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4,15

sur 998 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2022 # 21 °°°

« Un chef d'oeuvre » nous dit le bandeau rouage qui ceint le livre. En général, je ne prête que peu de foi à ces allégations qui ne clignotent que pour pousser à l'achat. Mais là oui, je plussoie frénétiquement, tant le terme, souvent galvaudé, me semble ici mérité.

Pour être à la hauteur de l'ambition romanesque initiale, il fallait que le récit incarne la narration qu'il célèbre. Et c'est un exploit qu'un scénario aussi extravagant réussisse à garder cohérence et émotion jusqu'au bout de ses près de 700 pages. La distribution vraiment bizarre fait ainsi se croiser cinq personnages très différents, chacun évoluant sur des flux géographico-temporels très éloignés :

- dans l'Idaho d'aujourd'hui : Zeno Ninis, vieil homme vétéran de la guerre de Corée, qui aide des enfants à préparer une pièce de théâtre dans une bibliothèque le jour d'un attentat à la bombe commis par un jeune homme fragile, Seymour Stuhlman.

- en 1453, Anna, une brodeuse orpheline vivant derrière les remparts de Constantinople, apprend le grec ancien d'un vieux professeur goitreux, alors qu'Omeir, jeune bouvier au bec de lièvre se retrouve réquisitionné avec ses boeufs dans l'armée du sultan Mehmet II qui démarre le siège de la capitale de l'empire byzantin

- XXIIème siècle, Konstance, une adolescente vit confinée dans une cellule de l'Argos, vaisseau spatial qui fuit une terre dévastée pour se rendre dans la planète Beta Oph2, sous la surveillance de l'intelligence artificielle nommée Sybil.

Le fil conducteur à ses histoires disparates est un livre, La Cité des nuages et des oiseaux, contant les aventures d'un berger dont les transformations physiques font écho aux hauts et aux bas des personnages. Des extraits s'entrelacent dans les autres récits, texte entièrement inventé par Anthony Doerr qui l'attribue à un auteur antique réel, Antoine Diogène, en s'inspirant de ceux de l'Antiquité comme L'Ane d'or d'Apulée. C'est aussi la porte d'entrée et de sortie du labyrinthe narratif.

La grande joie du lecteur est de regarder les pièces du puzzle se remettre en place, les différents récits se réfractant les uns les autres comme autant d'éclats d'un kaléidoscope. La montre suisse de la construction laisse pantois d'admiration tant tout s'emboîte à la perfection. Anthony Doerr est un magicien capable d'animer chaque scène, trouvant les détails qui donnent de la texture à la lecture ou créent une intimité surprenante avec des personnages qui vous touchent profondément.

Ce roman-mondes - forcément au pluriel - stimule l'imaginaire et célèbre la littérature : celle qui fédère et relie les hommes à travers le temps, celle qui transcende la solitude, qui procure consolation et baume depuis des millénaires tout en brisant les murs autour de nous. L'épigraphe est limpide : « A tous les bibliothécaires passés, présents, et à venir ».

L'auteur souligne ainsi le rôle des gardiens passeurs de livres lorsque passe le Temps. Combien d'oeuvres de l'antiquité ont été perdues par le feu, la moisissure, l'insouciance, l'eau, la censure ou l'indifférence. Ce n'est pas un hasard si la ville ce Constantinople est mise en lumière, elle qui contenait avant sa chute en 1453 la plus grande bibliothèque du monde qui a permis de conserver la culture gréco-latine. Oui, la littérature peut sauver. La projection du récit dans un futur incertain rongé par le réchauffement climatique rappelle à quel point la survie de l'espèce humaine est reliée à la survie de la culture et des livres.

Le message peut sembler banal mais le résultat est captivant. Une bouffée d'air frais que cet ample roman follement inventif, regorgeant de générosité et de vie, et finalement plein d'un espoir. Galvanisant !
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Après « Toute la lumière que nous pouvons voir », qui lui a permis de décrocher le prix Pulitzer en 2015, le romancier américain Anthony Doerr a méritoirement remporté le Grand Prix de Littérature américaine 2022 pour ce roman qui vous invite à voyager à travers le temps et l'espace sur près de 700 pages.

