...Après les vrais coup de poing, coup de foudre et coup de coeur... de "ma" première lecture de cette auteure "Les putes voilées n'iront jamais au paradis", j'ai emprunté à la médiathèque trois autres textes , antérieurs... dont celui-ci... en attendant de dénicher un autre de ses ouvrages,tout aussi interpellant ,sur la condition des femmes, "Bas les voiles"...
Beaucoup d'émotion à découvrir le premier texte de cette auteure, à forte consonance autobiographique...tout ceci, exprimé dans la belle langue française...langue envers laquelle Chahdortt Djavann rend un très bel hommage ainsi que dans "La dernière séance" que j'achève... en ce moment. La beauté de la langue qui aide à changer de vie, de pays et contribue à une "Reconstruction- Renaissance.."...
Dans cet écrit...la langue aide à "dire" et à atténuer la violence des chagrins, des deuils et la perte du pays de ses racines...
"Il y a sept ans, je ne savais ni lire, ni écrire, ni parler. Pas un mot. C'était une nuit d'hiver, j'arrivais à Paris.
Je me promenai sur les quais de la Seine et sentis ma passion de l'écriture, ma passion d'enfance ressusciter. (..)
Cette langue a accueilli mon histoire, mon passé, mon enfance, mes souvenirs et mes blessures. Cette langue m'a accueillie. Elle m'a adoptée. je l'ai adoptée. Mais, quels que soient nos efforts mutuels, les vingt-quatre ans que j'ai vécus sans elle laisseront à jamais une lacune en moi. Une lacune qui n'est pas un vide.Une lacune remplie de langue persane. Et c'est pour cela qu'il y aura toujours du persan dans mon français.
On me demande souvent d'où je viens. Cette question, je me la suis posée à mon tour, et ce livre est ma réponse. Je viens d'où je parle. Je viens d'où je regarde. Je viens d'ailleurs. "(Autrement, 2002, p. 6-7)
Ce texte dit, redit l'exil, les années de terreur sous le voile, à partir de 1979, à la venue de Khomeiny...et de la montée des mollahs. Récit aussi des années d'études de la narratrice en France, son retour au pays, après des années...qui sera violent et désespérant, ne retrouvant que peu de ses anciens amis , avec lesquels elle avait débuté ses études, et avec qui elle avait partagé ses révoltes contre le régime montant...
Le bilan de ce retour dans son pays natal se révélera des plus sombres et attristants !!
" j'ai passé la nuit dans un délire fiévreux. Je pensais aux années perdues, à l'amertume des souvenirs qui s'étaient gravés dans ma mémoire, aux désillusions révolutionnaires, aux amis assassinés. Une haine implacable transperçait mon corps. La haine de l'endoctrinement religieux. La haine du capitalisme et de la politique néocolonialiste qui protègent et nourrissent l'idéologie islamiste afin de mieux exploiter le tiers-monde. La haine de tous ceux qui ont soif de soumission et qui, au lieu de réclamer leur droit à la vie, embrassent le rôle des opprimés. (...)
Sans l'islam, cette catastrophe historique qu'on a camouflée en révolution
n'aurait jamais été réalisable en Iran. sans l'islam, le sort de bien des pays
aurait été autre. (Autrement, 2002, p. 113)"
Un roman autobiographique aussi bref que dense, qui décrit au-delà de la vie malmenée de la narratrice, la privation de la liberté, liberté de penser, liberté d'aimer...le régime de terreur imposé qui oppresse toute une population .sans oublier les massacres engendrés par le fanatisme religieux, et la haine de la femme que cela induit , dans tous les recoins de la vie sociale, la vie quotidienne, l'Université, jusque dans le domaine privé !...
On se réjouit d'autant du courage inouï de la narratrice qui quitte son Iran natal, sa famille, ses amis... pour poursuivre, réussir des études , apprendre une autre langue, écrire et témoigner de ce qui se passe dans son pays de naissance, terre à la fois adorée et abhorrée à cause des viles transformations survenues avec la révolution ,l'arrivée au pouvoir de Khomeiny...et des mollahs, en 1979 !
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Premier récit de cette autrice que j'aime beaucoup. On y trouve déjà tous les thèmes de son oeuvre, mais sous une forme beaucoup plus autobiographique, moins romancée je trouve que dans ses écrits suivants.
Elle nous parle de sa jeunesse en Iran en 1978 et en 1979, des bouleversements provoqués par la révolution islamique, de la folie des religieux, de ses amies qu'elle ne verra bientôt plus, de sa famille aussi, déjà et comme toujours dans une très belle langue où l'on a l'impression de sentir la poésie persane affleurer.
Dans la dernière partie, vingt ans plus tard, elle revient en Iran et y recherche à la fois des traces de son passé révolu et inaccessible et des désirs de nouveauté et de changements qui peinent à émerger.
