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EAN : 9782923829142
90 pages
Tanka (22/03/2014)
4/5   1 notes
Résumé :
recueil bilingue français anglais de poésie brève, de forme tanka, dont l'auteur est Jean Dorval, poète québécois
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Par Danièle Duteil, pour la Revue Gong :

La poésie japonaise – particulièrement le haïku et le tanka – invite à ouvrir sa
conscience au monde, dans sa totalité, sans hiérarchisation, car la création ne comporte pas de hiérarchie.
Si le haïku a coutume d'accorder à l'auteur une place d'observateur plutôt neutre, le tanka l'implique davantage, laissant résonner plus souvent la voix du « je » qui ressent et livre ses émotions. le rôle de la poésie, qui donne à voir et émeut, n'est-il pas précisément double ?
Dans Soleil levain, Jean Dorval utilise les deux formes d'expression poétiques, haïku et tanka, tandis que Maxianne Berger offre de l'ensemble la traduction en anglais.
Le commentaire qui suit tente d'étudier l'image du monde contemporain révélée par Soleil levain, le rapport à ce monde entretenu par l'auteur, la philosophie qui s'en dégage et, au-delà, une approche particulière de l'univers. Soleil levain se compose de six parties. L'intitulé de chacune correspond à un vers d'un des tanka qui la composent, figurant en caractères gras ci-dessous.

Le vent
autour d'une feuille
conscience

Le souffle du vent
sur le seuil de tes lèvres
voici le printemps!
être présent ouvrir l'oeil
sur la tige qui se lève

Un phénomène extérieur, le vent ici, procure d'abord une sensation, puis surgit l'émotion. Ainsi naît la conscience du monde environnant auquel il convient d'« être présent », l'oeil grand ouvert, pour observer le miracle de la vie renouvelé à chaque printemps et le partager avec les êtres chers.
Tel semble être, dès la première partie, le message délivré. En même temps, la polysémie de l'expression « ouvrir l'oeil » invite à la vigilance. En effet, un bien n'est jamais acquis définitivement, il faut une attention de chaque instant pour le préserver, notamment des dégradations engendrées par la folie humaine :

Marée noire
baleines blanches
peur bleue

Un traîneau figé
banquises, marées, chasseurs
de l'eau qui se vend
à commencer par le Nord
le pays perd jusqu'à son nom

La beauté devient noire, le rêve se meut en cauchemar. L'homme est ainsi fait qu'il tire profit de tout, y compris du drame qui se joue. Non content d'être à l'origine de catastrophes écologiques, il va jusqu'à vendre des échantillons de la banquise.

À New York
le plus grand des sapins
coupé des siens

un peu plus d'air frais
que je reprenne mon souffle
messire frère Soleil !
la page blanche jaunit
et je mange mon pain noir

Rien ne semble pouvoir refreiner les aspirations humaines de grandeur et de
prestige. Posséder s'érige en maître mot et, pour assouvir cette soif, on n'hésite pas à mettre en oeuvre des moyens colossaux : au Rockefeller Center trône à Noël le plus haut, le plus beau des sapins trouvés dans la forêt, sacrifié pour l'occasion. Soleil artificiel, il sera transformé après les fêtes en paillis. Comment ne pas céder au vertige et à la nausée face à de tels agissements ?
Et pourtant, pour qui sait goûter les plaisirs simples, la vie partout frémit et s'active. Il suffit de tendre l'oreille pour l'entendre, d'ouvrir les yeux pour constater l'extraordinaire travail qui, de cycle en cycle, s'accomplit :

Dans le parc
craquements
mes os

Protubérances…
la pâte se renouvelle
ça boulange
en dedans tranche par tranche
l'âme pétrie de rayons

Devant les marées noires et les catastrophes, le poète certes s'afflige, mais sans
baisser les bras, sans perdre espoir. Croit-il en la transformation de l'homme ?
L'allusion au verre d'eau renvoie-t-elle à cette illusion d'optique qui permet
d'inverser le sens d'une flèche en utilisant un verre d'eau, grâce à la réfraction ?
Ainsi, se mobiliser, être attentif, veiller, éprouver à l'égard de l'ensemble de la
création un véritable sentiment d'amour et porter sur elle un regard différent
contribueraient à amorcer un changement.

La faim dans le coeur
joindre les artères
popote mobile
tout le sens du verre d'eau
refait route dans ma vie

Clair de lune
amoureux à la fenêtre
deux cierges allumés

Il ne suffit pas d'effleurer le monde du regard pour le saisir. Parfois, le recul aide aussi à capter l'essence des choses, à envisager ce qui n'est pas visible à première vue, tout objet possédant un endroit et un envers.

