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EAN : 978B08R8TNX22
414 pages
Passes Composes (13/01/2021)
2.75/5   16 notes
Résumé :
Au-delà des polémiques, que sait-on vraiment de l’assimilation et de son histoire ? La pratique qui consiste à exiger de l’étranger qu’il devienne un semblable remonte à l’Antiquité, et n’est le privilège ni d’un pays, ni d’une époque. Aucun ouvrage n’avait jusqu’ici proposé une histoire globale de l’assimilation. L’ambition de cette entreprise inédite est de donner un panorama des pratiques d’assimilation à travers l’histoire, de l’Antiquité à nos jours, de l’Europ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Dans son nouveau livre « le Rêve de l'assimilation, de la Grèce antique à nos jours« , publié chez Passés/Composés, Raphaël Doan est sans langue de bois, il fustige l'hypocrisie de ceux de nos politiques qui n'assument plus le modèle français d'assimilation. Toute assimilation qui ne s'assume pas est vouée à l'échec. Alors que le vote par l'assemblée nationale de la loi sur le séparatisme a opposé ceux, à gauche, pour qui cette loi est une stigmatisation des musulmans de France, tandis qu'à droite on soulignait le manque de fermeté contre l'islam radical, le débat sur le modèle d'intégration fût encore des plus vif. le débat depuis une dizaine d'années sur « l'identité nationale » cache en réalité une crise de l'assimilation. L'ouvrage de Raphael Doan « le Rêve de l'assimilation, de la Grèce antique à nos jours » est percutant, salvateur, servi par une plume limpide, une analyse d'une profonde acuité intellectuelle, érudite, brillante à même de confronter les modèles, les pratiques d'assimilations à travers différentes périodes historiques. Selon la civilisation, l'époque, l'assimilation ne recouvre pas les mêmes significations, les mêmes enjeux. On sait le modèle assimilationniste français malade, nul doute qu'un livre d'histoire aussi revigorant, vivifiant pour l'esprit, permettra de lancer des pistes de réflexion afin de mieux saisir les enjeux de ce qui est au coeur des débats de la société française aujourd'hui. Que doit-on penser de l'assimilation ? Est-ce une pratique acceptable, néfaste ou bénéfique ? Autant de questions auxquels ce livre tente de donner plus que des pistes de réflexion, même si comme il le précise , « l'analyse historique n'a pas à poser de jugements de valeur (…). » Ce que ce livre peut, c'est aider à réfléchir aux problèmes cruciaux qu'affronte notre société. L'assimilation est souvent une pratique impériale lorsqu'un Etat conquiert de nouveaux territoires et veut assimiler ses habitants. S'il est xénophobe ou essentialiste, il choisira la voie de la ségrégation comme ce fût le cas pour les premiers empires hellénistiques ou bien encore dans l'Empire britannique. Dans l'Empire romain, puis en France, on fît le choix de l'universalisme et donc de l'assimilation. Mais dans les colonies françaises, cette promesse fût toujours repoussée. Napoléon III ne croyait ainsi pas à l'assimilation des musulmans d'Algérie alors qu'à la fin des années 1950, au moment où l'Algérie semblait inéluctablement échapper à la France, on fît, à la hâte, promulguer des lois pour « assimiler » des musulmans, trop longtemps tenus en dehors des affaires les concernant, par les colons pieds-noirs. En métropole, après la première guerre mondiale, face au creux démographique causé par la guerre et à l'afflux d'une nouvelle immigration dans l'entre deux guerres, la loi sur la nationalité du 10 août 1927 est adoptée. C'est un tournant crucial car sa circulaire d'application est la première occurrence dans le droit français de la notion d'assimilation. Plus tard, le régime de Vichy s'opposa, par racisme viscéral, à l'assimilation républicaine qui avait cours par exemple sous la IIIème République. Ce fût une parenthèse dramatique. Dans les années 1970-1980, l'idée d'assimilation évolua et on lui préféra d'autres termes moins connotés. C'est toute l'histoire de cette idée d'assimilation jusqu'à nos jours qui est passionnante. Aujourd'hui, c'est dans les pays d'immigration que l'on retrouve l'assimilation. Cette dernière est incompatible avec le racisme. On peut songer au sort des Noirs américains durant la ségrégation. L'assimilation n'a encore jamais fait l'objet d'une étude transversale. On se pose ici la question des objectifs et des pratiques politiques avec les questionnements suivants : pourquoi voulait-on assimiler ? Comment s'y prenait-on ? L'ambition du livre de Raphaël Doan est d'offrir un panorama aussi large que possible « des pratiques d'assimilation à travers l'histoire, de l'Antiquité à nos jours« . Il explique dès l'introduction ce qu'est l'assimilation et ce qu'elle n'est pas avant de se lancer dans une analyse passionnante de six civilisations différentes : la Grèce, Rome, le monde arabe, la France (coloniale puis métropolitaine), le Japon et les Etats-Unis dans leurs rapports à l'assimilation. Sa maîtrise des différentes périodes historiques, la rigueur de son analyse, sa culture impressionnante qui embrasse tous ces horizons historiques, font de ce livre d'histoire de Raphaël Doan, un indispensable pour qui souhaite maîtriser et mieux saisir les enjeux de ce débat qui enflamme la société française tout entière et cela depuis très longtemps. L'ensemble se lit avec un grand plaisir, une nourriture intellectuelle et une approche innovante qui se révèlent très riches pour l'esprit. Les tensions migratoires, la mondialisation, autant de problématiques on ne peut plus contemporaine qui sont soulevées par ce livre. La pratique cherchant à exiger de l'étranger qu'il devienne un semblable remonte à l'Antiquité. On retrouve ainsi un chapitre passionnant sur l'hellénisation du Proche-Orient suite aux conquêtes d'Alexandre le Grand. Un autre est consacré à l'universalisme romain, terreau de l'assimilation, avec les quatre outils qui furent essentiels aux différentes formes d'assimilation romaine : la ville, l'armée, la langue et la culture. Beaucoup plus loin dans le temps, au XVIIIème et XIXème siècles, selon les nations et les régions du monde, des chemins impériaux différents, certains se dirigeant vers la ségrégation et le racisme, d'autres vers un multiculturalisme plus ou moins libéral, d'autres enfin vers l'assimilation des colonies. Même si elle est souvent perçu comme une contrainte aujourd'hui, l'assimilation est toujours associé à l'universalisme alors qu'à l'inverse son refus, son rejet est le fait du racisme et de la xénophobie. La thèse défendue par Raphaël Doan : l'assimilation n'est pas synonyme de repli sur soi mais bien au contraire le signe des sociétés ouvertes. « Faut-il rendre nos sociétés diverses plus homogènes ? Quel type de culture, quel rapport à nous-mêmes et à autrui voulons-nous ? » Autant de questionnements passionnants auxquels ce livre d'histoire s'attache à donner des réponses claires et pertinentes. Un livre qui suscite le débat et comme le dit Raphaël Doan, à chaque lecteur de se forger sa propre opinion.

