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Michael Gibson (Traducteur)
EAN : 9782080810281
316 pages
Flammarion (04/01/1999)
4.27/5   11 notes
Résumé :

La culture hellénique est traditionnellement associée au triomphe de l'esprit de raison, comme si, phénomène unique dans l'histoire des civilisations, elle ne laissait aucune place aux forces obscures et irrationnelles. E.R. Dodds, dans ce livre désormais classique, aborde le problème par l'étude des textes, depuis l'épopée homérique jusqu'à la fin du IIIe siècle. Il décèle, théori... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Bon livre, simple à lire et intéressant, qui traite de comment les Grecs de l'Antiquité envisageaient l'irrationnel, dans le sens assez général de « ce que la raison n'explique pas », ce qui, selon les cas, peut s'approcher du « sentiment religieux / spirituel » ou concerner la magie, la folie, les oracles. Les chapitres suivent une logique chronologique qui couvre une période qui va en gros de Homère jusqu'aux premiers siècles après JC (néo platonisme, stoïcisme).

Les deux premiers chapitres (un peu technique) m'ont évoqué le Japon (peut-être cet esprit où le groupe prime sur l'individu qui m'a fait penser au Sabre et le Chrysanthème). Suit la folie dionysiaque et les songes, les oracles. Puis un chapitre sur l'influence du chamanisme et comment les Grecs l'ont réinterprété à leur manière (pythagorisme, orphisme, métempsycose…). Suit l'époque classique qui voit se distendre un rationalisme d'élite et une superstition des masses, que les 2 derniers chapitres illustrent avec la tentative de synthèse ratée de Platon d'une part et le pourrissement routinier des traditions & rites d'autre part, pratiques devenues anonymes dans un monde devenu individualiste (effondrement interne qui précède le christianisme). Enfin 2 appendices : l'un sur les ménades et l'autre sur la théurgie.

L'auteur termine en disant qu'il a évité les parallèles contemporains (le livre est écrit en 1950) bien qu'il ait eu la situation de l'époque constamment à l'esprit (qu'aurait-il pensé de celle d'aujourd'hui…).

Pour terminer sur une note plus légère, cet inattendu passage du chapitre sur la divination (du Bouvard et Pécuchet pur jus) : « le professeur Oeusterreich, dans l'intérêt de la science, mastiqua un jour une grande quantité de feuilles de laurier : il fut déçu de ne pas se trouver plus inspiré qu'à l'ordinaire ».

Sur la forme : il y a beaucoup de notes, regroupées en fin de chacun des 8 chapitres, si bien que le livre est assez court (~200 pages hors notes). La majorité des citations en grec ou en latin sont traduites en français.
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Un petit livre original sur la "folie" des Grecs - qui n'étaient pas si raisonnables que l'on croit.

L'atê, délégation du sentiment de culpabilité, justifie ou du moins explique souvent chez Homère l'irrationalité des comportements humains et révèle que la société grecque est une civilisation de la honte.

Platon classifie les types de folie dont il fait l'éloge dans son Phèdre et sa psyché, qui forme la personnalité, n'est rien sans sa part inspiré par le daimôn.

D'ailleurs, les rêves, en Grèce, n'étaient pas interprétés tellement différemment de la manière dont le fera Freud.

Orphéet et Pythagore auraient peut-être bien été des chamans.

Et l'on en vient à se demander si le mouvement de rationalisation grec, que l'on pourrait bien nommer par anticipation Aufklärung, n'aurait pas été une réaction à cette folie archaïque.

Quant aux raisons de son déclin et de son effacement de l'Histoire, voilà qui promet d'interroger les historiens encore longtemps.

