L’auteur-compositeur-interprète montre plus qu’il ne signifie, tente une lecture du passage de l’existence. Il «ébauche une lumière», sans affectation, conscient que «ce qui nous traverse nous fuit».
Lire la critique sur le site : Liberation
Mes livres se sont envolés
une fois dans leur vie de livres
Ils auront quitté la terre ferme
Dans un virage
Ils se sont écrasés au sol
certains sont écornés
J'ai presque l'impression
d'entendre l'un d'eux dire
"j'ai mal"
Pourvu qu'on n'apprenne pas
que les objets souffrent aussi
pourvu qu'on n'apprenne pas
Dans l'encadrement
tu te tiens
droite
et tu appelles le chat
absent ce matin
Assis à la table
je te regarde de profil
et je pense qu'il va falloir
quitter ce moment
comme tant d'autres
sans y être jamais
préparé
La petite maison
I.
Je viens de temps à autre
dans la petite maison
En entrant j'ai l'impression
de lui rendre visite
Je l'ai meublée
j'y dors parfois
Il n'y a pas d'arbres autour
pas de jardin
Elle est un lieu pour s'isoler
où je suis le seul vraiment
Elle accueille cette solitude
elle en prend soin
comme de toutes celles
qu'elle a déjà
irriguées
Elle écoute
les rires enfouis en elle
les pleurs séchés
les quelques mots encore vibrants
entre ses murs
2.
Quand je sors de la petite maison
je vais un peu plus bas
le long de la rivière
Sous les arbres
des bancs
font signe
Je les ignore
pour un coin d'herbe
un endroit de lumière et d'eau
avant la tombée du jour
On entend les voitures
sur le pont
la ville est quelque part là-bas
Le livre que j'ai apporté
n'en sait rien
et moi j'ai oublié
comme j'oublie tous les livres
à part ceux lus ici
Puis je retourne
à la petite maison
j'entre et je cherche
un signe même infime
qui me dise
qu'elle m'attendait
3.
Il est tard
un disque joue
au centre la pièce
J'essaie
de ne pas boire trop vite
car le temps prend facilement le pouls
de l'alcool
Dehors
la nuit se désengage
mais la rue
dans le virage de la maison
reste à l'affût
le jour y a glissé
sans s'attarder
A l'intérieur
chaque mur
m'étreint
La mesure
Il reste du temps
dans la grande pièce à l'air vide
Au centre
un petit tas de paille
parsemé d'épingles
Les radiateurs claquent
le vent joue son morceau
Ici ce sont les esprits
qui invoquent les vivants
un volet frémit
un oiseau entré fait sa ronde
On prend là
la mesure d'une vie
au son de portes rétives
de placards qu'on peine à fermer
La récolte fut-elle bonne ?
dur à dire
trop tôt
Et même si la ruine menace
sous le grand toit bâché
je garde au moins pour écrire
intactes
mes mains de vingt ans
La tristesse des villes
imprime sur les gens
dont la tristesse imprime
sur les villes
Ce chat n'est pas å nous
mais vient nous visiter
tous les jours
Il nous a choisis
la maison et nous
l'odeur
Le matin il est là
posté dans le jardin
Il entre
choisit la chambre
et dort
toute la journée
Nous, nous sommes pris
dans l'élan des jours
l'étau des tâches
inquiets
affairés
seulement apaisés
par la présence
du chat qui dort
et dès qu'il sort
des heures durant
nous l'espérons
(Le chat qui dort)
Avec douze écrivains de l'Anthologie
Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle)
Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps
La fenêtre qui donne sur les quais
n'arrête pas le cours de l'eau
pas plus que la lumière n'arrête
la main qui ferme les rideaux
Tout juste si parfois du mur
un peu de plâtre se détache
un pétale touche le guéridon
Il arrive aussi qu'un homme
laisse tomber son corps
sans réveiller personne
Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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