Je remercie chaleureusement les Éditions Passés/Composés ainsi que Babelio pour cette lecture et leur confiance !

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A la fin de ses « Mémoires de Zeus », Maurice Druon écrit qu' « en tout ce qui paraît nouveau, il convient de mesurer la part de l'oubli ». Cette citation, que je trouve aussi belle que pertinente, a raisonné en moi tout au long de ma lecture du « Rêve de l'assimilation » de Raphaël Doan. Comme le souligne le sous-titre, « de la Grèce Antique à nos jours », l'idée principale du livre est de montrer que l'assimilation n'est pas un concept et un projet propres au dernier siècle et à la France.

A travers six exemples sélectionnés parmi différents continents, le livre permet de retracer historiquement les apparitions et les différentes modalités d'applications de l'assimilation en fonction de l'époque et de la culture du peuple assimilateur. Surtout, cette approche comparée et historique permet de dépassionner les débats qui entourent généralement l'assimilation, le terme étant lui-même très souvent associé, entres autres excès, à du racisme, de la xénophobie, de l'exclusion. Or, comme le rappelle l'auteur, « l'assimilation est le propre d'une société ouverte » (p.11). L'auteur ajoute que, lié à l'universalisme, « l'assimilation s'oppose à l'essentialisme et au racisme ».

