Il choisit la photo d'un homme dans un train et me fournit des explications tout à fait bouleversantes : " Un train, ça représente la vitesse dont on n'est pas maître, commença-t-il par me dire, et puis, un train, ça entre dans les tunnels..."- je le sentais très ému,je voulais voir jusqu'où il serait capable de s'analyser -"...Tu comprends, un train, c'est comme un cercueil roulant,moi,quand j'étais petit, j'avais très très peur, je ne pouvais pas crier, j'étais paralysé, je ne pouvais que regarder fixement la peur qui me submergeait,la peur me recouvrait complètement, comme une couverture,comme un fantôme." Il se tut, aucun de nous deux ne pouvait ajouter un mot, et c'est lui qui reprit la parole, tout bas, dans un murmure, il ajouta : " Tu sais, le train, c'est moi, il me fait tellement peur parce qu'il est comme moi le train,il peut dérailler, sortir de ses rails, s'enfuir, comme moi !" Tant de profondeur me laissait muette d'admiration, d'émotion aussi.
Dés lors, Bastien comprend qu'on peut être quelqu'un pour ceux qu'on aime sans devenir forcément un surhomme, tout simplement en étant soi-même, que les parents aussi, bien qu'en charge de leurs enfants, n'ont jamais que quelques années de plus qu'eux, et ces années vécues en avance ne leur ont pas forcément donné les clés, le fil conducteur, pour faire ce qu'il aurait fallu faire, pour être ce qu'il aurait fallu être, que le passe-partout de la vie se nomme indulgence.
La réussite, l'échec, cela ne veut rien dire, parents, cela n'a aucun sens ! Tout est toujours chemin, tout est toujours opportunité. Oh ! bien sûr, pas celle que vous escomptiez, pas celle que vous auriez tant aimé voir se réaliser, mais à celui qui sait entrevoir, deviner, tout est toujours sentier, tout est toujours ouverture, misère transfigurée en cette authentique fierté de ne devoir qu'à soi seul ce qu'on est devenu.
Ce sont toutes ces bizarreries, toutes ces étrangetés, toutes ces incohérences sur lesquelles on aimerait bien fermer les yeux, ce sont tous ces petits riens que l'on essaye d'ignorer et qui, au fond de nous-mêmes, n'ont de cesse de nous inquiéter jusqu'à l'angoisse,qu'il va bien falloir prendre en compte pour de bon. Alors tout haut devant nos proches, comme pour nous protéger, nous nous disons volontiers : " Cela lui passera ! ce n'est sans doute rien !"Mais lorsque nous nous retrouvons face à nous-mêmes, face à notre conscience de parents, nous savons bien que ce petit quelque chose nous domine, nous envahit, nous ronge.