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EAN : 9782246456520
319 pages
Grasset (27/02/1992)
3.79/5   7 notes
Résumé :

Vers l'âge de dix-sept ans, quand il a commencé à vouloir devenir écrivain, Christophe Donner pressentait qu'un jour il lui faudrait écrire ce livre sur Jean Gosset, son grand-père, philosophe, héros de la Résistance, mort au camp de concentration de Neuengamme à l'âge de trente-quatre ans. Ce qu'il ne savait pas, c'est que cet homme, avec une ironie d'outre-tombe, n'allait cesser de placer ici et là,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Sur la quatrième de couverture, Pierrette Rosset du magazine ELLE (sic), nous prévient, selon elle, Christophe Donner nous rappelle que l'écriture n'est pas un plaisir douceâtre, mais une activité compromettante. Soit. Promesse tenue.
J'avais essayé de lire l'esprit de vengeance à sa sortie en 1992, peut-être pour succomber à un effet de mode, ou que sais-je, enfumé par une «pivotesque soumission télévisuelle» , allez savoir...
J'en ai repris la lecture il y a quelque jours, et je retrouve cette même sensation bizarre, d'inconfort, d'incompréhension, de curiosité (peut-être malsaine) d'envie de savoir jusqu'où l'animal peut aller dans la provocation.
Je ne dirai pas que ce roman est inintéressant, ni ennuyeux, ni mal écrit, ni sans queue (il n'en manque pas) ni tête (il en a plus que de besoin), je dirai simplement qu'il est ailleurs et qu'il vient d'ailleurs , comme un OVNI que l'on croiserait un soir de février, voyageur égaré sur une route perdue dans les marais du département de l'Indre, et qui immanquablement nous ferait nous arrêter pour aller voir ce qui provoque cette lumière étrange, à la fois violent et blafarde, blanche et colorée, chaude et froide.
Mais revenons au livre de Donner :
Donc, il y a le grand-père, Jean Gosset, le philosophe résistant, déporté et mort au camp de Neuengamme en Allemagne, le 21 décembre 1944, il est l'ami de Paul Ricoeur (vous savez, le philosophe, doyen de Nanterre qui s'est vu coiffé d'une poubelle par ses étudiants en 1969-1970), le disciple d'Emmanuel Mounier (celui de la revue Esprit, le pacifiste soupçonné de collaborationnisme).
Jean Gosset a deux filles, dont l'aînée est la mère de Christophe Donner.
Dans la famille, on a toujours dit à Chrisophe qu'il ressemblait à son papy (fait de la résistance, je n'ai pu m'en empêcher). Lui, Christophe, pas le papy, pense que c'est une sorte de blague, on lui dit ça parce qu'on l'aime bien, pour lui faire plaisir en quelque sorte, jusqu'au jour où, alors qu'il vit est chez Paul et Simone Ricoeur, il voit une photo sur la cheminée, au dos de laquelle Emmanuel Mounier a écrit Jean Gosset Décembre 1944 et dessiné une petite croix noire.
C'est le choc. Il voit un jeune homme assis, entouré de sa bande d'amis, qui semble le vénérer. le personnage dégage une aura, une sorte de lumière.
«...ils sont assis en tailleur, ce sont tous visiblement des intellectuels, mon grand-père a un livre posé devant lui, d'autres ont des dossiers ouverts. Ils travaillent, ils ont cet air prétentieux des intellectuels qui prétendent travailler alors qu'ils discutent. La photo date de 1938, veille de la guerre, ils parlent peut-être de Munich. Mon gran-père est contre, mon grand-père sait.»
Et ce jeune homme, il a l'impression que c'est lui.
De là vient l'idée de ce livre. Ecrire l'histoire du grand-père.
«Ou alors, c'est «l'esprit de vengeance». Je serais venu en Sicile pour prendre connaissance de cela. Leur fameuse Vendetta, très typique, touristique. Je veux venger mon grand-père. C'est un saint, résistant, philosophe, et je ne suis rien de de tout ça. Il ne me reste que le désir finalement sincère de le venger.»
Le livre est à la fois le livre et un livre sur le livre, un récit de l'écriture du livre, sur les motivations de l'écrivain, sur la défense du grand-père, dont l'histoire lui est caché par sa mère, mais révélé par sa tante (la deuxième fille)
«J'ai pensé un moment construire le livre sur mon grand-père à partir du personnage de ma tante.»
Donner nous balade ainsi pendant des pages autour de ses divagations. On trouve de tout dans ses pages.
Elles ressemblent au réfrigérateur américain XXL d'une famille nombreuse, dans lequel chaque membre a déposé les aliments dont il est friand, sans oublier ceux des chats et des chiens.
Et le visiteur de passage, curieux, explore ce temple de la junk food, et goûte, avec délectation parfois, détestation quelquefois, bonheur inoubliable, ou indifférence, des mets dont il n'est guère familier :
un tube de wasabi entamé, de la roquette fanée, du poulet froid, un pot de mayonnaise allégée Benedicta, des wings Mc Nuggets dont la date de péremption est dépassée, une boite de Whiskas verdissant, un reste de paella Garbit dans une assiette sale, un morceau de Roquefort caramélisé, une boite de sardines La Paimpolaise ouverte et dégoulinante, un stick entalmé de Pal Pedigree goût poisson, des yaourts Panier de Yoplait à l'ananas, du fromage blanc Rians Frais à zero %, une tranche de pâté de tête, un camembert le Rustique platreux, des bananes plus que mûres,...j'arrête le déballage.

