Jean Philippe Domecq est un mélange de Don Quichotte et de croisé parti à l'orée des années 90 à l'assaut des moulins à vent fortifiés que constituent selon lui l'art contemporain.
Je lui reconnais un certain talent de polémiste et de la suite dans l'argumentation et dans les idées. Mais je ne partage absolument sa vision de l'art qui me semble caricaturale et surtout limitée à une certaine frange de la création contemporaine. Oui, tous les artistes ne sont pas des génies et beaucoup d'oeuvres d'art aujourd'hui exposées dans des institutions prestigieuses passeront un jour prochain par pertes et profits dans les poubelles de l'histoire, comme l'ont été avant elles les oeuvres de l'art pompier de la seconde moitié du XIXème siècle. Elles en ressortiront d'ailleurs peut-être un jour.
Mais l'art contemporain est beaucoup plus divers que ne laisse penser JP Domecq. Et beaucoup de fils relient cet art à celui du passé, même si un spectateur pressé et manquant de culture artistique a du mal à les identifier. La très grande majorité des artistes contemporains possèdent une culture large et profonde, largement supérieure à celle du spectateur moyen.
Le seul véritable intérêt de ce livre est pour moi d'illustrer le combat sur l'art contemporain entre les pros et les antis, combat qui a d'ailleurs perdu beaucoup de sa vivacité depuis le sommet de la polémique atteint il y a une vingtaine d'années. La crise et l'effondrement maintes fois annoncés ne se sont jamais produits. Il n'y a jamais eu autant d'amateurs et de collectionneurs.
...il y eut bien oppression, culturelle, au cours de ce demi-siècle d'art.
Qui de nous ,n'a vu ces enfants des écoles que l'on fait défiler, au nom de l'initiation à l'art-qui-rompt, devant les œuvres que j'ai mentionnées au chapitre précédent, carrés de métal au sol (Carl André), télégramme de On Kawara indiquant à son galeriste qu'il est à telle heure à tel endroit, série de chiffres qu'aligne de toile en toile Roman Opalka, toiles lacérées de Fontana, retournées de Rutault, rayées de Barré, peintes à l'envers par Baselitz, et le bleu Klein, et le néon de Flavin, la savonnette géante de Fabrice Hybert, grand prix de la biennale de Venise, le carrelage du précédent lauréat français de la même biennale, les horloges identiques, alignées sur le mur et indiquant chacune l'horaire sur tel point de la planète, avec marteau à côté de chaque horloge (Vilmouth), les photos du couple Gilbert et George, le pigeon naturalisé que Dietman a posé sur un tas de fiente en bronze - bref, qui n'a vu ces générations de jeunes qu'une " pédagogie d'éveil" et de "formation à l'art vivant" a traînés devant ces produits les plus cotés et commentés de l'art dit contemporain? Et il fallut admirer, apprécier, "s'ouvrir"...
Mesure-ton bien la restriction des facultés réflexives sensibles et imaginatives, la fermeture d'esprit et de désir que de telles œuvres entraînent, et la responsabilité qu'on a prise pour l'avenir ? Sent-on bien que ce n'est pas sans conséquences qu'on soumet le boîtier crânien à pareilles œillères, et qu'on y soumet d'autant plus efficacement qu'on le fait avec les meilleures intentions démocratiques du monde ?
Quelle romancière publie "Les Hauts de Hurle-vent" en 1847 ?