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Critique de Cancie


Une révélation frappe Michel Adanson le 26 janvier 1806, très exactement, six mois, sept jours et neuf heures avant le début de sa mort : « L'essentiel est de figurer dans la mémoire d'Aglaé (sa fille) tel qu'en lui-même, et non pas aussi immatériel qu'un fantôme de savant ». S'il a passé sa vie à décrire minutieusement près de cent mille « existences » de plantes, de coquillages, d'animaux de toutes espèces au détriment de la sienne, il parvient donc, à la fin de sa vie, non sans difficulté à achever la rédaction de ses souvenirs d'Afrique, espérant ainsi montrer à sa fille l'homme qu'il est.
Car s'il a fait ce voyage au Sénégal pour découvrir des plantes, il y a rencontré des hommes…
Après le décès de son père, ce père qu'elle a aimé mais terriblement absent, occupé par la rédaction de son « Orbe universel », son chef d'oeuvre encyclopédique, Aglaé va découvrir dans ces carnets le vrai visage de son père et combien ces années de jeunesse passées au Sénégal ont été un tournant dans sa vie.
Inspiré par les vrais carnets de voyage de Michel Adanson, David Diop relate comment ce jeune botaniste, vers 1750, envoyé par l'académie royale des sciences, est parti explorer le Sénégal pour explorer la flore locale, et a découvert un peuple, une langue le Wolof qu'il a apprise, et l'horreur de l'esclavage.
À travers ce récit, l'auteur nous permet de découvrir cette période pré-coloniale où le Sénégal est partagé en plusieurs royaumes qui se font la guerre et où, pour commercer et se déplacer il faut négocier avec les rois qui sont en place. Michel Adanson bénéficiera de la présence au cours de son périple d'un jeune homme, Ndiak, véritable sésame lui permettant de déambuler à l'intérieur du Sénégal, celui-ci lui ayant été fourni par le roi du Waalo. de même, les routes ou les voies de chemin de fer sont encore inexistantes et les déplacements difficiles et risqués. Adanson s'en apercevra, au cours de la recherche de cette Africaine, Maram, poursuite, qui le mènera du Nord au Sud du pays jusqu'à l'île de Gorée. Cette île était le lieu d'embarquement des Africains captifs sur les navires négriers et connue comme « la porte du voyage sans retour ».
C'est avec beaucoup d'émotion et de plaisir que j'ai voyagé aux côtés de ce botaniste, sujet au mal de mer, accompagné de Ndiak, deux porteurs de ses malles et de six guerriers du royaume de Waloo armés, qui a préféré rallonger sa progression en passant par les terres plutôt que par la mer.
J'ai été particulièrement sensible au raisonnement de Michel Adanson et à sa démonstration de l'égalité de tous les hommes, quelle que soit leur couleur.
Quant à l'évocation du mythe d'Orphée et d'Eurydice mis en parallèle avec l'extrême violence et la terrible souffrance de Michel et Maram, ces deux êtres qui vont se rejoindre, s'aimer puis se perdre, elle est on ne peut plus adéquate à la situation.
La porte du voyage sans retour, est un roman envoûtant qui se lit comme un livre d'aventures tout en étant extrêmement riche historiquement et humainement.
Si le roman débute par l'histoire d'une transmission entre un père et sa fille, c'est également un superbe plaidoyer que David Diop livre en faveur de ceux qu'on désignait sous le terme de Nègres, selon la terminologie de l'époque, ce mot entaché d'infamie aujourd'hui, mais qu'il emploie pour rester fidèle au personnage et au contexte historique. Avec le naturaliste Adanson, nous découvrons et ne pouvons que nous indigner de découvrir ces Nègres, hommes, femmes ou enfants considérés comme des marchandises, capturés et transportés de l'autre côté de l'océan, dans d'horribles souffrances.
J'avais beaucoup apprécié le précédent roman de David Diop, Frères d'âme, prix Goncourt des Lycéens 2018 et de l'international Booker Price 2021, qui était le récit de tirailleurs sénégalais dans les tranchées durant la guerre de 14-18 et je me suis à nouveau délectée avec La porte du voyage sans retour, surnom donné à l'île de Gorée, d'où sont partis des millions d'Africains au temps de la traite des Noirs.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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