Pour les besoins de cet article, j'ai pu échanger avec Raphaël Doan. L'échange a duré près d'une heure et il fut passionnant. Ayant moi-même travaillé sur le sujet de l'assimilation, auquel j'avais consacré ma thèse de doctorat sous un angle juridique, j'ai ainsi pu exprimer à M. Doan toute mon admiration quant à la qualité de son travail au regard de toute la bibliographie que j'avais pu lire durant cinq années. La conversation téléphonique a surtout permis d'éclairer quelques passages du livre, de lui poser quelques questions complémentaires, et de confronter quelques-unes de mes interprétations avec sa vision. Je l'en remercie très vivement.

Ainsi, l'article ci-présent comprendra des citations issues de l'échange que nous avons eu. Pour des besoins de clarté et de compréhension, ses propos tirés de l'entretien seront en italique. Les citations en écriture normale sont quant à elle des extraits du livre.

L'article ci-dessous est une analyse non exhaustive du contenu de l'ouvrage qui est extrêmement riche d'informations et de détails passionnants. Ainsi, l'analyse se base sur mes propres choix et sur les éléments qu'il m'a paru le plus utile d'éclairer au vu de mon approche du livre. Au-lieu de revenir sur chaque exemple exposé dans le livre, l'article se proposera de sélectionner divers points importants qui édifient une grille d'analyse transversale de l'assimilation.

DÉFINIR L'ASSIMILATION

« Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde », proclame la phrase souvent attribuée à Albert Camus.

Or, l'un des atouts majeurs de l'ouvrage de Raphaël Doan est d'apporter, à travers l'analyse de ses différentes applications dans l'histoire, une définition précise de l'assimilation. Derrière le regard froid et dénué d'axiologie de l'historien, l'auteur s'en tient en une présentation de ce qu'est l'assimilation, et de ce qu'elle n'est pas. Libre, ensuite, au lecteur et aux pouvoirs publics de se faire une opinion pour l'un, de choisir un modèle pour les autres : « l'analyse historique n'a pas à poser de jugements de valeur ; mais elle peut nous aider à réfléchir aux problèmes qu'affronte notre société » (p. 297).

Le tout est d'assumer ce choix. Car, comme le dit très souvent l'auteur dans les lignes de son livre, et notre échange téléphonique a confirmé cette impression partagée, l'assimilation a une très mauvaise image. Elle est jugée néfaste, empreinte de racisme, de xénophobie, ou de volonté d'afficher une supériorité culturelle voire raciale. Or, il n'en est rien. Et ces accusations sont, comme le suppose l'auteur dans son introduction, le produit d'une ignorance généralisée entourant l'assimilation. L'assimilation n'est ainsi plus assumée en tant que politique, parce qu'elle est méconnue ou mal connue. L'historien prend acte de cette crise en nommant sa conclusion : « faut-il réhabiliter l'assimilation ? ».

Ainsi, en définissant clairement l'assimilation, l'auteur dépassionne l'assimilation de façon heureuse. Sa définition est convaincante et je la partage : « on désignera par là, dans le cadre de ce livre, les pratiques culturelles, politiques et juridiques issues d'une volonté de changer les moeurs d'une population pour transformer des étrangers en semblables » (p. 15). L'assimilation implique un effort d'imitation de la part de l'étranger qui souhaite s'installer durablement dans le pays qui l'accueille. Lors de notre entretien, Raphaël Doan a eu une formule tout à fait juste : « l'assimilation exige que l'individu interprète sa culture de manière à ce qu'elle soit conciliable avec la culture d'accueil »

Pour préciser sa définition. l'auteur distingue l'assimilation de l'intégration (« donner une place à autrui dans la société sans lui faire adopter intégralement le mode de vie majoritaire ») et de l'acculturation (« phénomène spontané de transformation culturelle »).

RÊVER L'ASSIMILATION

Le lecteur pourrait se demander pourquoi avoir choisi ce titre du « rêve » de l'assimilation : « le terme de rêve illustre bien le caractère d'idéal que représente l'assimilation, explique l'auteur, surtout pour la France : une idée que nous avons toujours poursuivie, sans toujours la réaliser entièrement, mais qui a tout de même eu de véritables conséquences concrètes ».

