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"Pauvreté n'ôte ni l'esprit, ni l'honneur."
(proverbe russe)

Si le jeune Dostoïevski avait été fusillé en 1849 en tant que membre du cercle révolutionnaire de Petrachevski, "Les pauvres gens" et "Le Double" seraient les seuls romans qu'il nous aurait légués, et ce serait vraiment dommage. "Les pauvres gens", tout premier roman de FMD, n'est pas son meilleur, mais ce fut une belle lecture qui m'a fait comprendre certaines choses. Il n'est pas impossible que ce livre représente la pierre angulaire sur laquelle est bâtie toute la littérature moderne russe.

Jusqu'en 1846, quand "Les pauvres gens" est paru pour la première fois, les écrivains russes respectaient avec piété la tacite doctrine gogolienne d'un pauvre petit bonhomme qui galère jour après jour au bureau, pour rendre l'âme dans complet anonymat, après qu'on lui ait volé son unique manteau.
Dostoïevski change radicalement cette tendance d'un pauvre hère sans opinion, exploité même par les rats avec lesquels il partage son misérable taudis.
Il donne a Macaire Diévouchkine, son premier petit fonctionnaire, la force de réflexion. Diévouchkine est capable de s'interroger sur lui-même, de voir sa vie d'une façon réaliste, et de se rendre compte de sa propre insignifiance, à la différence de Savatkine de Gogol. Il a même des passe-temps : il aime lire et fantasmer sur les destins de ses héros de papier, si éloignés de l'ennui de son tuberculeux Piter. Dostoïevski lui donne même un vague lien familial, en la personne de sa voisine d'en-face, Varvara Dobrossiélova, avec laquelle Diévouchkine échange des lettres tout au long de ce roman épistolaire, inhabituel pour l'auteur, et très court.

Diévouchkine est le début de l'anthropogenèse d'Ivan Karamazov ou d'Ivan Shatov : sa tête est fière et courageuse, mais son corps reste encore coincé dans celui d'un insignifiant fonctionnaire de "Manteau". Sa capacité d'évaluer objectivement la vie devient évidente au moment où Varinka lui offre des livres de Pouchkine et de Gogol : Pouchkine est un admirable héros, tandis que l'histoire d'Akaki Savatkine est pour notre employé de bureau comme le regard dans un miroir - sur sa propre misère et l'impossibilité de vivre le destin d'un homme qui pourrait influencer la marche de l'Histoire. le destin de gens comme Diévouchkine est de pourrir à jamais dans un bureau poussiéreux, et prier pour le miracle d'une augmentation.

Avec le nombre grandissant de lectures de Dostoïevski, on réalise que "Les pauvres gens" ne sont vraiment que le début de quelque chose de grand. Même un petit pas vers l'idée que le monde pourrait être injuste et mal arrangé effraie encore Diévouchkine, tandis que Raskolnikov, d'une génération plus jeune, n'hésite déjà plus à aller chercher sa part de bonheur avec une hache à la main.
Mais la correspondance entre Macaire et Varvara reste l'ancre imaginaire qui les garde attachés l'un à l'autre, à leur humanité et à leur estime de soi, malgré la misère et les jacasseries de leur entourage. Une merveille !

Dostoïevski sait retenir l'attention de son lecteur, et pas seulement par la question récurrente sur la nature exacte de la relation entre Diévouchkine (nom que l'on pourrait traduire par "coureur de jupons") et la jeune Varinka qui pourrait être sa fille. C'est davantage une relation père-fille, mais ce ne serait pas Dostoïevski sans y rajouter un brin de cette ambiguïté malsaine qu'il maîtrise à la perfection.
Le livre est par certains aspects encore tributaire de Gogol, mais on y trouve déjà des motifs psychologiques et des âmes déchirées pour lesquels Dostoïevski reste tant apprécié par ses lecteurs fêlés.
Pour moi 4/5, peut-être plus après une éventuelle relecture, un jour.
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En visitant l'appartement de Dostoïevski à Saint-Pétersbourg, mon attention a été attirée par les quelques mots du guide au sujet de son premier roman publié, "Les pauvres gens". J'avais alors conçu une image très noire de ce récit, imaginant qu'à l'exemple de romans de Dickens ou de London, j'y trouverais la description de bas-fonds sordides où criminalité et prostitution côtoient la plus grande misère. Aussi, quel ne fut pas mon étonnement en découvrant un roman épistolaire certes pas très gai mais loin d'être aussi lugubre que je l'avais d'abord imaginé !

