boris Diop, auteur d'un roman en wolof. A la question qui lui a été posée par jeune Afrique, « Pourquoi écrire et publier des romans en wolof ? » Boubacar Boris Diop répond : « Et pourquoi pas ? » Il ajoute : « tout processus de développement doit se fonder sur les langues nationales. À moins que le processus d'acculturation ne soit arrivé à son terme, comme en Amérique latine, jamais un peuple ne s'est développé dans une langue étrangère ».

Pour qu'un tel élan salvateur puisse avoir le vent en poupe, il est nécessaire qu'il soit soutenu, encouragé par les intellectuels du continent en collaboration avec les autorités publiques.
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N°601– Novembre 2012.
KETALAFatou Diome - Flamarion.

Le livre refermé que m'en reste-t-il ? Au vrai une somme d'impressions bizarres, à la fois agréables, futiles, instructives et finalement émouvantes.

Cela n'a pas été simple, ce roman a bien failli souvent me tomber des mains et j'ai eu envie de l'abandonner en cours de lecture. La mise en scène qui pouvait paraître originale m'avait un peu agacé : Sous les latitudes africaines, une assemblée d'objets ayant appartenu à une femme, Mémoria, tiennent une sorte de conférence au sommet avant d'être sans doute dispersés. Ils en profitent pour évoquer la vie de leur propriétaire. « Objets inanimés avez-vous donc une âme » s'interroge le poète... mais là c'est carrément en tribunal que s'érigent ces choses. Ils le font d'ailleurs sous la présidence d'un masque qui dirige et inspire des débats et on se demande si ce choix de l'auteure se porte sur lui parce qu'il domine cette assemblée de part sa positon élevée ou s' il a été choisi pour le symbole de l'hypocrisie qu'il représente. Son office est en effet de cacher le visage (la personnalité) de celui qui parle, la réalité des choses en faisant valoir le paraître au détriment de l'être. Après tout, pourrait-on dire, le grand Jean de la Fontaine, en s'inspirant d'Esope et des autres n'a pas agit différemment en faisant parler des animaux pour singer et critiquer les choses humaines et personne n'a rien trouvé à y redire.

Bref, voilà donc un dialogue qui s'installe entre les meubles dont Mémoria s'est servi, un véritable débat entre une assiette, un ordinateur, un vieux collier de perles, une statue, un canapé... un véritable inventaire à la Prévert ! Tout ce petit monde parle de concert mais personne, et surtout pas les hommes qui les entourent et les voient ne peut les entendre dialoguer. Ils échangent en toute liberté leurs sensations, leurs sentiments et leurs souvenirs où leur propriétaire est présente. C'est qu'ils ont une bonne raison pour cela, Mémoria vient de mourir et c'est eux qui s'érigent en gardiens de sa mémoire. La tradition africaine et islamique veulent qu'à la mort de quelqu'un on se partage ses biens, c'est le Kétala qui donne son titre à cet ouvrage, selon des règles précises et codifiées à la fois par la religion et par la coutume. Avec cette mémoire ainsi évoquée par ces objets, le lecteur revoit ainsi la vie courte de cette jeune femme naïve qui arriva vierge au mariage et qui se vit, au terme de tractations familiales convenues et ancestrales, confiée à un homme, Maklou, qu'elle ne connaît pas, dans le seul but d'être une épouse soumise et qui perpétuera la descendance. Pourtant, malgré sa beauté, elle est délaissée par cet époux qui fait d'elle une créature éplorée à qui il a volé son bonheur tout neuf. Comme toute jeune fille devenant une épouse et malgré la tradition d'un mariage arrangé entre des parents pourtant présentés comme évolués, elle se bâtit un avenir de foyer et de maternité, bref tout ce qui est l'attribut de la femme africaine et même des femmes en général. Sauf que le mari, qu'elle ne connaissait effectivement pas lui échappe très tôt. Elle ne comprend pas le fait qu'elle ne puisse pas le séduire, le garder auprès d'elle, mais elle ne tarde pas à prendre la mesure de la réalité. le cocuage inattendu et surtout brutal, la trahison d'une amitié autant que l'erreur sur la véritable nature de son époux font vite partie de sa nouvelle vie et la bouleverse durablement à plus d'un titre.

Les époux partent cependant pour la France où Maklou a encore des contacts dans l'espoir que le dépaysement arrangera un peu les choses. Strasbourg s'offre donc à eux avec une vie facile et ce d'autant plus de lui ne peut résister à ses démons. Partir vivre en France pour un couple d'Africains est une bénédiction pour les membres de leur famille restés au pays. Pour eux ils sont l'assurance de mandats réguliers qui sont davantage un dû qu'une libéralité à leur profit. Là aussi la tradition est respectée.
Pourtant, l'envie que Mémoria a de faire durer artificiellement son couple ne résistera pas aux événements qui, bien entendu, débouchent sur une séparation des époux et une vie malheureusement en marge de la société et de la morale pour elle. Elle y trouvera tout à la fois un moyen de subsistance qui lui permettra de vivre et de continuer ses mandats, de cacher la réalité à sa famille mais aussi d'obtenir des autres hommes l'amour que lui refuse son mari.

