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Critique de PhilippeCastellain


On connaît la formule : « Dostoïevski voulait représenter un être parfaitement bon. Par dérision, il en fit un idiot. » Est-ce vraiment par dérision ? Et qu'entendait-il par ce mot « idiot » ? le prince Mychkine est un être simple, qui ne comprend rien aux conventions sociales ; il ne comprend que les êtres humains et ce qui est bien. Et c'est pour cela que Dostoïevski lui décerne ce titre amer.

A bien des égards il me rappelle Saint François d'Assise, le Povorello, parlant aux oiseaux et citant devant le pape la sagesse des alouettes. Son amitié avec Rogojine ne rappelle-t-elle pas le loup de Gubbio apprivoisé par la simple douceur ?

Mais il n'y aura pas de miracle. La bonté du prince restera impuissante ; son sacrifice ne suffira pas à racheter Nastassia Philipovna. Rendu à la sauvagerie, Rogojine la tuera. Et Aglaé, la seule qui était en mesure de comprendre vraiment le prince, ne deviendra pas Sainte Claire d'Assise mais préférera ruiner consciemment sa propre vie. La figure christique du prince n'est pas aux prises avec un monde mauvais, mais en proie à l'autodestruction. C'est un monde qui refuse d'être sauvé. Un monde qui refuse la venue du Christ, et veut mourir avec son péché originel.

Grâce à la critique d'Yves, j'ai appris que Dostoïevski s'inspira du tableau de Holbein du Christ mort. Peint d'après le cadavre d'un juif retrouvé noyé, il rompait radicalement avec toutes les traditions et le style de l'époque. Ce n'était pas le fils de Dieu dans sa gloire qui était peint, mais un simple cadavre. « Un tel tableau peut faire perdre la foi », déclara-t-il en le découvrant.

On explique généralement cette phrase par la découverte brutale de l'athéisme et du néant – ou de leur peur – qui s'expriment avec une incroyable force sur ces planches de tilleul. Il n'y a pas de Dieu, pas de sauveur, pas de salut, pas d'amour, pas de pardon. Rien. Mais il me semble qu'un tel esprit, ayant fréquenté les révolutionnaires et les bagnards, avait déjà dû être confronté à ces questions.

Contrairement à la plupart des représentations, le corps est seul. Il n'y a ni ange ni disciple. Tous se sont détourné de lui, l'ont abandonné. Et si le monde refuse d'être sauvé ? Alors le sacrifice du Christ est inutile...

Kurozawa en tira un film en noir et blanc de deux heures et demie qui compte parmi les monuments du cinéma, et parmi mes films préférés. Pour plus de cohérence avec le livre, il le plaça dans l'Hokaido, l'île du nord du Japon, au climat froid. C'est une oeuvre monumentale et magnifique, peut-être le summum de l'art de Kurozawa. Et, mais c'est une impression très personnelle, il m'a toujours semblé que s'y exprimait un terrible et violent rejet de la société japonaise traditionnelle...
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