Ce roman nous propose la correspondance entre les deux héros, qui s'étale sur quelques mois, du 8 avril au 30 septembre de la même année.
D'un côté, Makar Dievouchkine, un fonctionnaire d'un certain âge, qui recopie (calligraphie plutôt) des lettres officielles et vit chichement en colocation.
Il échange des lettres avec une voisine plus jeune que lui : Varvara Alexéievna, qu'il appelle Varinka. Ils sont parents éloignés et se racontent leurs misères, la vie n'étant pas tendre avec eux. Leurs appartements aussi délabrés l'un que l'autre se font face et il peut voir bouger le rideau ou regarder ses fleurs.
Varinka est nostalgique de son enfance à la campagne et ne s'habitue pas à la vie à Saint-Pétersbourg, où elle dit avoir été grugée par une cousine et vit de quelques travaux de couture.
Avec ce fonctionnaire zélé, perfectionniste qui sombre peu à peu,
Dostoïevski livre un tableau touchant de la décrépitude de cet homme qui redoute la honte de la misère, sa crainte de ne plus pouvoir payer son loyer, et d'être mis à la rue, le comble de la déchéance et en même temps qui s'accroche pour rester digne le plus longtemps possible et se rend chaque jour à son travail en dépit de sa tenue vestimentaire.
On retrouve l'amour pur selon la conception de l'auteur : amour filial, vue la différence d'âge ? platonique ? en tout cas asymétrique car Varinka profite de lui, souffle le chaud et le froid, le manipule, mais l'auteur lui laisse-t-il vraiment une place ? elle reste un être humain face au petit homme intègre, dévoué, soumis, plein de compassion, presque christique.
On voit la bienveillance de Makar qui dépense son argent, emprunte pour apporter un peu de confort à sa « petite mère », il donne alors qu'il est encore plus dans le besoin qu'elle…
Dostoïevski nous décrit dans le détail les vêtements usés aux coudes, parfois jusqu'à la trame, les chaussures en miettes, semelles béantes, un tableau sans concession de la misère mais avec une certaine dignité de l'âme, donnant de grands coups de griffes au passage à la description du fonctionnaire que fait
Gogol dans «
le manteau » : il est inconvenant de tourner ainsi en dérision un fonctionnaire… mais c'est sa façon de lui rendre hommage, en creusant davantage son héros.
Dostoïevski dénonce aussi l'importance des cancans, des moqueries, Makar est très sensible au « qu'en dira-t-on » et personne ne l'épargne. Parmi les autres pauvres gens, j'ai bien aimé Pokrovski, alcoolique qui cherche la rédemption dans ses rapports avec son fils, étudiant colocataire de Makar.
« Pokrovski était un jeune homme pauvre, extrêmement pauvre. Sa santé ne lui permettait pas de suivre régulièrement les cours, et c'est plutôt par une sorte d'habitude qu'on continuait à le qualifier d'étudiant. »
Beau roman, (le premier) écrit en 1845, l'auteur ayant à peine plus de vingt ans, nous offre un bel échange épistolaire où les deux héros retracent leur situation, leurs émotions sans tabou mais avec beaucoup de pudeur. On retrouve déjà l'auteur torturé qui nous proposera plus tard des chefs-d'oeuvre…
Je continue donc mon histoire d'amour avec l'ami Fiodor (ô Honoré, je te suis infidèle !!!) et dire qu'il m'aura fallu quarante ans pour le découvrir réellement alors que j'ai beaucoup aimé «
Crime et châtiment » à l'époque… Je crois qu'il y un moment dans notre vie où l'on est prêt à rencontrer une oeuvre, un auteur, les lectures précédentes et les évènements de nos vies ayant préparé le terrain…
Challenge XIXe siècle 2017
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