Si la tradition de l'Islam est respectée, celle judéo-chrétienne de la faute ne l'est pas moins puisque Mémoria est punie par où elle a péché. Elle va contracter une maladie sexuellement transmissible qui va l'emporter et son mari, sans doute rongé par la culpabilité ou désireux lui aussi de sauver les apparences la ramènera sur la terre africaine où elle sera ensevelie. le remords pourtant aura raison de la tradition qui veut qu'un veuf, surtout jeune, épouse une des soeurs sans enfant de sa défunte femme et que les objets qui lui ont appartenu soient disséminés dans la parentèle. Maklou refusera d'observer ces prescriptions, gardera tout ce qui a appartenu à son épouse et ne se remariera pas... pour d'autres raisons.

J'avoue que j'ai eu du mal à entrer dans l'univers de ce roman, un peu agacé aussi par la volonté de l'auteure d'introduire au cours du récit et à la faveur de la naïveté supposée des objets-acteurs des définitions puisées dans les figures de la rhétorique littéraire. J'avoue aussi que je me suis laissé émouvoir par la destiné hors du commun de Mémoria, par le chagrin qui accompagne la mort de cette jeune femme qui aurait mérité un autre sort, mais le happy-end facile et convenu qui, bien souvent conclue les romans ne me convient pas. Ce genre de fin est souvent bien éloignée de la réalité de la vie des hommes. Je regrette aussi la dernière phrase « Lorsque que quelqu'un meurt, nul ne se soucie de la tristesse des meubles ». Là aussi, j'attendais autre chose, à la mesure notamment de l'émotion ressentie à la suite de cette histoire.

©Hervé GAUTIER – Novembre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
D'abord, sache que les ancêtres Mémoria n'étaient ni musulmans ni chrétiens. Animistes ou païens, ils avaient la liberté de célébrer leur culte où bon leur semblait. Avant l'arrogance des lieux de culte en béton, ils savaient communier dans la sobriété et entendre la voix protectrice de la nature dans le feuillage touffu du bois sacré. Seulement, leurs descendants sont comme des buvards et absorbent tout ce qu'on leur déverse. Ils méprisent leurs aïeuls, renoncent à leurs propres croyances et défendent corps et âmes celles d'autrui. C'est peut-être ça, le respect de soi? Moi, Masque, maintenant ils me trouvent bizarre, folklorique ou pire, primitif. Eh oui, c'est comme ça qu'ils disent, avec hauteur. Mais des consciences, je suis la première. Ma bonne mine figure leurs joies. Mes grimaces reflètent leurs peurs. Mes fissures sont les entailles de leurs âmes. Ma cavité est l'écrin de leur être. Masque sévère de veillées funéraires, je permettais le dialogue avec l'esprit des morts. Masque dogon, aux scarifications profondes, sur moi sont gravés les secrets de la forge. Je suis le masque initiatique, j'apprenais au berger et à la bergère comment inonder un lac pour faire pousser des roseaux. Discret j'écoutais la musique du lit. Les yeux baissés devant les femmes comblées, je bénissais les naissances qui honoraient les hommes. Et même les rois me confiaient leur sceptre. Je suis celui que l'on vénérait, celui qui intercédait devant Cérès, Vénus, Cupidon et Morphée. En moi dorment les ancêtres. Signifiant toutes les règles de la vie sociale, je préludais aux gais comme aux tristes événements, que nul ne clôturait sans moi. Mais maintenant, les Hommes ne me prient plus, ils m'exposent dans leurs salons ou dans leurs musées. Ils m'abandonnent à l'indiscrétion de la foule irrespectueuse, alors que ma dignité est dans le secret des cours. Je veillais sur Mémoria, comme ses parents l'avaient voulu, mais elle ne se fiait pas à ma puissance sacrée, elle préférait porter ses tourments dans des lieux figurant l'orgueil des Hommes. Bref, elle croyait à sa façon et cherchait des solutions où elle pouvait, ne la blâmons pas pour autant. D'ailleurs, si Dieu a fait l'Homme à son image, pourquoi n'aurait-il pas deux oreilles, pour écouter les prières venues de toutes parts? Eglise ou Mosquée? Oreille gauche ou droite? Peu importe dans laquelle on crie sa détresse, l'essentiel, c'est d'être entendu.
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"Août s'éclatait les poumons.
Un souffle tiède dilatait les narines et ne soulageait personne.
La brise, elle, finissait toujours par arriver, mais cette malicieuse abandonnait sa douceur au large pour débouler, ardente et bruyante, sur les terres ....."
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Le ravalement, ce n’est pas réservé aux façades des bâtisses, l’humeur en demande, parfois, quand on décide de se donner une seconde chance ! Martyres du couple ou proies consentantes, les mordues de l’alliance savent combattre leur juste révolte et dire « chéri » quand elles pensent « chien ».

(J’ai lu, p. 197)
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Je viens d 'une civilisation où les hommes se transmettent leur histoire familiale ,leurs traditions ,leur culture , simplement en se les racontant , de génération en génération .
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Dans le silence du décor, sur la poussière muette qui couvre les objets, les mots libérés de l'esprit tracent de sinueuses pistes , ramassent et recomposent la vie émiettée.
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Vidéo de Fatou Diome
Au verbe contraint par les exigences d'un éditeur, Fatou Diome, pour qui l'écriture est pourtant une jouissance, une revanche, une nécessité, préfère le silence. C'est la thèse de l'essai flamboyant, drôle et imagé qu'elle publie en cette rentrée chez Albin Michel.
#littérature #écriture #rentréelittéraire
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