« À mes collègues, à nos patients et leur famille. C’est écrit parce que c’est notre histoire mêlée. C’est le récit de vies difficiles, méconnues, à la marge. Pour affirmer que vous existez. Que nous existons ensemble. Garder le silence était impossible. Vous dire ce livre aussi. » Ces quelques lignes sont la postface et quand on les lit, après avoir terminé ce livre, ces mots de Mary Dorsan prennent tout leur sens.
La narratrice est infirmière psychiatrique dans un appartement thérapeutique en banlieue parisienne qui accueille des adolescents. Certains y restent jour et nuit, d’autres n’y viennent que quelques jours par semaine ou moins. Une étape qui peut durer de plusieurs semaines à plusieurs années. Ils souffrent de troubles psychiatriques de problèmes familiaux, comportementaux et de l’attachement. A la marge de la société, de l’école, cet appartement thérapeutique est leur point d’ancrage avec une équipe médicale pour les aider, les écouter. L’équipe médicale doit gérer l’imprévisible, la violence physique et/ou verbale qui couve et qui peut éclater à tout moment. Les écouter, essayer de les faire parler et de dire ce qu’ils ressentent mais aussi les faire respecter les règles, les réconforter si nécessaire ou interdire, leur proposer des activités intérieures et extérieures (sorties au musée, à la mer), repérer les signes d’une crise qui va se produire et savoir y mettre fin.
Et nous lecteurs, on se retrouve immergés pendant une année comme dans un huis clos avec ces adolescents : Thierry, Jean-Marc, Roberto, Pablo, Hisham, Romuald et Aurélie. On découvre une violence inattendue ( comme Thierry qui tous les jours étale ses selles dans sa chambre, dans les sanitaires), des adolescents qui souffrent d’être rejetés par leur parents mais aussi des moments de calme. Mais rien n’est figé, une journée sans problème peut tourner en une soirée catastrophique. Et dans ce livre, Mary Dorsan ne s’intéresse pas qu’aux patients, elle inclue l’équipe médicale car « on ne peut pas parler de des patients sans parler des soignants». Des doutes, du ras-le-bol, de la peur, des liens (tendus par moments) entre collègues ou ce qui les lie mais aussi des sourires, une coordination obligatoire entre eux, l’appréhension pour certains de reprendre le travail après des vacances et comment la violence les affecte. «J’écris pour une publication. Pour des lecteurs inconnus qui voudront bien se sentir touchés pour que quelque chose change. En eux. Dans leur regard. Leur cœur. La société.»
Mary Dorsan est un pseudonyme, la narratrice est l’auteure et donc infirmière psychiatrique. Elle réussit avec sobriété à nous décrire la complexité de son travail. Un premier livre puissant qui bouscule également, servi par une écriture qui touche au plus près des relations, d’une situation, des ressentis.
Commenter  J’apprécie         91
A la base, c'était une bonne idée. J'étais super intéressée de découvrir la vie des ces jeunes placés en appartement thérapeutique, de comprendre un peu mieux leurs problèmes et le quotidien des soignants qui s'en occupent. Mais - un gros mais hélas ! - le livre est beaucoup trop long !! Plus de 700 pages d'anecdotes, au bout d'un moment ça devient indigeste... J'ai alors fait ce que je déteste faire, j'ai abandonné le livre avant la fin...
Commenter  J’apprécie         40
Livre bouleversant sur le quotidien d'une infirmière dans le milieu psychiatrique, en charge d'adolescents. Sous forme d'un journal de bord, elle explique comment elle fait face à sa propre souffrance, à celle de ses collègues et des malades. C'est un défi permanent : pourra-t-elle tenir le coup ? Elle le doit pour être efficace dans son travail et pour se prouver qu'elle peut aller beaucoup plus loin que son propre malaise. C'est un livre hommage pour toutes celles et tout ceux qui travaillent dans le dur milieu de la psychiatrie ou dans le milieu médical. Chapeau à ces infirmières qui se dévouent corps et âme pour des gens qui sont souvent à peine reconnaissants.