Dans l'Idaho de nos jours, Zeno Ninis, un vétéran octogénaire de la guerre de Corée, aide des enfants à mettre sur pied une pièce de théâtre dans la bibliothèque municipale de Lakeport. Au même moment, Seymour Stuhlman, un jeune homme hypersensible, s'apprête à commettre un attentat à la bombe pour le compte d'un groupe d'éco-terroristes.

En 1453, à Constantinople, une jeune brodeuse nommée Anna se passionne pour les livres et s'avère d'ailleurs plus douée pour le grec ancien que pour les travaux d'aiguille. de l'autre côté des remparts, Omeir, un jeune paysan au bec de lièvre, se retrouve réquisitionné par un sultan bien décidé à faire tomber la capitale de l'Empire byzantin.

Au 22ième siècle, une adolescente vit confinée à bord d'un vaisseau spatial à destination de la très lointaine planète Beta Oph2, sous la surveillance d'une intelligence artificielle nommée Sybil.

« La Cité des nuages et des oiseaux » est un roman choral déboussolant qui balade le lecteur de la chute de Constantinople au XVe siècle jusqu'au futur lointain du XXIIe siècle, en passant par la guerre de Corée et en utilisant un vieux texte remontant à la Grèce antique comme fil rouge afin de relier l'ensemble en un tout aussi cohérent que puissant !

« La Cité des nuages et des oiseaux » s'avère en effet être le titre d'un manuscrit antique écrit par Diogène et relatant la quête d'Aethon, un vieux berger à la recherche d'une cité céleste utopique, dont l'épopée va miraculeusement parvenir à traverser les époques. En imaginant ce livre venu du fond des âges et traversant les siècles, Anthony Doerr parvient non seulement à nouer les différentes intrigues, mais rend surtout un hommage vibrant à la littérature.

C'est ce petit livre, protégé par les murailles de Constantinople, capable de survivre à la barbarie des hommes et aux désastres climatiques, qui apportera du réconfort aux personnages tout au long du récit, démontrant le pouvoir salvateur des livres à travers les millénaires, ainsi que l'importance de la transmission du savoir, comme en témoigne d'ailleurs la belle dédicace en début de roman : « À tous les bibliothécaires passés, présents et à venir » !

« La Cité des nuages et des oiseaux » est une merveilleuse épopée, profondément humaine, portée par des personnages foncièrement attachants et abordant avec intelligence de nombreux thèmes sensibles, tels que l'écologie, l'homosexualité ou le handicap. Un gros coup de coeur !

« Étranger, qui que tu sois, ouvre ceci et tu apprendras des choses stupéfiantes. »
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Ce livre m'a littéralement happé.
Un mystérieux ouvrage datant de la Grèce Antique va se transmettre de main en main à travers les siècles.
Leurs détenteurs ne sont ni des princes, ni des politiciens, ni des hommes de pouvoir ; ce sont des gens bien ordinaires ballotés par la vie et le tragique de l'Histoire. Ils seront les gardiens fidèles et intransigeants de ce livre fascinant.
Un codex grand comme un livre de poche avec ses pages à moitié effacées, si détérioré qu'il donne l'impression d'être « resté mille ans au fond de la cuvette d'un WC ».
Un livre venu du fond des âges et qui poursuivra son chemin chaotique bien au-delà de notre siècle.
Un livre qui changera l'existence de ceux dont le destin a donné mission de l'étudier, de le comprendre, de le conserver comme le plus précieux des trésors, de lui permettre de poursuivre sa route à travers les incertitudes du temps.
Nos passeurs de relais se nomment Anna, Omeir, Zeno, Seymour, Konstance…
Constantinople au moment de sa chute, la guerre de Corée, les trente glorieuses, la terrible machinerie humaine qui tue à petit feu la planète Terre, la fuite éperdue vers les étoiles… Les époques sont différentes, mais la fascination exercée par ce petit livre et son récit en quête d'une fabuleuse cité reste la même.
J'ai aimé tous ces personnages ; j'ai aimé les suivre dans leurs espérances, leurs rêves, leurs rémissions et leurs défaites.
Anna et sa soif d'apprendre. La tare du visage d'Omeir, et sa façon de parler aux animaux. L'amour impossible de Zeno. L'effroyable tumulte dans la tête de Seymour. La rébellion de Konstance contre Sybil…
Des vies et des époques différentes avec pour seul fil conducteur leur rencontre avec ce petit livre épuisé par les ans.
Où donc a voulu nous mener Anthony Doerr ? Comme pour tous les grands livres, il y a tellement de portes d'entrée que chaque lecteur pourra se faire sa propre opinion. Moi, j'y vois l'insignifiance du petit homme emporté par l'histoire et les évènements comme feuilles au vent, et la puissance éternelle du rêve et de l'espérance…
Un roman fleuve puissant, évocateur, où l'émotion est à fleur de peau. Dès les premières pages, vous voilà embarqué. Vous ne le lâcherez plus.
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Quel livre fascinant ! Je ne me souviens pas avoir lu un autre livre comparable à celui-ci. Quasiment 700 pages, et pas un mot de trop. Personnellement j'aurais même bien continué un peu avec les derniers personnages du roman. L'émotion est bien présente, chacun des personnages sait nous toucher, chacun avec ses failles, ses faiblesses, mais aussi ses déterminations, ses forces, et ses victoires.