Raphaël Doan revient dans son livre sur les raisons qui poussent un peuple à assimiler. Comme il le démontre, l'assimilation n'est pas naturellement le premier choix opéré par un Etat. Ainsi, les Grecs étaient réticents à assimiler. A Sparte, il existait même un refus catégorique de toute immigration, par peur d'une « assimilation à l'envers ». C'est à partir du projet d'empire d'Alexandre qu'un rêve assimilateur est entrepris : afin de transformer les peuples conquis et de leur inculquer la culture grecque. C'est parce qu'il y a confrontation de cultures différentes que l'assimilation devient envisageable. Mais c'est parce qu'il n'y a pas d'essentialisme et de déterminisme naturels que l'assimilation est possible.


La culture grecque, outil d'assimilation

C'est exactement la même logique qui a prévalu chez les Romains. Dans des pages brillantes et passionnantes consacrées à la « romanisation » des peuples conquis, Raphaël Doan explique que même en l'absence de doctrine complète, cohérente et explicite, « on remarque une volonté de changer la vie des peuples conquis » (p. 67). L'assimilation était à la fois contrainte et commune, « comme la découverte d'une humanité commune ».

De la même manière, pour les cas français, japonais et américains, mais aussi pour celui de l'Islam, c'est la conquête de nouveaux territoires qui a poussé à opter pour le modèle assimilationniste, à savoir la transformation culturelle de ce qui est transformable chez un individu. Ainsi, « la société des premiers temps de l'Empire islamique, fondée sur la hiérarchie ethnique et la ségrégation religieuse, était anti-assimilatrice » (p. 116).

Comme le conclut l'auteur, l'assimilation « est souvent une pratique impériale ». D'ailleurs, l'ouvrage revient sur les débats et les réticences internes à chaque pays sur la légitimité du choix de l'assimilation. le lecteur peut ainsi découvrir que l'assimilation n'est jamais un choix évident ou naturel, mais qu'il est toujours justifié par une volonté d'homogénéisation de la société, et non d'exclusion d'une partie des individus. Là où l'exclusion domine, l'assimilation s'efface.

Un Etat choisit d'assimiler afin que ses membres soient le plus homogènes possibles en matière culturelle. D'où l'importance souvent réaffirmée des moeurs dans le projet d'assimilation. Il ne s'agit pas de contrôler les moeurs ou de les effacer, mais de les homogénéiser et de demander à ce que les nouveaux membres imitent les moeurs des membres déjà présents. Comme le souligne Robert Putnam, « diversité et solidarité sont négativement corrélées ». Selon M. Doan, cela signifie que « plus un groupe est hétérogène, moins il connaîtra de solidarités internes ».

D'ailleurs, concernant la France, comme l'a rappelé Raphaël Doan lors de notre entretien, « les premiers à avoir été assimilés furent les Français », grâce à l'effort d'homogénéisation de la monarchie, de l'ordonnance de Villers-Coterêts à la volonté de Louis XIV que tout devienne français. Ainsi, au XIXème siècle, la France n'est pas, contrairement à ses voisins européens, cette mosaïque de peuples et de langages différents, bien qu'il demeure de grandes différences entre les différentes régions. C'est ce qui amène Jules Michelet, l'historien poète, à écrire ces lignes sublimes dans le tome III de son Histoire de France :

« La fatalité des lieux a été vaincue, l'homme a échappé à la tyrannie des circonstances matérielles. le Français du Nord a goûté le Midi, s'est animé à son soleil ; le Méridional a pris quelque chose de la ténacité, du sérieux, de la réflexion du Nord. La société, la liberté ont dompté la nature, l'histoire a effacé la géographie. Dans cette transformation merveilleuse, l'esprit a triomphé de la matière, le général du particulier, et l'idée du réel ».

OPERER L'ASSIMILATION

De manière très détaillée, Raphaël Doan dresse, à travers ses six exemples, une liste d'outils juridiques, politiques et culturels ayant permis d'assimiler à travers l'histoire.

Le premier de ces outils qui semble se dégager clairement est la langue. Dans les six exemples présentés dans l'ouvrage, le pays assimilateur a tenu à imposer l'usage de sa langue et à limiter les langues des individus assimilés. S'agissant du Japon, par exemple, la première mesure d'assimilation d'Okinawa fut d'installer partout l'usage du japonais (p 237) ». Dans tout l'empire romain, l'usage du latin était obligatoire. En 1794, l'Abbé Grégoire exprimait la nécessité d'une identité de langage (p. 183), etc.