Dostoïevski a vingt-six ans lorsqu'il soumet son manuscrit. Il y décrit à travers la correspondance de Macaire Alexéïevitch Diévouchkine, vieux fonctionnaire désargenté, et Varvara Alexéïevna Dobrossiélova, jeune orpheline déshonorée, la dure existence des humbles qui, sans ressources, sont soumis aux caprices de la société : puissants, autorités, esprits mauvais, tels sont les ennemis du bonheur ou de la simple paix.

C'est un récit émouvant et très vivant, souvent poignant et qui ne se contente pas de décrire les difficiles conditions de vie du peuple mais qui déroule aussi une belle trame romanesque autour des deux épistoliers. Leurs échanges d'abord policés (ils sont vaguement parents mais surtout voisins de misère) se font de plus en plus affectueux et tendres au fil de leurs échanges et on voudrait de toutes ses forces que le destin ne leur soit pas si contraire.

Que dire de l'écriture déjà superbe ? On retrouve dans "Les pauvres gens" les thèmes qui deviendront chers à l'auteur et qu'il développera dans ses autres oeuvres : la justice et l'injustice, la vérité et le mensonge, les liens familiaux ou sociétaux, le crime et l'honnêteté, la recherche du bonheur... autant de thèmes qui feront notamment de "Crime et Châtiment" un pur chef-d'oeuvre.

Ce que Dostoïevski relate de la vie en appartement communautaire, de la débrouillardise russe et du besoin d'idéal de tout Russe, riche ou pauvre, se reflète vraiment dans le miroir de la Russie actuelle, telle que j'ai déjà pu la découvrir à plusieurs reprises. Il y a une endurance primaire et une force brute qui émanent de ce peuple et qui paradoxalement se conjuguent parfaitement avec sa soif de spiritualité et de beauté.

"Les pauvres gens" préfigure sans conteste le grand écrivain qu'a été, qu'est toujours et que restera à jamais Dostoïevski.


Challenge XIXème siècle 2018
Challenge ABC 2018 - 2019
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"Les Pauvres Gens" est le premier roman de Dostoieveski . Il fut publié en 1844 .Il s 'agit d 'un roman épistolier .Les principaux protagonistes sont :
-Le vieux fonctionnaire ,Alexeievitch Diévouchkine .
-La jeune fille , Varvara Alexeievna Dobrossiélova .Cette dernière est une parente éloignée du vieux fonctionnaire .
A la publication de ce roman , ce dernier connut un grand succès et Dostoieveski fut salué comme un grand écrivain sur les traces de son devancier ,l' illustre Nicolas Gogol . Lors de la parution du livre le critique littéraire Biélinsky le saluait ainsi :"Honneur et gloire au jeune poète dont la muse aime les locataires des mansardes et des caves ,et dit d 'eux aux habitants des palais dorés ,ceux sont aussi des hommes,ceux sont vos frères ! "
Avec ce roman ,Dostoieveski venait de s 'affirmer comme un maître ,il s 'était soudain révélé , sinon dans toute la plénitude de sa puissante personnalité ,du moins avec ce qui devait en rester toujours le trait le plus significatif : son ardente et contagieuse sympathie pour les obscurs vaincus de la vie , ceux que lui-même a appelés plus tard les "humiliés" et les "offensés". Sur ce dernier point Dostoieveski nous rappelle un autre grand romancier français qui a été toujours du côté du peuple ,il s 'agit de Victor Hugo .
Ce roman est un classique de la littérature russe du 19 e
Siècle .

