À mi chemin entre le beau livre, le livre de sociologie, d'histoire et d'ethnologie, nous avons affaire ici à une compilation de photographies choisies par les
Archives Nationales d'Outre-Mer, parmi un fonds très riche, de femmes des colonies françaises et d'Algérie prises entre 1844 et 1970. J'ai été frappée par la couverture qui représente une jeune mère camerounaise et son enfant que je trouve magnifique. Cette femme est belle et la photo avec son nourrisson est splendide (oui j'aime les photos avec des bébés potelés). Alors pourquoi le titre "
Ces femmes ne savent pas leur beauté" ?
Qui dit photographie coloniale dit propagande, apologie de la colonisation, discours sur la supériorité de l'homme blanc. Les annotations qui accompagnent certaines photos en disent d'ailleurs long sur l'opinion de l'homme blanc quant à ces femmes : "exotiques", "bête de somme", "marchandise"... Et pourtant l'homme blanc fantasme, quel raisonnement ambigu, quel manque de respect! J'ai trouvé très "comique" une annotation datant de 1894, faisant remarquer la dureté de la vie de la femme noire qui doit s'occuper des enfants, de la maison, des repas pendant que "son seigneur pérore dans les assemblées"... arrrgh...il est vrai qu'en France, ça se passait tellement différemment à la même époque (ahem...). Ces femmes sont donc loin d'être belles selon la plupart de ces messieurs et pourtant, elles apparaissent en tenue traditionnelle, en tenue d'apparat, avec des chevelures apprêtées, des coiffures compliquées, des tatouages marquant leur beauté! La subjectivité ne devait donc pas être un concept retenu par les colons. Se trouver belle n'était peut être pas non plus au centre de leur préoccupation (vite les civiliser, qu'elle prennent soin d'elles!).
Même si un grand nombre de clichés proviennent donc de campagnes politiques, font acte de propagande quant à la mission civilisatrice et salvatrice de la France (les pauvres, toutes moches, sans corset, toutes nues, manque d'hygiène, sauvons-les!) ou nourrissent le fantasme de la femme d'ailleurs, la femme exotique (et donc certainement à la sexualité débridée, re-argh), j'ai beaucoup aimé ces photos, entre clichés artistiques et clichés scientifiques, pour le regard sur l'histoire de la femme qu'elles éclairent d'une façon moins habituelle que des essais classiques.
J'aime beaucoup les livres de photographies : observer les visages, les yeux, les petits détails, m'imprégner de cultures que je ne pourrais certainement pas/plus approcher. J'ai toujours ce sentiment duel : que la photo est une représentation figée et inaccessible mais qu'il suffit d'y plonger, d'ouvrir son esprit et de se laisser entraîner par son imagination pour découvrir ce qui s'y cache. C'est à la fois frustrant et plein de liberté.
La beauté est donc subjective. Il parait qu'elle est dans l'oeil de celle/celui qui regarde et moi, j'ai vu leur beauté.
Merci aux Éditions Loubatières et à Babelio pour cette Masse critique.