Un roman sur plusieurs époques, chacune mettant en scène des personnages qui se révèleront tous reliés, les uns aux autres.

Konstance, dans un futur lointain, en route vers une planète à des années-lumière, seule enfermée dans une capsule de son vaisseau l'Argos, découvrant la terre par un programme nommé Atlas, sous la surveillance d'une intelligence artificielle nommée Sybil.

Anna, jeune brodeuse à Constantinople, au quinzième siècle, plus passionnée par les livres, les idées et le pouvoir des mots que par les points de broderie :
« "Tu te bourres le crâne de choses inutiles ", lui chuchote Maria. Peut-être - mais le point de chaîne câblée, le point noué et le point de marguerite, Anna ne les apprendra jamais. Quand elle manie l'aiguille, son talent le plus sûr consiste à se piquer accidentellement le bout du doigt et à tâcher l'étoffe de sang. »

Omeir, à la même époque jeune paysan au bec de lièvre, recruté avec ses boeufs pour rejoindre l'armée du sultan, à la conquête de Constantinople. Omeir qui aime ses bêtes plus que beaucoup d'humains
« Ce n'est pas normal qu'un enfant ait moins de sympathie pour les humains que pour le reste des créatures.
La mèche du fouet claque à deux doigts de son oreille.
Un conducteur à la barbe blanche, qui les accompagne depuis Edirne, lance alors : « Laisse ce gamin tranquille. Il a de la bonté pour ses bêtes, et après ? le Prophète lui-même, que la paix soit avec Lui, a préféré un jour couper un pan de sa tunique plutôt que réveiller le chat qui dormait dessus. »

Zeno et Seymour, tous deux vivant à Lakeport aux États-Unis, quelques dizaines d'années les séparant. Zeno ancien soldat, solitaire, qui se prend de passion pour la traduction de textes grecs et Seymour, jeune hypersensible, passionné par la nature et se battant pour sa défense.

Et puis le personnage le plus improbable, Aethon, berger grec inculte de l'antiquité qui va partir à la recherche d'une cité céleste utopique : la cité des nuages et des oiseaux.
« Il fut Homme pendant quatre-vingts ans, Âne pour une année, Loup de mer pour une autre, et une année Corbeau. »

Le lien le plus immédiat entre eux est ce livre de Diogène, racontant la quête d'Aethon. Ce livre fera partie de leur histoire à chacun au cours des siècles, et l'auteur nous révèlera peu à peu toutes les ramifications qui unissent ces hommes et femmes au cours de l'histoire. Beaucoup d'informations dans les premiers chapitres, qui peuvent dérouter certains lecteurs, et peu à peu le récit s'organise, rythmé par les chapitres du livre de Diogène, et les différentes parties du récit s'accordent les unes aux autres, telles un puzzle immense. Je suis admirative de la façon dont l'auteur a mis en place toutes les petites pièces qui trouveront toutes leur sens à un moment ou un autre.

L'auteur nous enchante par un talent de conteur hors du commun, rendant chacune de ces époques, chacun de ces personnages, réels, touchants. Aucun n'aura un destin glorieux, mais ils survivront et sauront nous captiver. Je les aurais tous aimés. Je n'en oublierai aucun.