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Ce roman nous propose la correspondance entre les deux héros, qui s'étale sur quelques mois, du 8 avril au 30 septembre de la même année.

D'un côté, Makar Dievouchkine, un fonctionnaire d'un certain âge, qui recopie (calligraphie plutôt) des lettres officielles et vit chichement en colocation.

Il échange des lettres avec une voisine plus jeune que lui : Varvara Alexéievna, qu'il appelle Varinka. Ils sont parents éloignés et se racontent leurs misères, la vie n'étant pas tendre avec eux. Leurs appartements aussi délabrés l'un que l'autre se font face et il peut voir bouger le rideau ou regarder ses fleurs.

Varinka est nostalgique de son enfance à la campagne et ne s'habitue pas à la vie à Saint-Pétersbourg, où elle dit avoir été grugée par une cousine et vit de quelques travaux de couture.

Avec ce fonctionnaire zélé, perfectionniste qui sombre peu à peu, Dostoïevski livre un tableau touchant de la décrépitude de cet homme qui redoute la honte de la misère, sa crainte de ne plus pouvoir payer son loyer, et d'être mis à la rue, le comble de la déchéance et en même temps qui s'accroche pour rester digne le plus longtemps possible et se rend chaque jour à son travail en dépit de sa tenue vestimentaire.

On retrouve l'amour pur selon la conception de l'auteur : amour filial, vue la différence d'âge ? platonique ? en tout cas asymétrique car Varinka profite de lui, souffle le chaud et le froid, le manipule, mais l'auteur lui laisse-t-il vraiment une place ? elle reste un être humain face au petit homme intègre, dévoué, soumis, plein de compassion, presque christique.

On voit la bienveillance de Makar qui dépense son argent, emprunte pour apporter un peu de confort à sa « petite mère », il donne alors qu'il est encore plus dans le besoin qu'elle…

Dostoïevski nous décrit dans le détail les vêtements usés aux coudes, parfois jusqu'à la trame, les chaussures en miettes, semelles béantes, un tableau sans concession de la misère mais avec une certaine dignité de l'âme, donnant de grands coups de griffes au passage à la description du fonctionnaire que fait Gogol dans « le manteau » : il est inconvenant de tourner ainsi en dérision un fonctionnaire… mais c'est sa façon de lui rendre hommage, en creusant davantage son héros.

Dostoïevski dénonce aussi l'importance des cancans, des moqueries, Makar est très sensible au « qu'en dira-t-on » et personne ne l'épargne. Parmi les autres pauvres gens, j'ai bien aimé Pokrovski, alcoolique qui cherche la rédemption dans ses rapports avec son fils, étudiant colocataire de Makar.

« Pokrovski était un jeune homme pauvre, extrêmement pauvre. Sa santé ne lui permettait pas de suivre régulièrement les cours, et c'est plutôt par une sorte d'habitude qu'on continuait à le qualifier d'étudiant. »

Beau roman, (le premier) écrit en 1845, l'auteur ayant à peine plus de vingt ans, nous offre un bel échange épistolaire où les deux héros retracent leur situation, leurs émotions sans tabou mais avec beaucoup de pudeur. On retrouve déjà l'auteur torturé qui nous proposera plus tard des chefs-d'oeuvre…

Je continue donc mon histoire d'amour avec l'ami Fiodor (ô Honoré, je te suis infidèle !!!) et dire qu'il m'aura fallu quarante ans pour le découvrir réellement alors que j'ai beaucoup aimé « Crime et châtiment » à l'époque… Je crois qu'il y un moment dans notre vie où l'on est prêt à rencontrer une oeuvre, un auteur, les lectures précédentes et les évènements de nos vies ayant préparé le terrain…

