Alice commençait à trouver cela assommant de rester assise toute seule sur sa malle, sans rien avoir à faire. C'était le premier jour des vacances, bon sang! Et les vacances, c'était fait pour s'amuser!
Je me rappelle encore le jour où j'ai rejoint le Klan. Je venais de voir Mae Marsh dans Naissance d'une nation, un film sur la guerre de Sécession. Elle était mignonne à croquer, dans ce film, et douce comme un ange; mais à un moment, il y avait un nègre -en uniforme Nordiste, en plus- qui la poursuivait dans la montagne. Quand elle se retrouvait au bord du précipice, coincé par ce moricaud avec la bave aux lèvres, elle avait plus qu'une chose à faire, bien sûr: sauter dans le vide. Alors, moi, je dis: voilà le genre de choses dont le Klan devrait s'occuper.
Quand les adultes pouvaient se comporter de façon aussi stupide, cela semblait parfois la sagesse même de rester enfant.
Un mirage. Alice savait tout des mirages. Un jour, elle irait au Sahara voir un de ces gigantesques mirages du désert — une ville entière surgie de l'air brûlant. Un jour, quand elle serait grande, elle irait partout. Comme le supplice de Tantale, la perspective de devenir adulte se dressait devant elle, presque à portée de la main, provocante. Un mirage.
Ni Alice, ni Dinah n'avaient une idée très claire de ce qu'était un obsédé sexuel. Mais à en juger d'après les réflexions à mots couverts que sa mère avait faites à ce sujet, il n'y avait rien de pire que de tomber entre les mains d'un individu pareil.
Mince comme une aiguille, une libellule rouge se mit à voleter entre les herbes, aux pieds d'Alice, qui les leva nerveusement pour les poser sur le couvercle de la malle. Un mince voile de transpiration lui picotait le front et les pommettes. À perte de vue, la route était déserte.