Je vous laisse découvrir :

«Ma grand-mère Quiniou perd la mémoire.(...)mais je suis là, à Palerme, je suis venu écrire le livre sur mon grand-père Gosset qui est mort à Neueungamme en 1944, je suis prêt à épuiser ce qui me reste de mémoire, et devenir le génie écervelé de l'écriture immédiate.»

«Le garçon de la famille doit avoir seize ans. Il sera amoureux de moi dans quatre ou cinq jours.Ils sont tous gentils.»

«Il est amoureux de son grand-père», c'est la première phrase de mon livre, maman.

«...comme l'autre jour où j'en avais plein le cul de cette histoire avec Guibert. J'étais devenu jaloux de Guibert. A cause de la fatigue du montage de ce film et du harcèlement de cette journaliste, j'avais laissé la jalousie s'insinuer en moi, faire son poison, sa distillation amère. J'ai crié : Ne me parle plus de Guibert.»

«Très belles choses de Robert Antelme à propos des chrétiens dans les camps. Mais il veut nous faire passer ces chrétiens pour des niais, un peu, il fait ça, parce que s'il ne fait pas ça toute sa certitude laïque est mise en porte à faux. Il a une vision très juste des chrétiens, mais il les voit de l'extérieur, il n'ose pas se fondre dans l'existence de Dieu, comme dans ce bain chaud qui serait...quoi ? Trop facile pour les Boches d'avoir à martyriser des êtres bons et dociles...»

«J'ai laissé les miroirs ouverts pour écrire, aujourd'hui. Je me vois, pas rasé, écervelé, et je me supporte, je m'habitue, je m'admire par instants, je trouve des angles insupportables, des profils, des biais qui détournent l'angoisse de passer de l'autre côté du miroir et d'atteindre l'intérieur de mon reflet afin d'alimenter le diable en fourrage.»

«Au sixième étage, officiait une jeune fille française, de Nîmes ou d'Alès, m'a-t-il semblé. Elle avait quelque chose de dégingandé et mou en même temps, séduisant, excitant, qui m'a fait penser, en plus de l'accent, à un garçon avec qui j'ai couché un jour dans cette région de France, un garçon dont le charme s'est aussitôt évanoui quand j'ai découvert sa bite énorme, disproportionnée, et surtout la façon tellement anxieuse dont il s'en servait.»

«Je pourrai commencer mon livre par : «Les camps de la mort n'existent plus.»

«Le corps de mon grand-père dans ce camp de concentration. Son sexe. Sa sexualité. Et ma visite chez Guibert. Ma vision de lui, de profil, tentant de faire le café, cette maigreur de «bébé-Auschwitz», sa tête énorme, puis ma grand-mère, un jour dans le parc de Sceaux...»

«C'est à ce moment-là que j'ai décidé que le livre serait ça, le Journal et rien d'autre.»

«Ma mère n'a qu'à écrire son livre à elle...(...)J'ai voulu à un autre moment construire ce livre autour d'elle, et de son désir de me voir écrire ce livre sur son père.»