Challenge XIXe siècle 2017
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L'ouvrage m' a surpris, du moins en début de lecture.
Et puis j'ai retrouvé cette ambiance si particulière de ces maisons russes où s'entassent cette pauvreté, comme pour mieux se tenir chaud.
Au reste, la gêne et les relations décrites entre ces chiches fonctionnaires et ces intérieurs domestiques modestes et dénudés, ne différent pas sensiblement du Royaume Uni ou Paris au dix-neuvième siècle. cela sent l'odeur de la précarité contées par Balzac, Zola, Maupassant, Dickens et consorts.
Par contre, les deux personnages principaux qui échangent leurs missives, ressortent d'un registre à la fois touchant et agaçant: touchant pour la jeune fille et agaçant pour le vieux fonctionnaires pleins de préjugés et d'une bonté (alliée à sa prose) tellement dégoulinante et qui le met dans une précarité extrême... mais qui vient en aide à une famille encore plus miséreuse que lui.
Dostoïevski, génie de l'âme et des évocations, nous fait partager St Pétersbourg, sa grisaille hivernale et ses illumination fragiles au printemps.
Les coeurs sont tourmentés, chauffés puis apaisés dans des situations qui se détendent... Et, derrière ce récit épistolaire, il me semble que résonnent ces choeurs russes qui chantent à l'unisson.
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Avec ce roman, Dosto montre qu'il avait déjà du talent à 22 ans (quand il l'a commencé). Déjà un style, haletant, déjà une écriture d'écorché.

Il s'intéresse à une relation ambiguë entre un homme très mûr et une jeune femme non mariée. Ils ont fenêtre sur cour, ils perçoivent leurs ombres derrière les rideaux mais ils ne se rencontrent pas, ils s'écrivent!
Et quelles lettres!

Pourtant, entrer dans l'histoire par ce procédé m'a paru ardu, un contexte pas si évident à cerner, il faut bien une cinquantaine de pages pour enfin s'épanouir dans le roman.

On découvre ainsi la vie de pauvres gens qui se répondent comme au pingpong. L'un est un fonctionnaire peu payé l'autre est couturière. Ils sont des travailleurs pauvres et ils peinent à joindre les deux bouts.
Dostoïevski cerne les sentiments qui les accablent tous les jours: la honte (les bottes percées) et la peur (d'être jeté à la rue).
Ces mornes vies sont cependant traversées par des fulgurances, des coups du sort qui vont modifier leur équilibre précaire.
A lire pour se rendre compte du niveau du jeune Dosto. Il fait partager son art d'écrire des lettres enflammées pour l'autre qui me lit, me comprend, me soulage et peut m'aider.
La nouvelle traduction, d'André Markowicz, est une réussite.
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Dostoïevski a toujours manifesté de l'intérêt pour la société des gens de peu.
Ce premier roman écrit alors qu'il a à peine plus de vingt ans, met déjà en scène deux pauvres qui se débattent dans les difficultés pécuniaires sans espoir, du moins pour l'homme, de s'en sortir. C'est un roman épistolaire, qui s'étale sur quelques mois, dans lequel un homme, plus tout jeune, célibataire,et petit fonctionnaire aime d'un amour qu'il dit paternel une jeune fille, lointaine parente. Cette jeune fille orpheline vit également chichement malgré les cadeaux qu'il lui fait au détriment de son propre entretien.
Nous ne savons rien de leur rencontre, la première lettre fait référence à une conversation ou une précédente lettre dans laquelle Makar Alexéiévich a demandé à Varvara Alexéievna de signaler en accrochant son rideau à un pot de balsamine qu'elle pense à lui. À quoi elle lui répond assez malicieusement pour ne pas dire méchamment, étant donné sa sensibilité, qu'il s'est accroché tout seul. Nous ne savons pas non plus comment tous les deux vivent après la fin de leur correspondance.
Si j'ai trouvé Makar Alexéiévich entièrement dévoué à sa jeune parente et d'une manière générale toujours près à aider son prochain ( voir son comportement envers le pauvre Gorchkoff ), j'ai jugé l'attitude de Varvara Alexéievna plus ambiguë. Si elle lui demande de ne plus rien lui acheter afin de ne pas s'endetter, elle ne manque pas de signaler ce qui lui ferait plaisir “ Il suffit qu'on lâche un petit mot sans y faire attention, comme, par exemple, au sujet de ce géranium, et tout de suite vous achetez “. Elle m'a semblé un peu manipulatrice. Par ailleurs elle n'hésitera pas à quitter Saint Pétersbourg et le vieux fonctionnaire lorsque cela sera dans son intérêt. de même qu'elle l'envoie en courses pour elle en lui faisant toutes sortes de recommandations. Il est vrai qu'elle aussi lui donne un peu d'argent lorsqu'elle en a. Peut être est ce sa jeunesse qui la rend incapable de voir le mal qu'elle lui fait.