Les magiciens, le ménadisme et la théurgie auront en tous les cas résisté à la période rationalisante de la Grèce antique.
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Des mondes grecs, nous avons hérité quatre choses : les mythes, la philosophie, la physique et une immonde salade de légumes baptisée macédoine. Dodds s'intéresse ici aux trois premiers legs et analyse le lien qu'entretenaient les Grecs avec le rationnel et l'irrationnel. Ces Grecs qui croyaient autant aux centaures qu'au théorème de Pythagore, donc quelque chose d'assez thomiste avant l'heure, toutes proportions gardées, où science, raison, foi, superstition, peuvent cohabiter dans le même individu et dans la même société. C'est cette société sur laquelle se penche Dodds, ses différentes strates, son évolution à travers le temps depuis l'époque archaïque jusqu'au IIIe siècle après l'invention du pin's (en clair et en gros, la période couvre un millénaire).
L'ouvrage est complémentaire avec Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? de Paul Veyne, les deux proposent une lecture stimulante.
Lien : https://unkapart.fr/critique..
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Des mondes grecs, nous avons hérité quatre choses : les mythes, la philosophie, la physique et une immonde salade de légumes baptisée macédoine. Dodds s'intéresse ici aux trois premiers legs et analyse le lien qu'entretenaient les Grecs avec le rationnel et l'irrationnel. Ces Grecs qui croyaient autant aux centaures qu'au théorème de Pythagore, donc quelque chose d'assez thomiste avant l'heure, toutes proportions gardées, où science, raison, foi, superstition, peuvent cohabiter dans le même individu et dans la même société. C'est cette société sur laquelle se penche Dodds, ses différentes strates, ses points de vue différents entre des élites rationalistes et les croyances populaires, son évolution à travers le temps depuis l'époque archaïque jusqu'au IIIe siècle après l'invention du pin's (en clair et en gros, la période couvre un millénaire).
L'ouvrage est complémentaire avec Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? de Paul Veyne, les deux proposent une lecture stimulante.
Lien : https://unkapart.fr/critique..
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
...ce que j'ai suggéré jusqu'ici est une ligne hypothétique de descendance spirituelle qui part de la Scythie, traverse l'Hellespont, pour passer en Asie Mineure, se trouve peut-être alliée à certains résidus de la tradition minoenne qui survit en Crète, émigre à l'Ouest avec Pythagore, et trouve son dernier représentant de marque dans la personne du sicilien Empédocle. Ces hommes diffusèrent la croyance en une âme, ou Soi, séparable, qui par une technique appropriée pouvait être tirée du corps durant la vie même, un Soi plus ancien que le corps et qui lui survivra. Mais c'est ici qu'une question inévitable se pose : comment ce développement se rapporte-t-il au personnage mythologique appelé Orphée et à la théologie dite « orphique » ? Je dois tenter de donner une brève réponse.

Au sujet d'Orphée lui-même, je peux hasarder une hypothèse, au risque de me faire traiter de panchamaniste. La patrie d'Orphée est la Thrace, et en Thrace il est ou l'adorateur, ou le compagnon, d'un dieu que les Grecs identifièrent à Apollon. Il exerce conjointement les professions de poète, de magicien, de maître religieux, et de diseur d'oracles. Comme certains chamans légendaires de Sibérie, il peut, par sa musique, convoquer les bêtes et les oiseaux pour se faire entendre. Comme les chamans partout, il visite les Enfers, et le motif de sa visite est un but fort commun chez les chamans - le recouvrement d'une âme volée. Enfin, sa personnalité magique survit dans une tête chantante qui continue à donner des oracles bien des années après sa mort. Cela aussi suggère le Nord : ces têtes mantiques apparaissent dans la mythologie nordique et dans la tradition irlandaise. Je conclus qu'Orphée est un personnage thrace dans le genre de Zalmoxis - un chaman mythique ou un prototype de chaman. (p. 151)
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On peut regretter pour les Grecs que l'idée d'une justice cosmique représentant un progrès sur l'ancienne notion des Puissances divines purement arbitraires, et fournissant une sanction pour la nouvelle morale civique, - ait été ainsi rattachée à une conception primitive de la famille. Car cela impliquait que tout le poids du sentiment religieux et de la loi religieuse empêchait l'apparition d'une conception véritable de l'individu en tant que personne, avec des droits et des responsabilités personnelles. Une telle conception apparut à la longue dans le droit séculier attique. Comme le montre Glotz dans son grand ouvrage La Solidarité de la Famille en Grèce, la libération de l'individu des liens du clan et de la famille est une des principales réalisations du rationalisme grec, et une réalisation dont le mérite revient à la démocratie athénienne. Mais bien après que cette libération fut achevée en droit, les esprits religieux restaient hantés par l'ombre de l'ancienne solidarité.

