Un ouvrage clair sans jargon inutile
Comme l'indique le titre, cet ouvrage traite uniquement des abus sexuels commis sur des garçons (enfants ou ados), ce qui est déjà assez rare en soi pour être applaudi. L'auteur nous propose ici une alternance de témoignages et d'analyses bien construites, faciles d'accès pour tout adulte sans formation en psycho... L'accent est mis sur les cas d'inceste (environ 80% des abus !) mais Michel Dorais ne délaisse pas pour autant les molestations imposées par des personnes étrangères à la famille.
J'ai particulièrement apprécié l'effet déculpabilisant de ce texte. Sans condescendance ni misérabilisme, il tord le cou à certains lieux communs qui tendent habituellement à enfermer la victime dans le mutisme ; ainsi, on peut lire noir sur blanc que toute victime ne devient pas nécessairement un agresseur à son tour, que l'abus ne définit pas l'orientation sexuelle du futur adulte, etc. L'auteur fait bien aussi le distingo entre les différentes motivations des agresseurs, entre leur orientation sexuelle habituelle et le fait qu'ils s'attaquent ici à des garçons, etc.
Le livre propose entre autres choses, à partir des 30 cas réels étudiés, une analyse des méthodes généralement développées par les victimes pour continuer à vivre malgré le traumatisme : cela permet de mieux comprendre l'intérêt et le fonctionnement de ces stratégies d'adaptation, mais aussi leurs limites, leurs "effets secondaires".
Enfin - et je sais que certains auront du mal à entendre cet argument - je félicite l'auteur qui ne se montre jamais vindicatif ; sans excuser les agresseurs ni amoindrir la gravité de ce qu'ils ont fait, il leur laisse, à travers la réflexion qu'il propose, une possibilité de mieux comprendre les conséquences terribles des actes qu'ils ont commis (ou qu'ils craignent de commettre un jour). Peu d'agresseurs liront ce livre, sans doute, mais si un psy le leur conseille et que cela peut les aider à ne pas récidiver, ou à tenter d'accompagner la "guérison" de leurs victimes (ne serait-ce qu'en reconnaissant leur faute, sa gravité, au lieu de nier les faits comme c'est trop souvent le cas), alors "Ça arrive aussi aux garçons" aura été d'utilité publique.
Cet ouvrage ne répondra pas à toutes nos questions, ne nous donnera pas de solution magique pour atteindre la sacro-sainte "résilience", mais il aide à y voir plus clair.
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Le garçon dont on a abusé se retrouvé porteur d’une blessure psychique, symbolique et identitaire qui non seulement ne cicatrise pas aisément, mais s’aggrave souvent au fil du temps. Plus cette blessure est niée, cachée ou négligée, plus elle rappellera sa présence à travers divers symptômes physiques, psychologiques ou relationnels. Comme le disait un répondant, « c’est comme une bombe à retardement installée en toi », une arme invisible dont personne ne connaît le mécanisme suffisamment pour pouvoir l’arrêter. (p. 132)
L’abus sexuel entraîne souvent une confusion, sinon une dissonance cognitive chez le garçon […]. Il y a confusion cognitive quand le garçon ne sait plus que penser et comment interpréter ce qui lui arrive. Il y a dissonance cognitive quand survient une discordance ou une rupture dans des informations contraires. Dans un cas comme dans l’autre, le processus de construction de la réalité est brouillé. L’individu éprouve alors des émotions disparates ou paradoxales. (p. 133)
Je n’ai plus de famille, personne sur qui compter. Quand je vais crever, ça ne fera de différence pour personne. Mais tu peux dire au monde que j’aurais aimé ça, moi aussi, avoir une vraie famille, être aimé pour de vrai, être gâté et pas juste pour mon cul. Eric.
Michel Dorais, sociologue, 19 septembre 2003