Le personnage du petit fonctionnaire copiste fait penser à Akaki Akakievitch Bachmatchkine, le héros de la nouvelle le manteau de Gogol auquel Makar fait d'ailleurs allusion ( comme à d'autres oeuvres d'ailleurs ). Comme lui son dénuement est tel qu'il ressemble à un mendiant. de même c'est un copiste consciencieux qui est souvent moqué par ses condisciples mais leur trouve des excuses et leur pardonne.

Un premier livre qui est déjà une grande réussite.


Challenge XIXe siècle 2017
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Sans-abris, défavorisés, isolés, démunis, SDF… Il existe une galaxie de mots pour vous désigner du bout des lèvres, vous, les invisibles trop visibles. Comme si vous affubler de noms changeants enlevait de la misère à la pauvreté. On pousse l'aveuglement jusqu'à vous conceptualiser dans des tableaux et des graphiques afin de vous placer sur la courbe de l'indigence. La dèche a-t-elle progressé un peu, beaucoup ou à la folie ? Vous transformer en chiffres nous empêche de voir la réalité à nu. Il y a toujours une raison dans le fond de nos poches pour éviter de vous aider : désolé j'ai pas l'temps, il l'a bien cherché, il va aller s'acheter des bières de toute façon, j'ai pas d'argent sur moi.

Et puis il y a la foultitude d'entre-nous qui passons devant vous sans-même vous calculer. Notre cerveau déploie sa faculté de déni poussée à son paroxysme et nous ignorons votre mendicité, votre carton et vos halls d'entrée. Il y a bien des jours où, grands princes, nous faisons tomber des pièces sonnantes et trébuchantes dans votre maigre escarcelle. Faire don de quelques poussières d'euros est un tel sacrifice que nous avons l'impression de donner un rein. Ça y est, nous venons de faire notre bonne action et nous nous sentons alors pousser des ailes qui nous emmènent déjà loin de vous, il ne faudrait pas entamer une discussion d'humain à humain, cela nous amènerait à faire tomber le masque de l'individualisme et de redevenir humain … trop humain (sic).

Au rayon des romans montrant une des facettes de la pauvreté, il y a Les Pauvres Gens de Fiodor Dostoïevski. Petite analyse.

Ce livre représente les débuts de l'auteur russe dans le monde littéraire puisqu'il s'agit de sa première oeuvre. Elle rencontrera, dès sa parution, un certain succès qui placera Dostoïevski sur l'échiquier des auteurs russes à 23 ans seulement.

Les Pauvres Gens est une fiction épistolaire entre deux personnes qui habitent l'une en face de l'autre dans des immeubles délabrés. Il s'agit de Macaire et Varvara. le premier un fonctionnaire sans cesse au bord de la ruine tandis que la seconde est une jeune fille que la vie continue de ne pas épargner. Ces deux personnes nous font entrer dans leurs petites joies mais, surtout, leurs tracas quotidiens dus à leur pauvreté. On découvre ainsi que Macaire vit dans le coin d'une cuisine d'un logement collectif et que Varvara est presque sans revenu depuis la mort de sa mère.