«Je pète au nez du mérite agricole, le seul mérite que je me reconnais c'est d'être venu en Sicile d'avoir décidé ce voyage et de me retrouver finalement dans cette maison qui pourrait être n'importe où ailleurs...»

«Ce matin, j'ai été réveillé à quatre heures par une envie d'écrire, par cette écriture qui me trottait dans la tête, mais je ne me suis pas levé, j'ai laissé l'écriture tourner en rond dans ma tête, les phrases labourer l'intérieur de mes boyaux, ce phénomène que j'appelle excitation et qui est une sorte de circulation bilieuse à l'intérieur de mon ventre.»

« Les maçons ont dû travailler toute la journée car lorsque je suis rentré, les deux petits murs de la terrasse étaient finis.»

«J'ai acheté du papier, une tonne de papier. La peur de manquer. Je bois de la camomille comme le général de Gaule.»

«Il est profondément cruel et injuste de faire le parallèle entre mon grand-père qui crève à Neueungamme et celui qui torgnole les enfants dans sa classe de Chevilly-la-rue.»

«Cet orgueil de vouloir tout dire. Cette vérité. parce que le problème c'est ça : je ne peux pas dire la vérité sans que cette vérité déborde.»

«Ainsi ce jour-là (...) au moment où j'étais (...) au plus près de la vérité de mon grand-père, de la sainteté, ou alors au plus près de la souillure, avec ce garçon dans cette boite, à Gand, ou alors dans cette voiture lancée à cent quatre-vingts à l'heure (...) c'est à dire au plus près de la mort, moi aussi (...)»

Il faut bien attendre une centaine de pages avant de rentrer dans le vif du sujet, le grand-père Jean Gosset. Donner objecte à ce minable argument de lecteur impatient, prognathe et sous-développé, « (...) je suis le petit-fils de Jean Gosset.»

Une question me vient après avoir fini ce roman (?) qui me laisse le même sentiment qu'il y a vingt ans : est-ce que toutes les morts se valent :
Celle du grand-père à Neuengamme, celle du fils de Paul Ricoeur qui se suicide, celle de Guibert fauché par le Sida, celle que Donner s'imagine sur un bolide dérapant et se fichant dans un platane centenaire, celle du platane décapitée par la stupidité d'un conducteur ivre... je répondrai plutôt non.

Livre à lire pour les curieux disposant de temps libre.