Nous voyons chez Platon qu'au ive siècle, on montrait encore du doigt l'homme marqué d'une culpabilité héréditaire et cet homme était encore disposé à payer un cathartes pour obtenir une purification rituelle. Platon lui-même, d'ailleurs, tout en acceptant la révolution dans le droit séculier, admettait la culpabilité religieuse héréditaire dans certains cas. Un siècle plus tard, Bion de Borysthènes éprouve encore le besoin de faire remarquer que Dieu, en punissant le fils pour l'offense paternelle, se comporte comme le médecin qui purgerait l'enfant pour guérir le père ; et le dévôt Plutarque, qui cite ce trait d'esprit, tente néanmoins de trouver une justification à l'ancienne doctrine en faisant appel aux faits observables de l'hérédité. (pp. 43-44)
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Le puritanisme ancien, tout comme sa contrepartie moderne, avait sa doctrine du péché originel qui rendait compte de l'universalité des sentiments de culpabilité. Certes, la transmission physique de la culpabilité par une succession corporelle était rigoureusement inconciliable avec l'idée que le soi occulte et perdurable en était le porteur. Mais cela ne doit pas beaucoup nous surprendre. Les Upanishads de l'Inde aussi parvenaient à concilier l'ancienne croyance à la pollution héréditaire avec la doctrine plus récente de la réincarnation ; et la théologie chrétienne trouve le moyen de concilier la culpabilité héréditaire d'Adam et la responsabilité morale individuelle. Le mythe des Titans expliquait au puritain grec pourquoi il se sentait à la fois un dieu et un criminel; le sentiment« apollinien » dé l'éloignement du divin et le sentiment « dionysiaque » d'identité étaient tous les deux expliqués et tous les deux justifiés. C'était là quelque chose de plus profond que toute logique. (p. 160)
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Nous savons que le prophétisme extatique se pratiquait depuis des temps reculés au Moyen-Orient. Cela se produisait en Phénicie, comme l'atteste un document égyptien du XIe siècle ; et trois siècles avant, nous voyons le roi hittite Mursili II prier pour que lui soit envoyé un « homme divin » qui pourrait faire la chose qu'on demandait si souvent à Delphes : révéler pour quel péché le peuple était affligé de la peste. Ce dernier exemple serait particulièrement significatif si nous pouvions accepter (comme Nilsson tend à le faire) l'hypothèse de Hrozny pour qui Apollon, maître et médecin de la peste, ne serait autre que le dieu hittite Apulunas. Quoi qu'il en soit, il me semble à peu près certain, d'après les preuves fournies par l'lliade, qu'Apollon était, d'une façon ou d'une autre, originaire d'Asie. Et en Asie, tout comme en Grèce continentale, nous trouvons le prophétisme extatique associé à son culte.

Ses oracles à Claros près de Colophon et à Branchidée aux environs de Milet sont réputés avoir existé avant la colonisation de l'Ionie, et aux deux endroits le prophétisme extatique semble avoir été pratiqué. Il est vrai que nos témoignages sur ce dernier point nous viennent d'auteurs tardifs ; mais à Patara en Lycie - de l'avis de certains, la première patrie d'Apollon et certainement un centre ancien de son culte - à Patara, nous le savons par Hérodote, la prophétesse était enfermée dans le temple pendant la nuit en vue d'une union mystique avec le dieu.
(...)
A Delphes et, semble-t-il, à la plupart de ses oracles, Apollon produisait non pas des visions comme celles de Théoclymène, mais « l'enthousiasme » au sens premier et littéral. La Pythie devenait entheos, pleine du Dieu ; le dieu entrait en elle et se servait de ses organes vocaux comme s'ils étaient les siens, exactement comme le fait le « contrôle » chez les médiums spirites modernes ; c'est pourquoi les discours delphiques d'Apollon sont toujours mis à la première personne, jamais à la troisième. (pp. 76-78)
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Au problème archaïque tardif de la justice divine, la réincarnation offrait en effet une solution moralement plus satisfaisante que la culpabilité héréditaire ou la punition dans un monde d’outre-tombe. Avec l’émancipation croissante de l’individu des liens de la solidarité familiale et l’augmentation de ses droits en tant que « personne » légale, la notion que l’on puisse payer les fautes d’un autre devenait inacceptable. Une fois admis par la loi humaine qu’un homme est responsable de ses propres fautes, il faut que, toi ou tard, la loi divine l’admette aussi. Quant à la punition après la mort, cela expliquait certes assez bien pourquoi les dieux paraissaient tolérer le succès des méchants ici bas ; d’ailleurs la nouvelle doctrine exploitait les choses à fond, en se servant de la technique du « voyage aux enfers » pour évoquer sous un aspect vrai et cru, les horreurs de la damnation. Mais la punition dans la vie future n’expliquait pas toujours pourquoi les dieux toléraient tant de souffrances humaines, et surtout celle, imméritée, des innocents. La réincarnation, au contraire, en rendait compte. Selon cette doctrine, aucune vie humaine est innocente : tous s’acquittent plus ou moins de crimes diversement atroces commis au cours de leur vie antérieure. Et toute cette masse sordide de souffrance, tant dans ce monde que dans l’autre, n’était qu’un aspect de la longue éducation de l’âme – une éducation qui aboutirait à sa libération du cycle de naissance et son retour à sa source divine. C’est ainsi seulement, sur cette échelle du temps cosmique, que la justice – en son plein sens archaïque, cette justice dont la norme est que « le malfaiteurs portera sa peine » – pouvait être entièrement rendue à chaque âme.
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