À travers la correspondance de ces deux personnages, Dostoïevski dévoile des tranches de vie typiques de la vie urbaine russe du XIXème siècle. Il déroule une histoire simple faites de variations comme l'existence seule peut en promettre, la pauvreté en toile de fond. Certes, Varvara et Macaire ne sont pas encore des héros dostoïevskiens caractéristiques mais on retrouve déjà l'intérêt de l'auteur pour tenter de percer l'âme humaine avec plus ou moins de succès :

" le plus fort, c'est que les gens riches n'aiment pas que les malheureux se plaignent à haute voix du mauvais sort. « Ils nous dérangent, ces importuns ! » disent-ils. La misère est toujours importune ; les gémissements des affamés les empêchent peut-être de dormir ! "

Comme dit plus haut, Les Pauvres Gens est un roman épistolaire qui va crescendo jusqu'à la séparation finale des deux protagonistes. C'est d'ailleurs dans cette dernière partie que l'on remarque le style barré de Dostoïevski qui fera sa renommée dans ses autres romans. En effet, le rythme des dernières lettres va, s'accélérant, jusqu'à l'ultime lettre de Macaire qui est un long monologue agité. Et si cette correspondance n'était rien d'autre que pure invention de ce personnage ? Lui qui aborde plusieurs fois dans ses missives le style, la littérature et un avis bien tranché sur celle-ci.

« Varinka, mon amie, mon petit oiseau, mon trésor ! On vous emporte, vous partez ! Ah ! Ils feraient mieux de m'arracher le coeur de la poitrine que de vous enlever à moi ! Comment acceptez-vous cela ? … Vous pleurez et vous partez ? à contrecoeur ; donc on vous emmène de force ; donc, vous avez pitié de moi, donc vous m'aimez ! Et comment, avec qui vous allez vivre maintenant ? Là-bas, pour votre petit coeur ce sera la tristesse, la nausée, le froid. […] Si vous ne m'emmenez pas, je courrai de toutes mes forces, jusqu'à en perdre le souffle. Savez-vous seulement où vous allez ma petite amie ? »

Enfin, une autre oeuvre du répertoire russe est sans doute à l'origine de ce roman. Il s'agit de la nouvelle le manteau de Nicolas Gogol. Les deux récits parlent d'un fonctionnaire qui s'évertue à devenir quelqu'un malgré les différentes vexations. du côté de Gogol cela donnera naissance à une histoire burlesque et fantastique, tandis que Dostoïevski s'en inspirera pour créer le personnage de Macaire, fonctionnaire lui aussi mais plus sentimental et dramatique que celui de Gogol.

À bientôt 😉
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Il y a deux Fiodor Dostoïevski. le premier est un jeune libéral révolutionnaire, humaniste et europhile qui publia Les pauvres gens et deux autres textes (Le double, La logeuse) avant d'être arrêté, condamné à mort et symboliquement exécuté en avril 1849 (Voir sur le sujet La première mort de Fiodor Mikhaïlovitch de S. Charpentier). le second naquit dans le bagne d'Omsk et a pris peu à peu la place laissée vacante par le « jeune Dostoïevski » : A l'opposé de celui qu'il était, il devint un fervent défenseur de l'ordre, de la religion, de la Russie et sans doute aussi misanthrope que réactionnaire. Si le deuxième nous est assez familier avec de longs et superbes romans comme Les frères Karamazov ou Crime et Châtiment qui explorent les tréfonds de l'âme humaine (en général) et de l'âme russe (en particulier), en revanche, le jeune Dostoïevski, ne nous a laissé qu'une biographie tronquée, interrompue par cette mort symbolique (et les années de bagne qui suivirent) ainsi que trois récits dont ce premier roman étonnant sur la forme comme sur le fond.

Sur la forme tout d'abord, le choix du roman épistolaire est aussi pertinente qu'inattendue. Inattendue car le genre parait alors très daté (il évoque davantage les XVIIe et XVIIIe siècles que ce milieu de XIXe) et que Dostoïevski déclarera plus tard mépriser les correspondances. L'écrivain va en effet adapter à la triste condition sociale des petites gens de son époque tout en usant des avantages et des ficelles que lui permettent ce type de narration : Les nombreuses ellipses lui permettent notamment de figurer le passage du temps ou de garder le flou sur un certain nombre d'informations (dont le lien exact entre les personnages qui restera indéterminé). de même, les lettres échangées permettent en utilisant la subjectivité de la narration de faire ressentir aux lecteurs, les affres, les angoisses deux des personnages ou de dresser subtilement l'évolution de leur relation.

