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Critique de 4nn3


4nn3
07 septembre 2008
La Chine a été cet été au centre de l'actualité. Mais depuis quelques décennies, elle est au coin de la rue ! Elle est sur mon bureau depuis le début des vacances avec le dernier livre de Jean-Luc Domenach « La Chine m'inquiète ».

Jean-Luc Domenach, directeur de recherches au CERI, a séjourné à Pékin de février 2002 à février 2007. de ce séjour en Chine sont nés deux ouvrages « Comprendre la Chine aujourd'hui » (mars 2007) et le présent « La Chine m'inquiète ». Ces deux ouvrages font suite à une série d'autres qui concernent la Chine et l'Asie depuis 1976. C'est dire que non seulement l'auteur connaît son sujet mais peut inscrire ses réflexions dans une perspective historique et politique.

Mais pourquoi la Chine inquiète-t-elle ?

La Chine est sortie du communisme totalitaire mais non du communisme : Deng a sauvé le régime en concentrant ses efforts sur une croissance concrète (près de 10% par an depuis 30 ans) et en libérant de nombreux prisonniers politiques puis en institutionnalisant le régime, en décentralisant l'économie, en démantelant les communes populaires et en autorisant l'émergence d'un secteur non étatique.
Les événements de Tian'an men en 1989 ont paru menacer cette sortie graduelle du communisme totalitaire mais Deng a réussi à en profiter pour accélérer les réformes économiques et l'ouverture sur le monde.
Cependant notre observateur remarque l'émergence d'une opinion publique réduite aux grandes métropoles urbaines et un changement également dans l'attitude du pouvoir, par exemple plus de respect de la part de certains dirigeants pour les petites gens. L'importance de la vie privée a augmenté, elle s'est libérée et les choix personnels se sont diversifiés. La société chinoise qui se caractérisait il y a une trentaine d'années par son apparente discipline est devenue une société beaucoup plus agitée où l'on travaille et où l'on consomme. On assiste également à une nouvelle lutte des classes, assez semblable (c'est paradoxal dans un régime politique qui se dit encore communiste) à celle qui avait accompagné la révolution industrielle de l'Europe du XIXe siècle.

La Chine s'intègre dans le monde. Sa politique d'ouverture a contribué à la croissance économique, à la stabilité du régime mais la faiblesse principale chinoise est intérieure et sa position avec les Etats-Unis fragile.
La croissance chinoise est donc remarquable ; elle a transformé non seulement la condition matérielle des Chinois mais aussi leur rapport avec le pouvoir. La Chine tente à présent, sachant qu'on la regarde, à donner une image convenable d'elle-même et à réduire ses « taches ».
Et pourtant, cette énorme croissance n'a pas réussi à faire sortir la Chine du sous développement et elle reste un pays pauvre. de plus, la croissance coute cher au pays : gaspillage d'énergie, pollution de l'environnement, urbanisation désordonnée, clientélisme, corruption, malversations, scandales,… L'auteur termine ce premier chapitre en mettant en évidence les quatre épées de Damoclès :
l'agriculture est la base et le maillon faible de l'économie chinoise,
le secteur industriel d'Etat est peu rentable et est maintenu artificiellement en vie,
le système boursier est en état de faillite virtuelle
et la conjoncture internationale fragilise l'économie chinoise (l'économie chinoise est dépendante des minerais, du pétrole et des excédents commerciaux sur les marchés occidentaux et américains).

Jean-Luc Domenach se livre ensuite à une analyse de l'économie chinoise.
En Occident, on pense habituellement que la croissance chinoise bénéficie de coûts très bas mais la Chine est mal dotée en ce qui concerne les matières premières, les salaires chinois augmentent rapidement et de plus en plus rapidement et la Chine va devenir un pays âgé avant d'être un pays développé (effet de la politique de contrôle des naissances adoptée depuis le début des années 1970). Une tâche est donc urgente et essentielle et représente un nouveau défi : la construction d'un véritable système de santé.

La Chine doit reprendre le rôle de la croissance. Or, deux lignes s'affrontent. L'une mondialiste et affairiste réserve une grande importance aux industries de main-d'oeuvre destinées à l'exportation. L'autre, plus nationaliste, veut produire mieux, donc non pas développer l'engagement commercial de la Chine dans le monde mais le maîtriser pour l'aiguiser.
L'ambition de Hu Jintao et de Wen Jiabao est de construire une économie de haut niveau de technologie, un marché intérieur vigoureux et l'exportation de produits à forte valeur ajoutée. Un gros défaut à cette dernière ligne de conduite cependant : c'est celui d'augmenter encore la hausse, déjà prévisible, de tous les coûts (formation d'une main d'oeuvre plus qualifiée par exemple). Les autorités chinoises doivent donc développer la qualité de l'enseignement et favoriser le retour en Chine de ceux qui partent faire leurs études à l'étranger. Jean-Luc Domenach termine en se demandant quelles seront les conséquences de tous ces éléments sur le taux de croissance chinois.

Les prévisions de l'auteur, ce sont une réduction du taux de croissance et un marasme économique chinois. Or, la population supportait sa mise au travail en échange d'une progression rapide de son niveau de vie. On assisterait alors à une sorte de rupture du contrat entre le régime et la population. La croissance est tout simplement indispensable à l'obéissance populaire et est la seule légitimité du régime. La société chinoise qui a pour principal défaut l'indiscipline devrait être en proie à des troubles populaires importants (chômage, opposition démocratique,…). Reste à voir quel est encore le degré de cohésion du parti. Irait-on jusqu'à des élections ? L'auteur ne le croit guère.

L'avenir de la Chine reste une grande énigme : est-ce un pays gouvernable vu sa grandeur et sa diversité ?, quel sera le rôle des provinces ?, quel sera le rôle de l'élite bureaucratique à l'appareil lourd ?, et enfin l'inconnue militaire, l'armée. La démocratie y paraît improbable mais la récession est à ses portes !

Vous avez pu lire le tableau que Jean-Luc Domenach dresse de la Chine dans cet ouvrage extrêmement instructif et branché sur l'actualité. L'auteur appuie de notes, de références à des articles de presse ou à des auteurs, toutes ces assertions. Je ne peux pas dire que le livre soit d'une lecture aisée : avoir quelques notions d'économie et de géopolitique m'aurait permis de comprendre mieux ce qui est dit dans le livre. Faute de connaissances suffisantes, je ne tenterai pas de réfuter l'auteur sur certains points quoique ma perception d'Occidentale ne soit pas que l'arbitraire recule, ni que la Chine ne soit plus parmi les leaders mondiaux de la répression (p. 20). Toujours est-il que ce livre m'a ouvert des horizons et poussée à me poser des questions et à vouloir en savoir plus. Jean-Luc Domenach a donc relevé le défi !
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