Ce roman est aussi un formidable hommage aux bibliothèques et surtout aux bibliothécaires, ceux d'aujourd'hui et ceux d'hier, qui protègent et transmettent les livres. Ces livres qui sauvent l'homme de l'ignorance, de la solitude, qui lient les différentes générations, indispensables et pourtant si fragiles. Combien ont disparu au cours des âges, combien ont été détruits par la bêtise humaine, l'intolérance, le besoin de puissance et de domination.
Je terminerai cette critique par la dédicace de l'auteur :
« À tous les bibliothécaires passés, présents et à venir »
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Mêlant mythes antiques et science-fiction dans une formidable traversée des temps dédiée « À tous les bibliothécaires passés, présents et à venir », Anthony Doerr rend un fervent et éblouissant hommage à la littérature et à tous ceux qui contribuent à son rayonnement par-delà les siècles.


Combien d'écrits, perdus au fil du temps, ont-ils disparu définitivement ou dorment encore, cachés en quelque recoin oublié, doucement rongés par l'âge, les champignons et les insectes, en attendant que, peut-être, leur découverte ne leur redonne un jour la parole ? « Un texte – un livre – est un lieu de repos pour les souvenirs de ceux qui ont vécu avant nous. Un moyen de préserver la mémoire après que l'âme a poursuivi son voyage. » « Mais les livres meurent, de la même manière que les humains. Ils succombent aux incendies ou aux inondations, à la morsure des vers ou aux caprices des tyrans. Si personne ne se soucie de les conserver, ils disparaissent de ce monde. Et quand un livre disparaît, la mémoire connaît une seconde mort. »


Un manuscrit très ancien et abîmé, relatant, à la manière des Oiseaux d'Aristophane, l'odyssée d'un berger vers une utopique cité céleste, royaume des créatures ailées, est retrouvé par hasard dans la Constantinople de 1453, assiégée par les Ottomans. Dans l'atmosphère apocalyptique qui précède la chute de la ville et la fin de l'Empire romain d'Orient, le petit codex est miraculeusement sauvé de la destruction en même temps qu'il favorise la fuite conjuguée de deux adolescents, Anna et Omeir, représentants de chaque camp. Après encore bien des turpitudes et des détériorations supplémentaires, il parvient entre les mains de Zéno le bien-nommé – Zénodote fut le premier bibliothécaire de la bibliothèque d'Alexandrie –, un Américain du XXe siècle dont un érudit anglais, rencontré dans les camps de prisonniers de la guerre de Corée, a sauvé la vie en lui communiquant sa passion pour les grands textes et mythes de l'Antiquité. Mais Zéno et la bibliothèque de sa petite ville se retrouvent au centre des visées terroristes d'un jeune écologiste déterminé à frapper fort pour tenter de freiner la destruction de la forêt. C'est dans une navette spatiale fuyant en 2146 la Terre dévastée en direction d'une autre planète, qu'une adolescente explorant virtuellement la vie grâce à la formidable bibliothèque stockée dans une incollable intelligence artificielle, devra elle aussi son salut à la découverte de l'utopie rédigée deux mille ans plus tôt…


Constatant avec mélancolie la fragilité de la littérature, dont une part s'évapore inexorablement au fil du temps, siphonnée par les guerres, la précarité et les catastrophes naturelles en même temps que passent les générations humaines, Anthony Doerr s'émerveille en même temps de son universalité et de ses pouvoirs salvateurs. Dans un monde qui, à aucune époque, n'aura su s'affranchir de la violence, de la peur et du désespoir, il célèbre son enchantement possible grâce à la force de l'écriture et de l'imaginaire, à la capacité de la littérature de s'affranchir du temps et des frontières, de nous ouvrir les portes de l'utopie et de l'espoir. Et c'est avec un immense plaisir que, fasciné par la savante imbrication de chacun des récits qui forment ce roman-fleuve aux multiples atmosphères prégnantes, l'on se laisse emporter par sa narration aussi fluide, dense et vivante qu'érudite et pertinente.


« À chaque signe correspond un son, associer les sons revient à former des mots, et en associant les mots on finit par bâtir des univers. » On ne se lasse pas de celui que cet auteur, fort de son merveilleux talent de conteur et de son imagination sans pareille, nous donne à explorer. Coup de coeur.