Sur le fond, l'intrigue est plutôt mince et il est question des vies quotidiennes d'un humble fonctionnaire copiste Macaire Diévouchkine et d'une orpheline désargentée Varvara Dobrossiélova. le lien qui les unit reste flou : il est fait allusion à un vague lien de parenté et on sent une tendresse paternelle de l'homme mûr pour la jeune fille (quelques expressions et phrases équivoques suggèrent possiblement un sentiment amoureux latent). Mais le coeur du roman, c'est avant tout, cette lutte quotidienne des personnages contre la faim, le froid et surtout contre la honte de pour sauvegarder les apparences vis-à-vis d'une société russe très codifiée ou il faut tenir son rang aussi modeste soit-il (sur ce sujet, on peut penser à la nouvelle le manteau de Nicolas Gogol auquel il est d'ailleurs fait explicitement allusion). Les petits sacrifices, les économies de bouts de chandelles rythment la vie des personnages qui deviennent familiers du lecteur. le roman ne se limite toutefois pas à ces protagonistes puisque d'autres personnages nous sont présentés indirectement via le contenu des lettres comme le jeune Pokrovski, percepteur de Varvara ou l'infâme Anna Fiodorovna, sa parente.

Fiodor Dostoïevski nous rend ces personnages attachants et certains passages sont même véritablement émouvant comme celui très réussi narré par Varvara concernant l'achat d'un cadeau pour le jeune Pokrovski. de plus, en usant des avantages du format épistolaire, il nous immerge sans redondance inutile et sans pathos larmoyant dans la vie humble des personnages principaux.

Ces récits sont un peu différents des récits plus tardifs. Ici, si la vie des personnages est dure et que quelques personnages secondaires sont plus ou moins intéressés et vils, la majorité des protagonistes semblent plutôt bons et solidaires. On ne retrouve pas non plus le Dostoïevski tardif volontiers « moralisateur », pessimiste et conservateur et le récit est finalement assez optimiste quant à la nature humaine et me semble aboutir à un plaidoyer pour davantage de justice sociale vis-à-vis de ces « pauvres gens », résilients, solidaires et tempérants.

Si le roman me parait peu représentatif du reste de l'oeuvre de Dostoïevski, il m'a beaucoup intéressé justement en ce qu'il différait du reste de son oeuvre (et surtout des romans que Dostoïevski rédigera après ses années de bagne). de même s'il n'est pas à mes yeux le meilleur de l'écrivain, il reste tout à fait remarquable et très agréable à lire.


P.S. : Par un heureux hasard, j'ai lu peu avant ce livre la nouvelle le Manteau de Nicolas Gogol, je ne peux que recommander sa lecture en amont qui peut constituer une excellente introduction.
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"Les pauvres gens" est le premier roman de Dostoïevski, écrit en 1846, quatre ans avant son départ pour le bagne. On y découvre à travers la correspondance entretenue par un petit fonctionnaire d'âge moyen et une jeune couturière orpheline la sensibilité de l'auteur pour le sort des miséreux, acculés à vivre d'expédients et confrontés aux humiliations quotidiennes.
C'est une oeuvre qui débute dans une (fausse) sérénité et où le rythme des catastrophes matérielles et morales qui s'abattent sur les deux protagonistes va s'accélérant. La lecture en est de plus en plus oppressante, signe d'efficacité, d'autant que l'auteur a pris soin d'écarter tout élément de sensationnel pour mieux faire ressortir la détresse des situations de gêne extrême : les deux personnages ont un métier, un toit, mais l'enchaînement des circonstances nous fait redouter une issue épouvantable : la perte de leur logement, la mort par inanition pour le fonctionnaire, la prostitution pour la jeune fille.

Dostoïevski évite toute issue misérabiliste, et pourtant quelle tristesse que le sort de ces deux êtres enfermés dans une irrémédiable solitude intérieure !


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