Quelle lecture éprouvante... de par les thèmes abordés: la guerre civile dans le Congo de l'auteur...raconté à travers le récit alterné des deux bords: celui du bourreau, et celui de la victime. Représentés par deux adolescents de seize ans:
Johnny chien méchant, enfant-soldat, se sent puissant grâce à la mitraillette qu'il a entre les mains. Imbu de lui-même, vaniteux, il s'est mis d'emblée, et sans réfléchir du côté des vainqueurs...
Il fait le mal, fait actes de barbarie dans un état d'inconscience, de banalisation terrifiants !
De l'autre, son opposé, Laokolé, a seize ans, également. Elle aime les mathématiques, adorait aider son père (tué par les milices armées)à faire de la maçonnerie, construire des murs, etc. Elle rêve de devenir ingénieur. Elle se retrouve seule à défendre et protéger sa mère handicapée, mutilée
( par les mêmes milices qui terrorisent la population) , son petit frère, Fofo dans un sauve-qui-peut général !
En dépit de son courage, de son amour pour eux, elle les perdra tous deux... Cela ne l'empêchera pas de protéger plus faible qu'elle..dans sa fuite désespérée...
Un très beau portrait d'adolescente,rendue plus mature par la violence des évènements...
Nous passons alternativement, de la voix de "
Johnny chien méchant" à celui de Laokolé...pour narrer la sauvagerie de cette guerre civile, où sévissent la cupidité, la barbarie des "nouveaux maîtres", qui affament, tuent, violent leurs propres compatriotes... au nom d'une dite nouvelle démocratie !!!
J'ai découvert il y a quelques mois, et avec un immense enthousiasme cet écrivain, avec un texte également très dur mais plus lumineux, "
Photo de groupe au bord du fleuve". Les deux romans donnent un regard acéré, lucide sur un Congo ravagé par la guerre civile, la corruption généralisée
des gouvernants, la condition aberrante, inhumaine faite aux femmes et aux plus faibles[ dans ces années 1997 de guerre interne]
Dans ce roman très réaliste, il est aussi beaucoup question, à travers les angoisses de Laokolé [l'adolescente] du pourquoi de la présence persistante, gratuite, spontanée, de la bonté, de l'empathie, du bien que l'on fait à autrui, et cela même, au coeur de la barbarie la plus innommable.
Comme le quatrième de couverture l'exprime très justement: "Empathique et cruellement réaliste,
Emmanuel Dongala rend hommage au fol espoir des innocents et à la ténacité des faibles"
Deux extraits que j'ai particulièrement choisis, très explicites...
"Trois femmes dans un camp d'Afrique centrale, qui essayaient d'aider l'humanité; trois forces fragiles qui refusaient de baisser les bras devant l'indifférence du monde.
Pourquoi faisaient-elles cela ? Pourquoi venir risquer leurs vies dans un pays où les gens étaient assez stupides pour ne rien trouver de mieux à faire que de s'entretuer pour le pouvoir et empêcher leurs enfants d'aller à l'école ? (...)
Qu'est-ce qui faisait que malgré la cruauté dont les humains étaient capables, il y en avait qui se sacrifiaient pour en aider d'autres ? Autrement dit, vu tout le mal que les êtres humains s'ingéniaient à réaliser, le bien ne devait plus exister, et pourtant il existe . Pourquoi ?" (p. 186)
"Comment expliquer que je me souvienne en détail de toutes les scènes de cruauté dont j'avais été témoin, même témoin éloigné, alors que rien ne me restait d'un acte d'humanité qui me touchait directement ? Est-ce à dire que le mal laissait plus de traces dans nos mémoires que le bien ? "(p. 163)
J'ai en tête de lire son dernier texte, qui semble différent, même si le contexte social reste toujours prégnant dans l'histoire racontée. Je souhaitais nommer, "La Sonate à Bridgewater"... qui reste une perspective de "bonheur de lecture"... La plume et le ton de
Emmanuel Dongala,
me touchant infiniment !