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Je vous écris ce billet depuis les entrailles d'un Léviathan et je vous assure que ce n'est pas un endroit très confortable pour écrire. Ça bouge tout le temps, ces petites bêtes... En plus il y a plein d'arrêtes, ce que je déteste par-dessus tout dans le poisson...
Le récit démarre dans une capsule spatiale appelée L'Argos qui nous propulse dans un temps futur indéfini, sauf peut-être pour ceux qui ont programmé sa trajectoire.
Mince ! Un récit de SF, ai-je pensé tout d'abord. Cela vous donne déjà un aperçu de mon appétence pour le genre... Mais non, c'est bien autre chose, même si cela l'est aussi d'une certaine manière...
La Cité des nuages et des oiseaux est l'histoire d'un manuscrit qui traverse les âges.
Le temps est cet indicible et vertigineux territoire qui abrite, protège, broie aussi.
La Cité des nuages et des oiseaux est le titre du livre dont je vous parle, mais c'est aussi le titre d'un livre qui aurait été écrit il y a de cela plus de dix-huit siècles par un certain Antoine Diogène, un auteur grec de l'époque romaine. Et la genèse de la Cité des nuages et des oiseaux part de ce manuscrit disparu, puis retrouvé par hasard...
C'est donc un livre qui parle d'un livre, un peu comme le voyage d'un Léviathan qui aurait englouti le monde dans lequel nous sommes et que je vous décris en le contemplant à travers la gueule ouverte du monstre qui m'a avalé... Vous me suivez ?
J'aurais très bien pu écrire ce billet d'un autre endroit plus confortable, tiens par exemple dans un vaisseau intersidéral, - quoique, ou bien sous les remparts de Constantinople, la gardienne des textes anciens ou pourquoi pas sur le dos d'un âne depuis une plaine de l'Arcadie.
J'aime bien me mettre en situation pour écrire mes billets. Les entrailles d'un Léviathan ne sont peut-être pas l'endroit idéal pour explorer le monde et ses méandres, mais il offre une capacité de voyager indéniable, traversant les mers, effleurant les rivages, défiant les contrées les plus insaisissables...
C'est un récit choral comme je les aime. Un manuscrit traverse le temps et capte toutes ces voix, nous les renvoie par le truchement de l'imaginaire comme des miroirs jouant avec le soleil, avec les constellations qu'il traverse.
Les premiers chapitres m'ont permis de faire la connaissance de tous les personnages avec lesquels je m'apprête à voyager... Chacun habite un récit qui lui est propre, un temps qui lui est propre aussi, viendra un romancier qui s'appelle Anthony Doerr, qui dans un geste empli de jubilation et de virtuosité, va couturer l'ensemble comme un orfèvre autour d'un seul chemin : celui d'un livre. Quelle prouesse !
Certains de ces personnages sont attachants et je ne suis pas prêt de les oublier. Konstance en voyageuse intersidérale du vingt-deuxième siècle à destination de la planète Bêta Oph2, Anna et sa soeur Maria dans la Constantinople du quinzième siècle, un jeune berger du nom d'Omeir né avec une fente labiale, Zeno Niris vétéran de la guerre de Corée, traducteur inspiré, Seymour Stuhlman, inquiétant jeune homme qui a l'âme d'un terroriste au motif qu'il veut sauver la planète en danger...
Sans oublier ces cinq enfants d'une bibliothèque municipale de Lakeport, dans l'État de l'Idaho aux États-Unis...
Ils ont plusieurs points communs même s'ils ne se connaîtront jamais. Un seul leitmotiv les anime et va donner sens à leur existence : un livre, un manuscrit miraculeusement préservé venu des limbes de la Grèce antique, écrit par un certain Antoine Diogène...
Les différents chapitres font écho les uns aux autres puisqu'ils nous parlent que d'une seule et même chose : l'odyssée d'un manuscrit.
Ce récit qui ressemble à lui seul à un immense vaisseau traversant le temps est avant tout un magnifique hommage à l'univers des livres.
Plus que conteur, Anthony Doerr se fait ici griot, dépositaire d'une histoire à transmettre à travers les âges, puisant à la fois dans son imaginaire épris de fiction, mais aussi dans les récits mythologiques et les riches références historiques qui peuplent ce livre.
S'il me venait spontanément un adjectif, là à cet instant, ce serait celui de tourbillonnant.
C'est un récit vaste comme l'espace dans lequel nous voyageons sans nous en rendre compte au quotidien, c'est un récit qui se déplie sous la forme d'une odyssée.
C'est un récit qui nous parle d'humanité, celle qui vacille sous la menace ou l'emprise des barbaries, des guerres, de la disparition des espèces vivantes et du changement climatique..., une humanité en perdition qui joue à chaque instant sa survie...
La plus belle image du récit que je garderai en moi après sa lecture est celle que la littérature est la discipline à avoir su inventer le premier voyage dans l'espace.
Livre-monde,
Livre-vaisseau,
Livre-Léviathan,
Livre-Arche de Noé,
Livre-humanité...
Je n'en finis pas de déplier toutes les possibilités de ce livre comme une cartographie infinie tout en contemplant l'espace-temps abyssal que je traverse et que j'aperçois lorsque le Léviathan se met à bailler... Oui je confirme, un Léviathan ça baille, c'est même à ça qu'on le reconnaît...
Odes aux bibliothèques (et je rajouterai : odes aux bibliothécaires),
Odes à la transmission,
Odes aux quêtes insensées...
Oui, ce livre célèbre les quêtes insensées si l'on peut ainsi qualifier celle de vouloir protéger à toutes forces un manuscrit vieux de plus de dix-huit siècle.
En filigrane se détache comme ultime message celui-ci que seule la littérature pourra nous sauver. Mais nous sauver de quoi ? Peut-être de nos propres démons...
La fin du roman pourra surprendre certains d'entre nous... Récit inachevé ? Bâclé ? Ouverture vers d'autres espace-temps ? Elle ressemble peut-être tout simplement à l'âme de ce livre... Une histoire qu'il reste encore à transmettre aux générations futures...
Et comment ne pas oublier la fabuleuse dédicace qui entame le livre d'Anthony Doerr :
« À tous les bibliothécaires passés, présents et à venir. »
Cet écrivain est remarquable et ce livre m'a tout simplement rendu heureux.
Il me faut à présent glisser mon billet dans une bouteille et la jeter par-dessus les vagues en espérant qu'un lecteur attentif la recueillera au bord d'un rivage...
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Antoine Diogène est un écrivain grec de l'époque romaine, auteur d'un récit de voyages fabuleux en 24 livres intitulé « Les merveilles d'au-delà de Thulé », qui ne nous est pas parvenu mais que Photius a retranscrit dans sa Bibliothèque. Intitulé ici "La cité des nuages et des oiseaux", c'est autour de cette oeuvre que tourne toute l'histoire d'Anthony Doerr, véritable voyage à travers les siècles qui m'a totalement conquise.