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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Voici un des livres qui m'a sauvé la vie. Nous avons tous des livres qui nous bouleversent au point de nous sortir de cette lisière glaciale qui longe la mort. Et bien, L'esprit de vengeance fut pour moi l'un de ces chef d'oeuvre.
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J'ai déjà lu et apprécié d'autres romans de Christophe Donner, mais celui-ci m'a moins plu. le récit est confus, part dans tous les sens, même s'il reste agréable à lire.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
« Il y a une voix intérieure qui me dit : Arrête, pourquoi raconter ça maintenant, pourquoi faire mal aux autres en racontant ça. Et je me rappelle ces minutes presque sacrées que j'ai passées avec Hervé Guibert et mon petit magnétophone pour enregistrer sa voix, il disait qu'il avait essayé d'écrire un livre contre ses amis, ses plus proches amis, un livre non seulement méchant mais qu'il qualifiait lui-même de terriblement cruel, alors qu'il était au fond du trou, qu'il glissait chaque jour vers un abîme de mort, ses chers amis l'horripilaient au plus haut point, il ne les supportait plus et il voulait écrire contre eux des méchancetés afin peut-être de tuer cet horripilement insupportable. Il a écrit ce texte mais il l'a laissé tombé, il l'a condamné, comme il disait. Néanmoins, quelque part, sur son bureau, le texte était là, je pouvais peut-être le voir au milieu de l'amoncellement des feuilles, et moi, en écrivant ce livre, ce texte, je suis devant le piège vertigineux, j'ai peur, je suis fatigué, mais j'ai aperçu la vie de l'autre côté de ce piège mortel, alors que je vais quand même me jeter, et je ferai la démonstration de ce qui me différencie d'Hervé Guibert, cet homme dont l'écriture m'a toujours ensorcelé, non seulement parce que je la considère comme l'une des plus belles qui soient, avec peut-être, pourquoi pas, ce pressentiment qu'elle ressemblerait un jour si étonnamment à une écriture de déporté, de héros, de saint, mais ensorcelante aussi parce qu'elle était écrite par un homme de mon âge qui, par certains traits (mais surtout par certains silences ou regards), me ressemblait.» Ce que je criais à l'examen de passage de la villa Médicis : « La fiction ! je veux faire une fiction ! » C'était ça, une volonté farouche de me différencier d'Hervé Guibert et de son Journal qui ridiculisait systématiquement toutes les fictions que Guibert lui-même avait pu entreprendre. Je voulais désigner le Journal comme l'incarnation de la mort, et m'ériger moi en être de vie, celui qui croit à la vie, au sens de la vie que la fiction est censée apporter, même si je savais que c'était une illusion, je disais : « Une illusion nécessaire à la vie, messieurs ! » Mais cette fable, ce cri poussé, aussitôt poussé, s'est éteint de lui-même. Il n'y avait pas, il n'y a jamais eu la vie d'un côté et la mort de l'autre, il y a deux écrivains en vie qui écrivent. Effrayé par notre ressemblance, j'ai voulu établir le code de nos différences : lui avec sa morbidité, son penchant pour le suicide, son corps sans cesse harcelé par la maladie, et moi avec mon ricanement de joie, ma bonne santé insolente. Aujourd'hui ces pseudos-différences tombent en poussière. Je ne suis pas plus « la vie » que Guibert est « la mort », et si malgré tout Hervé Guibert venait à mourir avant moi, j'affirme qu'aussitôt se mettrait en branle l'inaltérable machine de l'esprit de vengeance. Il est bon de se dire que personne ne se soucie de moi, ni Guibert, ni personne, et de rester petit, pas né, toujours dans l'imminence d'apparaître. Mais il arrive un moment où ça ne tient plus. Il arrive un moment où la putain, même de luxe, doit annoncer son prix, et affirmer, face à la concurrence, sa « différence », dire qu'à la différence d'Hervé Guibert, ces gens, ces personnes avec lesquelles j'écris, comme je dirais « avec lesquelles je cuisine », ces amis, chers amis, à la différence de Guibert, ils ne m'horripilent pas, c'est même plutôt l'inverse, je les aime comme on dit, j'ai peur de leur faire mal, et tout ce que je m'apprête maintenant à écrire est agité par cette peur, ce respect maladif. Voilà la différence, regardez-là bien avant qu'elle tombe à son tour en poussière, parce que ma peur de faire mal et son envie sadique, c'est pareil, c'est l'une et l'autre face du même commerce : l'écriture du vrai. »
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DIMANCHE 17 MARS 1991, PALERME.

Ma grand-mère Quiniou perd la mémoire. A cinq minutes près elle ne sait plus ce qu'elle fait, où elle a mis ses clefs, le numéro de rue où elle habite. Elle ne sait plus comment ça va. Je l'appelle au téléphone, je lui demande : "comment ça va ? " et je la sens à l'autre bout du fil, égarée, épouvantée, elle ne sait plus comment ça va, elle n'arrive pas à s'en souvenir, et je l'entends appeler mon grand-père dans le couloir : "Jean ! Comment ça va ?"
C'est la mémoire immédiate, dit mon père, comme si c'était moins grave que la mémoire tout court. Comme si ça pouvait nous rassurer. Mais moi ça ne me rassure pas, je sais que c'est grave, horriblement grave. A cause de cette mémoire défaillante, la vie de ma grand-mère n'est plus qu'une succession de catastrophes quotidiennes, petites, drolatiques, et j'observe ça avec d'autant plus d'intérêt, et d'amusement, que je suis moi-même dans une mesure moindre, affecté du même mal.
Plus la chose dont il faut se souvenir est proche d'elle, plus elle devient difficile à mémoriser. Mon maître disait : " Tous tes défauts sont des armes, sers-t-en." Le passé se dérobe, l'écriture est propulsée dans le présent à cause de cette fuite des neurones, orthographe aussi s'en ressent, mais je suis là, à Palerme, je suis venu écrire le livre sur mon grand-père Gosset qui est mort à Neuengamme en 1944, je suis prêt à épuiser ce qui me reste de mémoire, de devenir le génie décervelé de l'écriture immédiate.
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Videos de Christophe Donner (18) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Christophe Donner
Christophe Donner vous présente son ouvrage "La France goy" aux éditions Grasset. Rentrée littéraire automne 2021.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2549013/christophe-donner-la-france-goy
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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