En lisant ces développements sur la langue, je me suis demandé si l'assimilation était conciliable dans des Etats reconnaissant plusieurs langues où dans lesquels plusieurs langues sont parlés au quotidien. Lors de notre entretien, l'auteur a répondu à cette interrogation : « J'ai tendance à penser que c'est un outil efficace mais pas une partie indispensable de l'assimilation. On insiste beaucoup sur la langue en France car c'est un indicateur clair et facilement mesurable, contrairement aux moeurs. Il est tout à fait envisageable de s'assimiler dans un Etat plurilingue, notamment par le biais des autres facteurs d'assimilation ».

La langue de Molière, élément important de l'assimilation

Le deuxième outil est celui de la culture. Par exemple, « l'importance que les Grecs accordaient à l'humanisme, à la culture, à la langue plutôt qu'à l'ethnie représentaient un terreau fertile ». L'assimilation s'est à chaque fois développée de manière culturelle, refusant tout essentialisme naturel, et privilégiant l'universalisme. L'école est en ce sens un vecteur fondamental de transmission de la culture du pays, de son histoire, de ses moeurs, des différents éléments de la vie quotidienne. de la même manière, la pression sociale de la société participe de cette assimilation culturelle.

La religion fut par ailleurs un outil d'assimilation important, particulièrement s'agissant de l'Islam, dont la portée universelle « empêcha la civilisation arabe de se fondre intégralement dans ses différentes conquêtes et qui lui permit de s'imposer à l'échelle de l'empire » (p. 119). La portée historique de l'assimilation par l'Islam et la présence croissante d'individus musulmans en France m'a amené à m'interroger sur la conciliation possible entre deux modèles assimilateurs sur un même territoire envers les mêmes individus et sur l'existence d'exemples historiques antérieurs : « tout est une question de rapport démographique, estime l'auteur, pour imiter il faut se mélanger, il faut une mixité, des proportions. Il y eut en effet des précédents historiques, tel que le sort des communautés françaises en Amérique à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. On constate en effet une concurrence avec l'assimilation américaine, provoquant une politique sévère des américains pour désassimiler les Français, interdisant l'usage du Français par exemple ».

La construction des villes fut également un vecteur d'assimilation. La puissance assimilatrice exportait par exemple dans le pays conquis les modèles de villes identiques à ceux existant dans le pays d'origine. L'auteur donne sur cet outil quelques exemples qui donnent lieu à des passages passionnants. C'est un point qui m'a particulièrement intéressé.

D'autres outils spécifiques, que vous pourrez découvrir lors de la lecture de l'ouvrage, auraient pu être relevés, mais il m'a semblé nécessaire de terminer par un outil indispensable et majeur : la citoyenneté. L'auteur montre que l'assimilation est indispensable pour devenir citoyen et ainsi obtenir un statut égal aux autres habitants du territoire ou de l'empire. En France, on a parlé d'adéquation entre l'assimilation de fait et l'assimilation juridique.

Cette citoyenneté est liée à l'universalisme, impliquant l'abstraction du citoyen et l'effacement de ses particularismes. D'ailleurs, la « personne juridique » vient de « personae » signifiant « masque » en latin. Lors de notre entretien, Raphaël Doan ajouta que « la citoyenneté romaine est protectrice de la personne du Romain, mais le pouvoir politique du citoyen romain est moins important que celui du citoyen athénien ». C'est ce qui la différencie de la citoyenneté grecque par exemple, très exigeante, moins étendue. Il confirme d'ailleurs que la citoyenneté « à la française » est un subtil dosage de la citoyenneté politique athénienne et de la citoyenneté juridique romaine, dans la mesure où « elle se concentre autour des droits politiques et civils ».

La question qui peut se poser néanmoins est de savoir si cette abstraction ne peut pas conduire à un dévoiement du but de l'assimilation. La référence aux « valeurs de la République », et non plus aux « moeurs françaises » n'est-elle pas une acception poussée à son extrême de la citoyenneté abstractive à la française ? « L'universalisme de la citoyenneté française comporte en effet le risque d'aller trop loin et de devenir vide, juge l'historien. C'est le seul universalisme incarné, auquel tout le monde peut accéder. Mais le problème est que cela ne peut plus fonctionner si on le réduit à des valeurs trop vagues ».