Il faut certes s'accrocher au départ, puisque nous sommes d'emblée baladés d'une époque à l'autre, d'un personnage à l'autre, mais on a tôt fait de prendre notre envol quand on comprend que tout se découpe sur trois périodes principalement où nous suivrons cinq personnages au total : au XVème siècle auprès d'Anna et Omeir à Constantinople, du milieu du XXème siècle à nos jours auprès de Zeno et Saymour en Idaho, et pour finir dans le courant du XXIIème siècle auprès de Konstance dans un vaisseau spatial en route vers une planète habitable.

Passé, présent et futur se mêlent au fil des pages. "La cité des nuages et des oiseaux" de Diogène en est le fil conducteur puisqu'il traverse les siècles tout en parvenant à transporter ses lecteurs vers des contrées inconnues. Tout commence en 1453 avec Anna, qui n'oublie pas de le fourrer dans son sac dans sa fuite, lorsqu'elle tente d'échapper au siège de Constantinople. Tout se termine avec Konstance en 2146, dont je ne peux rien dévoiler. Mais entre ces deux périodes, il y a ce fameux 20 février 2020 : une bibliothèque municipale dans une commune de l'Idaho, une ultime répétition avant la représentation d'un spectacle racontant le voyage d'un homme en quête d'une cité dans les nuages, un ancien combattant, cinq enfants, un jeune homme un peu perdu et incompris, et une bombe...

J'ai eu un peu de mal au début, du mal à me mettre complètement dedans. Les chapitres étant assez courts, je passais trop rapidement d'une époque à une autre et d'un personnage à un autre, ne me laissant pas le temps de les apprivoiser. C'est finalement venu tout seul, sans que je ne m'en rende vraiment compte. La plupart des fins de chapitre nous laissant en plan, j'étais bien obligée de continuer ma lecture pour pouvoir retrouver le fil. Un coup, j'étais pressée de retrouver Konstance, un autre Zeno et Saymour, ou encore Anna et Omeir. Complètement prise au piège dans ce cercle vicieux, j'ai fini par tourner et tourner les pages à une vitesse faramineuse.