Et déjà, au centre du livre comme de chaque chapitre, la femme iranienne, cachée, niée, étouffée, mais toujours présente, vivante et indispensable. Merci d'être sa voix.
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Il y a sept ans, je ne savais ni lire, ni écrire, ni parler. Pas un mot. C'était une nuit d'hiver, j'arrivais à Paris.
Je me promenai sur les quais de la Seine et sentis ma passion de l'écriture, ma passion d'enfance ressusciter. (..)
Cette langue a accueilli mon histoire, mon passé, mon enfance, mes souvenirs et mes blessures. Cette langue m'a accueillie. Elle m'a adoptée. je l'ai adoptée. Mais, quels que soient nos efforts mutuels, les vingt-quatre ans que j'ai vécus sans elle laisseront à jamais une lacune en moi. Une lacune qui n'est pas un vide. Une lacune remplie de langue persane. Et c'est pour cela qu'il y aura toujours du persan dans mon français.
On me demande souvent d'où je viens. Cette question, je me la suis posée à mon tour, et ce livre est ma réponse. Je viens d'où je parle. Je viens d'où je regarde. Je viens d'ailleurs. (Autrement, 2002, p. 6-7)
J'ai envie d'arracher de ma tête ce voile qui affiche une sexualité coupable. J'avais presque oublié cette sensation. J'essaie de penser à autre chose: à ma famille que je vais bientôt retrouver. Mais une sorte d'étouffement retient chaque battement de mon cœur. Mon corps se transforme malgré moi. Comme s'il devenait cet objet malsain condamné à l'enfermement, ce mauvais objet que les hommes convoitent. (Autrement, 2002, p. 70-71)
Ainsi la révolution marquait-elle d'emblée son existence sur le seuil de l'école. Au fil des jours, les changement se firent plus sensibles et affectèrent tous les domaines. Notre directrice, une quadragénaire élégante, fut remplacée .Certaines de nos professeurs se sentaient gênées, peut-être même menacées. Peu à peu, leurs attitudes se modifièrent: les jupes allongèrent, les maquillages pâlirent, les voix se firent discrètes. D'autres, qui n'avaient jamais été coquettes, se montraient maintenant plus à l'aise. Dans les classes, nous étudiions sans manuels, enfin presque. Les manuels d'histoire, d'instruction civique, de littérature persane et d'instruction religieuse nous furent retirés. Les manuels d géographie, de mathématiques et de sciences naturelles, jugés plus innocents, restèrent dans nos mains, mais nous reçûmes instruction de noircir la photo du chah sur la première page. Apparemment, l'histoire que racontaient nos livres ne tenait plus debout et il fallait écrire la vraie histoire, la bonne.
Notre instruction civique, monarchique et laïque, devait s'incliner devant les nouvelles lois religieuses. La littérature persane, héla ! se voulait trop littéraire: elle avait besoin d'une bonne injection de langage religieux. Quant à notre instruction religieuse, visiblement anémique, elle manquait de sérieux: quelques transplantations de dogmatisme, d'esprit belliqueux, de sens du sacrifice et de goût du martyre lui feraient le plus grand bien. Quelles que fussent les bonnes ou mauvaises raisons de ce diagnostic, l'élimination des manuels et l'allègement des programmes, en attendant l'année suivante et les nouveaux manuels, nous rendaient sur le coup la révolution très sympathique. (Autrement, 2002, p. 15)
Le secret du régime islamique, c'est qu'il assure le triomphe de l'interdit. L'interdit était notre véritable maître, car nous ne pensions qu'à lui. (...)
Nous étions dans l'incapacité de penser à autre chose, de penser tout court. Nous ne pensions guère à nos études, encore moins à ce qui se passait dans le monde, ni même à ce qui se tramait, au fil des jours, au plus près de nous. (Autrement, 2002, p.57)
Personne n'a le droit d'imposer sa croyance et ses convictions à autrui. Ns intellectuels étaient dans les prisons du chah parce qu'ils réclamaient la liberté d'expression. Et voilà qu'aujourd'hui les religieux, à peine au pouvoir, nous menacent, nous arrêtent, nous tuent parce qu'à leurs yeux nous ne sommes pas des croyants. Nous sommes tous des croyants. Nous avons besoin de croire pour vivre. Moi, je crois à l'humanité, à la vie, à la nature, à l'intelligence, à la justice, à la liberté. J'ai la foi et je suis croyante, mais ma croyance et ma foi ne sont pas religieuses, ne sont pas islamiques. Elles sont humaines. (Autrement, 2002, p. 18)
CHAHDORTT DJAVANN : LA FORCE DU VERBE
Festival du Premier Roman
animé par Olivier Nahum
avec Chahdortt Djavann