Citations sur La Femme d'un autre et le Mari sous le lit (27)
D’habitude, Ivan Andreievitch avait grand plaisir à ronfler une heure ou deux à l’opéra italien. Il disait même à ses amis, parfois, que c’était agréable et doux. « La prima dona miaule comme une chatte blanche sa berceuse ! » Mais, des mois avaient passé depuis la dernière saison, et maintenant hélas, Ivan Andreievitch, même chez lui, ne dormait plus la nuit.
On affirme que la musique a ceci de bon, qu’on peut mettre les impressions musicales en harmonie avec n’importe quelle sensation. Un homme joyeux percevra de la joie dans les sons, un homme triste y entendra de la douleur.
La mari entra, soufflant et geignant, dit bonjour à sa femme d'une voix chantonnante et tout à fait sénile, et se laissa tomber dans un fauteuil comme s'il venait de coltiner un stère de bois. Il fut pris d'une toux sèche et prolongée. Ivan Andréiévitch, métamorphosé de tigre furibond en agneau effarouché, et pelotonné comme la souris devant le chat, osait à peine respirer de terreur, bien qu'il pût savoir de sa propre expérience que tous les maris bafoués ne mordent pas. Mais cela ne lui vint pas à l'esprit, soit faute d'imagination, soit par quelque autre inhibition. Prudemment, tout doucement, à tâtons, il commença à s'arranger sous le lit pour au moins s'y mettre plus à l'aise. Et quelle fut alors sa stupeur en palpant de la main un objet qui, à son immense surprise, bougea et le saisit à son tour par la main ! Il y avait sous le lit un autre homme...
- Vous portez vraisemblablement les stigmates de l'immoralité, jeune homme!
- Ah, vous parlez d'immoralité! Et comment savez-vous pourquoi je suis ici? Je suis ici par erreur : je me suis trompé d'étage. Et le diable sait pourquoi on m'a laissé entrer! Sans doute attendait-elle en effet quelqu'un (pas vous, bien sûr). Je me suis caché sous le lit quand j'ai entendu vos pas d'imbécile et quand j'ai vu la dame prendre peur. Par-dessus le marché il faisait noir. Mais qu'ai-je besoin de me justifier devant vous? Vous êtes, mon cher monsieur, un ridicule vieux bonhomme jaloux.
Et il semblait que la quinte qui recommençait devait avoir beaucoup plus longtemps à vivre que le petit vieillard affligé de cette toux. Le pauvre homme tentait de bredouiller quelque chose dans les moments de rémission, mais il était impossible de rien y démêler.
"Rendez-moi un service, monsieur, permettez-moi de vous demander .."
Le passant sursauta et, un peu effrayé, leva les yeux sur le monsieur en pelisse de raton qui l'abordait ainsi sans façon, à huit heures du soir, en pleine rue.
On n'ignore pas que lorsqu'un monsieur de Pétersbourg entre brusquement en conversation, en pleine rue, avec un autre monsieur parfaitement inconnu de lui, l'autre monsieur est immanquablement effrayé.
Ainsi donc, le passant sursauta et fut un peu effrayé.
"Excusez-moi d evous importuner, dit le monsieur en pelisse de raton, mais je .. Je ne sais pas, à vrai dire .. vous m'excuserez sans doute ; vous voyez, je suis dans un certain désarroi .."
- Ce n'est même pas pour moi que je le fais ; n'allez pas vous imaginer ... c'est la femme d'un autre ! Son mari est là-bas, au pont de l' Ascension ; il veut la prendre sur le fait, mais il ne se décide pas, il se refuse encore à croire, comme tous les maris .. (ici le monsieur en pelisse tenta de sourire) je suis son ami ; vous conviendrez, je suis un homme jouissant de quelque considération, il n'est pas question que je sois ce pour quoi vous me prenez.
Mais la passion est exclusive et la jalousie est la passion la plus exclusive du monde.
Avec douceur et prudence, à tâtons, il essaya de s’installer le plus commodément possible sous le lit. Et quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu’il toucha un objet qui, à sa grande surprise, s’agita et le saisit à son tour par le bras. Un autre homme était caché sous le lit !…
– Qui êtes-vous ? murmura Ivan Andreievitch.
– Vous n’allez pas vous imaginer que je vais vous rapprendre ! fit tout bas l’étrange inconnu. Couchez-vous, taisez-vous puisque vous vous êtes fichu dedans.
– Pourtant…
La terreur agit sur lui avec plus de force que la raison et Ivan Andreievitch, lui-même époux trompé ou tout au moins se considérant comme tel, ne put supporter cette rencontre avec un autre mari. Il se trouva sous le lit, ne comprenant absolument pas comment la chose s’était faite. Mais le plus étonnant est que la dame ne fit aucune opposition. Elle n’eut pas un cri en voyant ce personnage étrange, d’un certain âge, déjà, chercher refuge dans sa chambre à coucher. En fait, elle était si étonnée qu’elle n’en retrouvait plus l’usage de la parole.