Dès le moment où il avait commencé à fréquenter l’école, il s’était révélé un insoumis. De plus, il avait toujours exprimé sa pensée sans réfléchir, si bien qu’il s’était souvent retrouvé à contre-courant par rapport au reste de sa classe. Ses diatribes qui dénonçaient l’iniquité n’étaient pas vraiment du goût des gosses de riches, qui ne se souciaient guère du déséquilibre social. Ils lui avaient démontré qu’il s’était trompé et n’avaient pas manqué de le ridiculiser. Il en avait encaissé, des coups, sans oublier les quolibets qui pleuvaient et toutes les raisons qui étaient bonnes pour s’en prendre à lui. Il était devenu le souffre-douleur de l’école. On ne lui laissait pas le choix d’essuyer chaque nouvelle fantaisie de ses tourmenteurs, qui s’en donnaient à cœur joie. Lui qui était pourtant loin d’être un maigrichon, il n’était quand même pas assez baraqué pour effrayer quiconque, surtout qu’ils s’y mettaient à plusieurs. Il avait bien mal choisi son clan, et l’intimidation était devenue son lot quotidien. Sa révolte l’avait mené beaucoup trop loin, et il n’allait pas pouvoir revenir sur le droit chemin.
Lorsque la condition d’esclave avait été interdite sur le territoire de l’État, les Noirs avaient été laissés dans un total dénuement, souvent pire que l’esclavage, puisque les maîtres n’étaient plus responsables du bien-être de leurs travailleurs. On pouvait entendre leurs chants rythmés dans l’air torride des moissons. C’était une plainte d’amour qui germait malgré leur dénuement extrême, ou peut-être bien en raison de leur pauvreté accablante. Frank avait longuement fantasmé sur les déesses noires qui lui suggéraient des rêves exotiques. Son penchant pour les Noires qui avaient peuplé ses rêves sans jamais se matérialiser resurgissait.
Son père, qui était si économe quand il s’agissait de contrôler l’argent, devait certes avoir une caisse secrète quelque part. L’hiver approchait et il ne pouvait imaginer qu’il allait devoir passer un jour de plus à ressasser ses idées de liberté. Il avait ressenti le besoin impérieux de fuir loin, pour son bien-être aussi bien que pour sa survie. Il n’en pouvait plus d’une demi-existence qui ne menait nulle part. Dominé par l’autorité paternelle qu’il n’avait osé affronter sous aucun prétexte, il n’était jamais sorti de son village.
Il rêvait de son contenu, de l’argent qu’il voulait pour lui seul, de l’or qui lui donnerait le pouvoir de changer son existence minable. Finies, les courbettes, se plaisait-il à imaginer. Quand il serait riche, ce serait lui qui dirigerait sa destinée. Réputé inviolable, le coffre-fort constituait une énigme qui excitait la curiosité du jeune caissier, tenu en échec par un simple mécanisme. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait sûrement un point faible à l’armure, un talon d’Achille à la chambre de métal.
Il avait ressenti le besoin impérieux de fuir loin,
pour son bien-être aussi bien que pour sa survie.
Il n’en pouvait plus d’une demi-existence qui ne menait nulle part.