Anthony Doerr a fait un travail remarquable, complet. Son roman, au premier abord un peu complexe, n'en est en fait que minutieusement bien construit. Les fils se dénouent au fur et à mesure qu'on avance dans notre lecture. Passé, présent et futur ne feront plus qu'un au fil des pages. Tout se rejoint, tout s'explique petit à petit. L'ensemble est judicieusement bien amené. Ajoutez à cela des personnages également bien fouillés, des descriptions foisonnantes mais jamais barbantes parce que nécessaires, et vous obtenez un roman captivant sachant mêler le temps et L Histoire à l'imaginaire et au merveilleux.

Mélangeant l'historique, le contemporain et la science-fiction, je ne saurais comment définir ce roman. Mais aucune importance ! Parce que j'ai adoré ! N'est-ce pas là l'essentiel ?

"La cité des nuages et des oiseaux" est un très beau voyage à travers le temps et l'espace. Un petit pavé de 704 pages dans lequel on en redemanderait encore et encore, qu'on ne tient pas à terminer trop vite. Un roman complet, captivant et qui plus est très bien écrit.
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Prêts pour un voyage extraordinaire dans le temps et l'espace ! Alors plongez dans ce roman foisonnant d'Antoine Doerr ! du moyen-âge à nos jours, avec même une incursion dans un futur interstellaire, de la Perse aux États Unis en passant par la Corée, la narration vertigineuse nous entraine dans son tourbillon .

Qu'est-ce qui unit ces lieux et ces époques disparates ? Un codex, un ancêtre du livre moderne, un manuscrit qui passe de mains en mains, de conflits en inondations, manquant chaque fois de disparaître dans un oubli inéluctable, mais qui renaît à chaque fois de ses cendres, au risque de devenir de plus en plus difficile à déchiffrer, tant les affres du temps et les catastrophes dont il est témoin le mettent à rude épreuve.

On aime ces héros modestes, qui seront agent de transmission de la légende de Diogène , l'auteur des pages précieuses, dont l'ambition était au départ de conter une histoire à sa fille; on aime l'adresse qui consiste à faire entrer la Grande Histoire au coeur des vies minuscules ballotées par des événements qui les dépassent.

Malgré les bonds dans le temps et l'espace, on est rapidement familier avec les différentes époques où nous transporte l'auteur et les portraits des personnages sont suffisamment bien brossés pour que leur évocation nous soit vite claire.

On salue ce talent de conteur remarquable et c'est avec ce type de roman que l'on sait pourquoi on aime tout lâcher di quotidien pour vivre par procuration mille autres vies, au travers de si magnifiques pages.



704 pages Albin-Michel 14 septembre 2022

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“ Ώ ξένε, ὄστις εἶ, ἄνοιςον, ἴνα υἀθῃς ἂ θανυάξεις
Étranger, qui que tu sois, ouvre ceci et tu apprendras des choses stupéfiantes.”
Passé, présent, futur.
Passé:
Anna adolescente de 14 ans vit ses journées dans l'insouciance de son âge. Elle habite Constantinople avec sa soeur aînée Maria. 1439 La ville se prépare au siège des troupes Ottomanes; c'est la fin de l'empire Byzantin. Lors d'une de ses déambulations quotidiennes Anna va faire deux découvertes qui vont transformer sa vie, d'étranges caractères sur un vélin que lit un vieil homme à ses élèves, un épisode de l'odyssée et et la découverte dans un prieuré abandonné d'un codex d'un certain Antoine Diogène « la cité des nuages et des oiseaux « va être l'occasion de fuir la ville et de devenir la gardienne d'un savoir oublié. Au même moment Omeir jeune homme Bulgare est enrôlé de force avec ses deux boeufs par les troupes du sultan direction Constantinople. Omeir est un garçon solitaire rejeté par la troupe à cause de son bec de lièvre.

