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Critique de PhilippeCastellain


Peut-être au fond ‘Souvenirs de la maison des morts' est-il le roman russe le plus intéressant de la fin du XIXème. Un paradoxe pour ce texte froid et austère, souvent dédaigné au profit des grands romans. Mais il y a deux arguments à faire valoir.

Le premier est lié au caractère autobiographique, mais pas pour celui-ci en tant que telle. Des livres évoquant la misère des étudiants et de jeunes artistes, les dettes et les jours sans pain, on en trouve à foison et on reconnait bien vite quand ils ne sont pas le fruit de l'imagination. Mais même dans la pauvreté, l'homme instruit ne se mêle pas à l'ouvrier. le jeune homme pauvre reste dans son galetas humide, ressassant ses échecs et relisant ses précieux livres. Il fréquente d'autres jeunes déclassés, parfois quelques grisettes. Il ne manie pas les outils de ses mains trop blanches, ne partage pas le pain noir et la piquette avec l'ouvrier. Qu'on se rappelle Vallés, Vallés le communard, essayant de s'embaucher dans une imprimerie ; Tolstoï jouant les paysans…

Mais Dostoievski, lui, l'a vécu au bagne. Subi. Lui a vécu à leur côté, les a observé, a touché du doigt son inutilité quand il s'agissait d'aider de ses mains. Il décrit nombre d'entre eux – le petit juif d'une endurance insurpassable au sauna, le vieux-croyant banquier… Mais aussi leurs interactions, leurs habitudes, leurs rares distractions. Un témoignage unique sur la Russie des tsars, loin des palais de Saint-Pétersbourg et des babouchkas dans les isbas.

Mon second argument découle du premier, car il s'agit du constat implacable qu'il fait alors : même en prison, les barines et les gens du peuples ne vivent pas dans le même monde. Que les premiers puissent se dire leurs camarades n'engendre que l'incrédulité et le dédain chez les seconds. Un mur invisible et infranchissable les sépare, que Dostoïevski contemple avec tristesse et impuissance, quand Tolstoï se cogne dedans avec obstination.

C'est donc l'un des rares romans russes où se montre le point de vue du peuple. Et la profondeur de la fracture sociale, à bien des égards, permet de mieux comprendre l'incroyable déchainement de violence de la révolution russe.
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