Cependant, certains exemples du livre présentent quelques contradiction. Outre les Etats-Unis et l'exclusion des Noirs de l'assimilation, laissant supposer une fragilité évidente du système américain, la « Dôka japonaise », qui se définit comme « le fait de rendre semblables des choses originellement différentes », était contradictoire « car il y avait des pratiques largement discriminatoires ».

Or, comme le rappelle l'auteur, la réussite de l'assimilation suppose de ne pas réduire les assimilés à une situation d'infériorité. C'est ce que l'auteur nomme le théorème de Tocqueville, dégagé par Paul Veyne. Sur ce sujet, « il semble que l'Amérique fasse toujours face au paradoxe de Tocqueville : à mesure que le droit égalise la situation entre Noirs et Blancs, la perspective de leur rapprochement recule ». Raphaël Doan a précisé cette phrase lors de notre entretien : « C'est quelque chose que notait avec une lucidité incroyable Tocqueville dès le XIXe siècle : il y a en Amérique un substrat de pensée raciale qui rend difficile le rapprochement des noirs et des blancs, même lorsque les droits civiques sont devenus égaux ; et les sociologues ont observé que le mélange entre les deux communautés, notamment les mariages mixtes, restent très faibles encore aujourd'hui. A mes yeux, c'est une faille énorme du modèle américain ».

REPENSER L'ASSIMILATION

Ce qui m'a profondément intéressé dans l'ouvrage de Raphaël Doan, c'est qu'il démontre que l'assimilation a connu des résultats très irréguliers en fonction des exemples choisis. Ainsi, si l'assimilation par l'Islam fut globalement une réussite dans les pays conquis par cette religion, le même constat peut s'opérer concernant l'assimilation par les Grecs dans les pays conquis, grâce à sa culture, malgré quelques réticences, en Egypte par exemple.

Surtout, l'auteur parvient à montrer que malgré la fin de la domination politique et la chute des empires assimilateurs, l'assimilation culturelle avait malgré tout relativement réussi, ou en tout cas laissé des traces. Ainsi, bien que l'assimilation romaine était en crise dans les dernières années de l'empire, en raison d'un peu moins de rigueur, d'une citoyenneté étendue très largement, et par conséquent d'un attrait moins élevé de la nécessité de s'assimiler pour devenir citoyen, la culture romaine a malgré tout laissé des traces, en particulier s'agissant de la langue.

De même, l'auteur signale, concernant l'empire français en Algérie, que l'indépendance signifiait « l'échec complet de l'assimilation politique du pays à la France, mais pas celui de son assimilation culturelle » (p. 172). Un constat identique s'impose pour le Japon et la fin de sa domination politique à Taïwan, où la Dôka a « contribué à façonner l'identité taïwanaise contemporaine comme une originalité bien distincte de la Chine continentale » (p. 243). L'auteur explique cependant que l'échec fut complet en Corée et en expose les raisons profondes (pour aller plus loin sur ce sujet de l'occupation japonaise en Corée, voir le film Mademoiselle, de Park Chan-Wook).

Cette partie du livre est très plaisante à lire, car c'est un exemple étonnant a priori, au regard de la culture japonaise du repli sur soi. J'y ai appris de très nombreuses choses, et ai compris, grâce à ce chapitre, l'abandon de l'assimilation par le Japon depuis la fin de son Empire.

