Le patron s’était ceint du même tablier mais en peau anglaise d’un blanc immaculé. Cet accessoire vestimentaire l’intriguant, Thierry finit par interroger l’intéressé. Lequel sourit avant de répondre :
- Le port de ce tablier blanc est lié à de multiples raisonnements commerciaux et psychologiques. Le premier est, évidemment, de me distinguer de mes ouvriers. Un autre explique pourquoi je ne porte pas une redingote pour recevoir des clients qui appartiennent, pour la plupart, aux hautes classes de la société. Le tablier est un symbole de dépendance. Il leur montre que, malgré les prix élevés que je pratique, je reste leur serviteur. Il leur dit aussi que je ne suis pas un simple marchand mais que je reste un artisan près de ceux qui travaillent pour leur permettre de parader aux Champs-Elysées. Et puis, bien que je ne manie plu très souvent l’outil, il me plaît de demeurer attaché, ne serait-ce que par le cordon d’un tablier, aux traditions du métier.
Ses clients comme ses voisins et ses amis appelaient affectueusement "maître" cet habile artisan d'origine française dont les aïeux, des Cevenols huguenots, s'étaient réfugiés en Allemagne après la révocation de l'édit de Nantes. D'abord émigrée en Prusse, la famille était depuis deux générations établie au bord du Rhin, à Crefeld, bourgade acceuillante voisine de Cologne.
Victor Hugo, rentré à Paris dès l'annonce de la destitution de Napoléon III, délivrait ses impressions au Petit Journal. Rue Basse-du-Rempart, on découpa en riant le passage où il écrivait : "Mon dîner me tracasse et même me harcèle. J'ai mangé du cheval et je songe à la selle."
Le progrès social, oui, mais dans l'ordre !
Et je préfère être l'épouse d'un mari partout reconnu comme un maître, un artiste, plutôt que la femme d'un cabaretier maquignon.
L'homme est le seul animal qui fasse du feu. Ce qui lui a donné l'empire du monde.
L'atelier d'un ébéniste respire la sciure et la colle, on y marche sur un lit de copeaux ; celui d'un artiste peintre sent l'huile et la térébenthine. L'atelier du sellier est, lui, net comme un bureau de sous-préfet.
- Leurs yeux se croisèrent. Le temps d'une seconde pour le présent, celui de l'éternité pour le souvenir gardé précieusement par deux êtres faits pour s'aimer
- Ce ne sont pas des gens de plume, écrivains ou journalistes, qui fomentent les émeutes, mais le peuple du travail.
— Quel magnifique cheval ! dit d'un coup l'Empereur, c'est un anglo-arabe, n'est-ce pas ? Je l'avais remarqué en arrivant lorsqu'il trottait à deux pas de la fenêtre de ma voiture. J'ai eu, il y a longtemps, un cheval qui, comme le vôtre, « buvait dans son blanc ».
C'était là un langage de connaisseur. Leyen et Dietrich apprécièrent en échangeant un regard. Mais l'Empereur continuait :
— Autant que le cheval, la selle et la bride sont d'une qualité rare. J'aimerais connaître l'ouvrier qui les a faites.
Otto von der Leyen sourit en montrant Dietrich :
— Il est devant vous, Votre Altesse. C'est M. Hermès, dont les ancêtres, Français protestants, sont venus se réfugier en Allemagne au moment de la révocation de l'édit de Nantes. Le plus habile sellier du pays, sans aucun doute !
L'Empereur, alors, s'avança et satisfit l'envie qui le démangeait depuis un moment : caresser le nez blanc de Beau Noir. Celui-ci, qui reconnaissait les amis, remercia par un hennissement et Napoléon se tourna vers Dietrich :
— Félicitations, monsieur. J'ai un profond respect pour les artisans dont certains, comme vous, sont de véritables artistes. Je m'attache à leur protection et au développement de leurs activités. Trois grandes expositions ont déjà eu lieu depuis les débuts du Consulat. La dernière, dans la cour du Louvre, a rassemblé cinq cent quarante exposants. La selle de M. von der Leyen vous aurait sûrement valu un beau succès.
Thierry, en secouant sa houppelande trempée et ses chaussures boueuses, arriva à la porte du jardin. Elle était entr'ouverte, comme une invitation. Dans un roman, elle aurait dû grincer mais ses gonds restèrent silencieux. La pensée du roman le fit sourire et le chevalier entra chez la dame du palais.