« πολλῶ δ' άνθρὠπων ἴδεν ἄστεα ϰαἱ νόον ἔγνω »
« Celui qui visita les cités de tant d'hommes et connut leur esprit « 
Présent :
Zeno Ninis vétéran de la guerre de Corée se souvient, ce camp de prisonniers et sa rencontre avec Rex un professeur de grec ancien, la découverte de cette écriture mystérieuse qui allait faire de lui un gardien du savoir. Maintenant Zeno est vieux il se souvient: A égale ἄλφα égale alpha. B égale βῆτα égale bêta. Ω égale μέγα égale oméga.
Dans la bibliothèque de Lakeport Idaho Zeno suit la répétition de la pièce « la cité des nuages et des oiseaux en compagnie des enfants de la ville.
Au même moment Seymour un garçon plein de douleurs et de rancoeurs s'apprête à commettre l'irréparable. Souvent seul, livré à lui-même il passe son temps entre l'école,la bibliothèque et la forêt derrière sa maison. Seymour est malade, avec son casque anti bruit sur les oreilles il est vite mit de côté par les élèves de sa classe. La disparition d'ami fidèle va être la goutte qui va faire déborder le vase.
Futur :
Konstance jeune adolescente de 14 ans navigue à bord de l'Argos une navette spatiale qui file vers la planète Beta Oph2. Elle fait partie de la deuxième génération. Sa vie à bord est gérée par une intelligence artificielle Sybil. Après les cours et divers travaux Konstance se réfugie dans la bibliothèque virtuelle.
Voilà la trame de ce roman doudou comme dirait Sonia. Un voyage dans le temps que nous offre Anthony Doerr, une éblouissante aventure où les thèmes abordés comme l'écologie, la littérature et la transmission du savoir ou encore l'exclusion sociale à cause de différence physique ou mental . A travers ce voyage on suit l'épopée du berger Aethon qui rêve de découvrir la cité des nuages et des oiseaux et de la malédiction qui le punit de sa curiosité. le fameux codex qui relie les personnages du roman. J'ai adoré ce roman malgré une pirouette de l'écrivain sur la fin de l'histoire. Mais je lui pardonne aisément tellement il m'a rendu heureux.

παράδειος, paradeisos, paradis : un mot qui signifie « jardin « 
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Epoustouflant ! Anthony Doerr s'avère être un réel maestro !
Un récit absolument hors-norme, inclassable, qui charme, émeut, transporte.

Anna et Maria sont des petites brodeuses sans cesse penchées sur leur ouvrage à Constantinople en 1439, Omeir, un jeune garçon au bec de liève en Bulgarie à la même époque.
Zeno Ninis que l'on va suivre à différentes périodes de sa vie, enfant, jeune soldat lors de la guerre de Corée, puis à Lakeport en Idaho en 2020.
Seymour un jeune garçon qui vit seul avec sa mère pleine d'amour et de tendresse envers son enfant qui semble souffrir de troubles du comportement.
La très jeune et déroutante Konstance, qui vit à bord de l'Argos, un vaisseau spatial qui a quitté la terre pour assurer la survie du peu qui reste de l'humanité, à destination de la très lointaine planète Beta Oph2, si lointaine que Konstance n'a même pas l'espoir d'arriver vivante à destination.
En fil rouge, reliant étrangement de diverses manières les personnages, Aethon, héros d'un conte de la Grèce Antique, dont une grande partie du texte d'origine a été perdu, suite aux outrages du temps et des hommes, … Chaque folio de ce texte ouvre les 24 chapitres du livre (comme les 24 lettres de l'alphabet grec), en véritable fil d'Ariane.
Anthony Doerr entrelace avec aisance les récits, les personnages, les époques sans jamais perdre le lecteur. A chaque fois, quelle frustration de quitter un personnage, mais quel plaisir d'en retrouver un autre et de poursuivre ses aventures !
L'auteur aborde une multitude de sujets, la protection de l'environnement et des animaux, l'amour, l'homosexualité, la générosité, la guerre, la peur des étrangers, …Mais plus que tout, c'est l'amour des livres qui permet la transmission du savoir, les histoires qui guérissent, on ne meurt pas avant de connaître la fin d'une histoire…
Au début, l'histoire de Konstance m'est apparue incongrue, me semblait faire un peu tache parmi les autres récits, mais au fil des pages, elle s'avère être une des plus intéressantes, de celles qui font le plus réfléchir et son retournement final s'est avéré assez inattendu.
Une épopée-odyssée magique et magnifique qui plaira aux rêveurs, aux amateurs d'histoires. Un livre pour retrouver en chacun de nous l'enfant qui sommeille et qui attendait sagement tous les soirs l'heure de l'histoire (ce qui peut faire pas mal de monde au total)…
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