Enfin, l'auteur analyse l'évolution de l'assimilation dans la France contemporaine, et démontre que sa crise s'explique en partie parce que la France n'assume plus de vouloir assimiler. « Il y a en réalité un quasi consensus quant à la volonté d'assimiler », mais cela n'est pas assumé. Dès lors, « l'assimilation est aujourd'hui interprétée comme s'il s'agissait d'intégration » (p. 210). Par conséquent, « en pratique, l'administration actuelle vérifie, chez les candidats à la naturalisation, ce qu'on pourrait appeler une intégration renforcée plutôt qu'une véritable assimilation » (p. 218). Il ajoute que « c'est implicitement sous le paravent de la laïcité que la République a fourni, en dernier ressort, ses efforts d'assimilation les plus volontaristes » (p. 220). Or, selon l
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Le mot "assimilation" est devenu, dans l'esprit de beaucoup de nos concitoyens, comme un terme à éviter, un marqueur de conservatisme extrême, voir pire encore ; Au point que lui est parfois substitué le mot d'"intégration", quand on aborde la question de la nécessaire acculturation de nouveaux venus dans une société nationale qui, pour éviter des tensions insupportables, doit bien donner à ses citoyens une certaine capacité d'intercompréhension, et des modes de vie qui rende la vie en société possible. La difficulté vient de ce que d'aucuns, pour des raisons très diverses et parfois même contradictoires, voient dans cette "intégration" la simple admission aux droits de tous les citoyens, en rejetant parfois même toute idée de la nécessité d'une certaine acculturation aux modes de vie majoritaires, et ne voient pas vraiment les inconvénients d'une société multiculturelle où des groupes vivent côte à côte.
Dans ce débat que les médias semblent s'efforcer de rendre obscur, Raphael Doan réussit à mettre un peu de clarté. D'abord en analysant des exemples historiques de grand intérêt, avec des réussites éclatantes de démarches assimilatrices, comme l'empire romain, et des échecs, comme celui des empires coloniaux modernes, britannique et français, malgré leurs démarches totalement différentes.
L'étude des États Unis depuis le début de leur histoire jusqu'à nos jours, avec ses revirements successifs dans cette question, et ses errements actuels dont on voit mal où cela va conduire ce grand pays, est d'un particulier intérêt.
L'auteur désamorce la charge dont curieusement certains ont réussi à empoisonner le terme d'"assimilation", en rendant par là la chose, pourtant nécessaire, plus compliquée qu'elle n'est déjà par nature, et Doan montre au contraire à quel point elle est éloignée de bien des défauts dont on l'affuble. Il montre par exemple d'une manière très claire, que la démarche assimilatrice et le racisme sont en contradiction profonde.
Un livre à lire d'urgence pour tous ceux qui, quelle que soit leur point de vue, s'intéressent à cette question essentielle du risque de "séparatisme" dans nos sociétés, comme l'appelait notre Président de la République
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L'assimilation, pratique qui consiste à attendre de l'étranger qu'il se fonde dans la masse et devienne un semblable, est une thématique qui suscite bien des polémiques et des débats. Raphael Doan se propose d'explorer ce thème à travers l'histoire. Il nous offre uns succession d'exemples de pratiques assimilatrices pour en pointer les réussites et les écueils. Son objectif est d'ainsi dépassionner le débat et penser la question de manière plus sereine.
En introduction, il commence par bien définir les termes et montrer la différence entre intégration, assimilation et acculturation. Il rappelle également que le but des politique est plus de permettre la vie commune que d'inventer un monde meilleur donc cette question est cruciale pour l'équilibre d'une société. Il explore l'exemple de six civilisations differents : La Grèce helléniste, Rome, l'islam des premier siècle, la France coloniale, la France métropolitaine, le Japon et les États-Unis.
Chaque partie est extrêmement documentée. C'est un ouvrage érudit qui fouille la question et montre qu'elle a recouvert plusieurs réalités à travers les époques. J'ai particulièrement apprécié la partie sur la France coloniale qui met en lumière un certains nombres de pratiques dont on parle peu. le chapitre consacré au Japon m'a aussi beaucoup intéressé car c'est une civilisation que je connais mal et ce fut très instructif. L'ouvrage est dense, il ne se lit pas d'une traite, mais il reste abordable.
Au delà de l'intérêt documentaire de cet ouvrage il y a les questions qu'il soulève. Il invite à s'interroger sur le type de société que nous souhaitons, et de la manière dont nous pouvons vivre ensemble.
Un ouvrage pointu, passionnant et qui invite aux questionnements sur un sujet brulant.
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Acheté, Lu. Revendu chez Gibert.

Historiquement et sociologiquement ça ne fonctionne pas et c'est malheureux car ce livre est assez cher.


Il y a un volonté de didactique avec des dichotomies très lourdes et un peu téléphonées. Ca fait bon élève qui recite une leçon mais malheureusement c'est totalement hors sol.

Le résumé qui commence par "au delà des polémiques ..." est étrange puisque justement il s'agit donner d'un essai qui se veut polémique.



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Vidéo de Raphaël Doan
Raphael Doan vous présente son ouvrage "Si Rome n'avait pas chuté" aux éditions Passés composés.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2809504/raphael-doan-si-rome-n-avait-pas-chute
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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