Commenter  J’apprécie         20
p.321 « Bon, j’écris ce qui se passe dans mon service. Je travaille dans un appartement thérapeutique, rattaché à un hôpital psychiatrique. On accueille des adolescents. Très malades, souvent, dont personne ne veut. Qui en plus de leurs troubles psychiatriques, ont des troubles de l’attachement, des pathologies du lien. Alors ça remue ! Ça remue les soignants.
J’écris les souffrances de ces jeunes. La difficulté de les soigner, de les accompagner ou tout simplement de rester là, avec eux. Je tente d’écrire la complexité des relations avec eux et la complexité des effets sur les soignants et les relations des soignants entre eux. Je veux raconter ce que c’est, ce travail, leur vie. Je veux… Dire. Décrire. Montrer. Tout. Le bon et le mauvais. Je voudrais que l’on pense davantage à eux. Ces adolescents sont invisibles ou méconnus dans notre société. Ou incompris. Terriblement vulnérables, fragiles, si près de l’exclusion totale, ils sont à la marge. À la marge de notre pensée, de nos yeux. Au cœur de mon cœur. »
p.262 "Hier il nous montre qu'il ne sait rien d'eux, qu'en fait il ne s'intéresse pas à eux, à leur vie, à leurs souffrances. Et ça se voit ! Il le montre ! Et en plus il leur fait du mal ! Son ignorance ou son indifférence de leur histoire deviennent presque de la cruauté : il les a énervés hier soir, il les a agités. Les jeunes se sont couchés très tard, il a fallu les apaiser avant qu'ils puissent aller se coucher et trouver le sommeil !"
p.337 et 338 "Les conseils bien avisés, incessants, provoquent des démangeaisons à la patience et à la tolérance de Caroline. Elle supportera la violence des patients, les insuffisances des parents, mais les bons conseils d'une collègue ? Elle voudrait les étriper, les lyncher, les guillotiner, leur tordre le cou, les noyer dans l'océan, les empoisonner avec de la mort-aux-rats, les atomiser au lance-roquettes, les pulvériser au lance-flammes. Quelles autres méthodes pourrait-elle employer pour annihiler les bons conseils ? Elle cherche. Elle est à court d'imagination : les bons conseils ont trépassé huit fois, cela suffira.
Elle se rend à l'évidence : son esprit recèle la même violence que les coups de poing et les coups de pied de ses patients !"
p.447 "Soulager l'équipe en passant une heure avec Karim dans l'atelier où il touche à tout sans jamais s'arrêter de parler. Lui dire non pendant une heure. Lui demander s'il aime s'entendre dire non. Lui demander s'il ne peut pas parler silencieusement dans sa tête. L'entendre répondre : "Si je me tais, je m'angoisse et je pleure." Se trouver surprise, choquée, peinée, attristée. Par l'étendue de sa peur, sa nécessité de parler sans fin pour ne pas craindre l'apparition de l'angoisse, la menace, la disparition de soi."
p.184 " Je ne me plains pas, j'ai eu l'augmentation de salaire que je voulais, j'avais la trouille mais j'ai bien négocié mon salaire, je ne regrette pas... Certains se plaignent, mais ils ne font pas le plus petit plus pour avoir ce qu'ils veulent... On ne peut pas avoir quelque chose pour rien. Si tu n'es pas content, tu changes de boîte..."
Mary Dorsan Méthode éditions P.O l': où Mary Dorsan tente de dire de quoi et comment est composé son livre "Méthode", et où il est question notamment d'une ergothérapeute et de la souffrance au travail, de la différence ou de la confusion entre narrateur, un personnage de roman et un auteur, d'un permanence syndicale et d'une manifestation du premier mai, de Méthode Sindayigaya et de Georges Perec, du furur et du conditionnel, de souffrance au travail et d'hôpital, à l'occasion de la parution de"Méthode" aux éditions P.O.L à Paris le 29 avril 2021.
"Méthode est un homme humilié. Ce récit est sa revanche.
Mais il ignore tout de mon travail.
Il ne me reste que l'écriture. Comment supporter autrement
la grande douleur et la solitude de tant d'hommes
et de femmes ?"
+ Lire la suite