Vus de la montagne
dans mes petits souliers
lacets de rues

Livre bien ouvert
tant de secrets tant de rides
face cachée de la lune
noterai-je demain
la forme de ton regard ?

La vision poétique du monde développée par Jean Dorval et ce désir de modifier le cours de la destinée de la planète par l'engagement rappellent la pensée surréaliste. Il en est de même pour l'écriture poétique qui, en maintes occasions apparaît automatique. À d'autres moments, dans sa manière très imagée d'envisager sa propre création, il
flirte avec le cubisme :

Tous ces blogs Lego…
je façonne
d'autres grains de sel
morceau par morceau, la vie
j'y travaille

On ne manquera pas de relever, dans Soleil levain, une large place accordée au mysticisme. Est-ce une manière d'échapper aux dures réalités présentes ?
Le personnage principal du recueil de Jean Dorval, qui pourtant s'exprime souvent à
la première personne, n'est pas l'auteur lui-même mais le Soleil. Soleil levain,
annonce d'ailleurs le titre. Expression très intéressante qui surprend, rapprochant deux substantifs éloignés, l'un relié au cosmos, l'autre à la terre. Ce raccourci extrême introduit une remarquable métaphore. le soleil participe à la montée de la sève, le levain fait lever la pâte. Ils sont tout autant indispensables. Mais le levain est une substance vivante à entretenir avec grand soin afin de la conserver. La création, dont le soleil au pouvoir éclairant est l'expression suprême, est un peu semblable : malmenée, elle court à sa perte, aimée et respectée, elle continuera de rayonner. Jean Dorval cite Dieu, mentionne le Saint-Sacrement, parle de l'huile sainte, de cierges et, à plusieurs reprises, directement ou indirectement, évoque Saint-François d'Assise, interpellant « messire frère Soleil » (« expression tirée du Cantique des Créatures de Saint-François » : NDA), qualifiant la jonquille « d'âme soeur », exprimant lui aussi sa proximité avec « les créatures » :

Je veux bien oser
parler comme les oiseaux
jusqu'à perdre mes plumes
je voudrais aussi me taire
St-François en est le maître

Le registre lexical tourne abondamment autour de la lumière : outre le soleil,
apparaissent des termes tels que l'oeil, le regard, les diamants, l'étoile, le feu, la lune, la clarté, la transparence, le clair de lune, les cierges, l'arc-en-ciel, la bulle de savon.
On trouve, comme dans la littérature du XIXe siècle, dans La fin de Satan de Victor Hugo par exemple, une constante opposition entre l'ombre et la lumière, l'obscurité et la clarté, le blanc et le noir. Elle renvoie à la lutte entre le bien et le mal.
La lumière, synonyme de révélation, comporte évidemment une dimension mystique. le Cantique des Créatures, déjà cité précédemment, est très présent d'un bout à l'autre de Soleil levain. Non seulement le créateur et ses créations, particulièrement le soleil et la lune y sont glorifiés, mais encore les éléments : le feu, largement mis en évidence à travers la figure du soleil, de la lune ou de la lumière issue de différentes sources ; l'air, souffle de vie, circule dans tout le recueil, sous forme de vent, oiseau, feuillage, odeur, respiration, oxygène, girouette, espace, fumée, libellule, papillon, atomes, sillage, éventail, cerf-volant, bulle ; le registre lexical de l'eau est omniprésent : iceberg, iglou, banquise, neige, océans, marées, baleine, rorqual, pingouins, phoque, grenouille, Sirène, sources, nuages, pluie, pleurs, verre d'eau,
soif ; la terre enfin est représentée aussi bien par l'homme, la ville, la maison, le chat, l'arbre, l'usine, les poubelles, les factures, le sac à dos, le pain, le blé, le râteau, la pelle…
Comme dans le Cantique des Créatures, Jean Dorval chante la vie et l'amour qui la sous-tend : le soleil est principe de vie, le levain qui ensemence la pâte la symbolise également ; il est encore question de spermatozoïdes, d'enfant porté sur les épaules… et toutes les créatures mentionnées, les oiseaux particulièrement, traits d'union entre le divin et l'humain, en sont autant d'illustrations.
Soleil levain présente certes un monde en péril, dont l'équilibre et la beauté sont compromis du fait de l'inconséquence des hommes. Mais pour autant, la vision n'apparaît pas vraiment noire : il reste l'espoir d'un changement, d'une prise de conscience. Si chaque être humain veut bien ouvrir les yeux, il réalisera l'urgence d'agir. Jean Dorval entrevoit dans la spiritualité un moyen d'accéder à une meilleure compréhension de l'univers.


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