Je dis, maintenant, que cette nuit-là, je commençai d'aimer Thomas, parce qu'il faut bien dater les événements pour s'y retrouver. Si j'avais pu prévoir qu'il me serait nécessaire de raconter toute cette histoire, j'aurais noté mes sentiments au jour le jour. Mais on ne peut pas faire deux choses à la fois: être heureux et le constater. Le bonheur, d'autre part, est toujours, d'un côté, à fonds perdus. On ne sait jamais très bien où il commence si on sait où il finit.
"J'aimais Thomas, c'était vrai mais celà n'avait presque aucun rapport avec mon détachement de Marc. C'était une coïncidence tout au plus. Il y avait sûrement longtemps que je n'aimais plus Marc et c'est grâce à Thomas que j'en avais pris conscience. Les vagues ne naissent pas au moment où elles déferlent sur la plage. Elles roulent longtemps à travers la mer avant de se casser sur un repli de sable."
Il me semblait que je n'avais fait que celà depuis que j'étais au monde: attendre Thomas. Que je n'avais été qu'une porte ouvert pour quelque chose, quelqu'un qui devait venir depuis toujours et ne viendrait, maintenant, que dans dix jours, neuf, huit, et n'en finissait plus. Je n'avais pas vécu, j'avais usé le temps par toutes sortes de simulacres. [...] J'avais fait semblant d'aimer des gens, d'en haïr d'autres, mais du bout du coeur, sans y penser vraiment, en attendant Thomas. J'avais piétiné de mensonge en mensonge, durant vingt-cinq ans, en long, en large. Ce n'était pas une vie, mais une salle des pas perdus.
Tu as tout pour être heureuse...ta gueule, maman! Tu as fait tout ce que tu as voulu... Oui, maman. Est-ce que tu peux me dire... Non, maman, je ne peux pas te dire... Tu as raison, j'ai fait tout ce que j'ai voulu.