Un roman érotico-thriller d'une romancière britannique à succès. le personnage central, Yvonne, se retrouve en prison pour meurtre ou complice de meurtre. de là, nous est retracé le cheminement de sa vie qui l'a menée sous les verrous. Pourtant une vie sans histoires jusqu'au jour où tout bascule ! Si son couple était resté sans faille, si ses enfants l'avaient aussi soutenue, si elle ne s'était pas retrouvée à la cinquantaine au point de non-retour vers une vie plus sexuellement active et si son travail de généticienne l'avait toujours autant passionnée, sans doute aurait-elle passé son chemin et disons-le tout cru n'aurait pas cédé à la tentation. Mais voilà, elle croise le chemin d'un séducteur avéré qui n'en fait qu'une bouchée.
Si cela n'avait été que cela, juste une histoire de sexe mais non, il faut voir plus loin et comprendre tout ce qui fait le sel des débats des jurés de la Haute Cour criminelle de l'Old Bailey dans le West End londonnien. Les non-dits qui s'accumulent jusqu'à nuire à la défense du principal accusé, le mytho Mark Costley. Heureusement pour lui qu'il a une avocate très douée qui arrive à démêler le vrai du faux – un imbroglio très savant et un final tout aussi retournant ! Qui l'eut cru. J'ai lu jusqu'à la fin cette très belle plaidoirie en faveur de la libération de ces deux accusés condamnés pour une faute aussi lourde qu'un meurtre commis de sang-froid et j'ai apprécié page 381 la petite phrase susurrée à la poitrine de son amant par Yvonne. Je n'ai pas regretté d'avoir été jusque là et bien après dans ma lecture. J'ai vu parmi les lecteurs de ce livre sur Babelio qu'il y a eu une adaptation cinématographique avec Emily Watson dans le rôle d'Yvonne : Apple Tree Yard et je regrette d'avoir manqué sa diffusion sur Arte. En tout cas, j'ai aimé toute la psychologie des intervenants et finalement suis contente de l'avoir lu avant d'en avoir vu le film.
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L'instant approche, s'amplifie et se rapproche - l'instant où je comprends que nous avons perdu. La jeune avocate, Mme Bonnard, est debout devant moi : une petite femme, rousse sous sa perruque judiciaire, comme tu t'en souviens sûrement. Le regard est froid, la voix légère. Sa grande robe noire est plus chic que sinistre. Elle dégage une impression de calme, de crédibilité. Je suis dans le box des témoins depuis deux jours et je suis fatiguée, très fatiguée. Plus tard, je comprendrai que Mme Bonnard a choisi exprès cette heure de la journée. Au début de l'après-midi, elle a perdu pas mal de temps à m'interroger sur mes études, mon mariage, mes loisirs. Elle a exploré tellement de thèmes que je n'ai pas tout de suite compris que cette nouvelle ligne d'attaque avait un sens. L'instant approche, lentement, il enfle avant d'atteindre son paroxysme.
La pendule au fond du tribunal indique 15 h 50. L'air est lourd. Tout le monde est épuisé, y compris le juge. J'aime bien le juge. Il prend des notes avec application, lève poliment la main quand il veut qu'un témoin parle moins vite. Il se mouche souvent, ce qui lui donne un côté vulnérable. Sévère avec les avocats, il est bienveillant avec les membres du jury. Quand l'un d'entre eux a bafouillé au moment de prêter serment, le juge lui a dit en souriant : «Prenez tout votre temps, madame.» Le jury aussi me plaît. L'échantillon qu'il représente me paraît acceptable ; une légère prédominance de femmes, trois Noirs et six Asiatiques, entre vingt ans et la soixantaine. Difficile de croire qu'un groupe de gens aussi inoffensifs pourrait m'envoyer en prison; et encore plus maintenant qu'ils sont tassés sur leur siège. Aucun n'affiche l'attitude guillerette et droite qu'ils avaient tous à l'ouverture du procès, le visage rayonnant, stimulés par l'adrénaline de leur propre importance. Comme moi, les horaires très courts du tribunal ont d'abord dû les surprendre - jamais avant 10 heures le matin, longue pause déjeuner, et jamais plus tard que 16 heures. Mais, à présent, chacun de nous est au courant. C'est cette lenteur en tout qui est fatigante : là, on est immergés dans le procès, accablés de détails. Les jurés se sentent étouffés. Ils ne comprennent pas plus que moi où veut en venir cette jeune femme.
Et dans le box lambrissé de bois, derrière l'épaisseur des vitres en verre trempé, il y a toi : mon coaccusé. Avant qu'on m'appelle à la barre, nous étions côte à côte, bien que séparés par deux agents du tribunal assis entre nous. On m'a conseillé de ne pas te regarder pendant qu'on interrogeait les témoins - j'aurais l'air d'être ta complice, m'a-t-on dit. Pendant que je témoignais moi-même à la barre, tu m'as regardée, simplement, sans émotion, et ton regard serein, presque vide, m'a fait du bien, car je sais que tu me veux forte. Je sais que me voir là toute seule debout, scrutée et jugée, éveillera en toi un sentiment protecteur. Et si ton regard en apparence lointain peut sembler absent à ceux qui ne te connaissent pas, je t'ai déjà vu l'avoir en plusieurs occasions. Aussi je sais ce que tu penses.
Aucune lumière naturelle ne pénètre dans la salle d'audience numéro huit, et ça me gêne. L'éclairage se limite à un treillis de plaques carrées fluorescentes au plafond et à des néons blancs sur les murs. Tout est très aseptisé, moderne, dépouillé. Les boiseries, le velours vert des strapontins, rien ne s'harmonise - le drame qui bouleverse une vie pour lequel nous sommes là face à la banalité abrutissante des procédures.
« Ca a été une vraie expérience, celle dont je vous parle. Des scientifiques ont pris un chimpanzé, une femelle, et son bébé pour les mettre dans une cage préparée tout spécialement. Le sol de la cage était une plaque de métal à travers laquelle passaient des filaments électriques. Ils ont tourné peut à peu un bouton, et le sol est devenu de plus en plus chaud. Au début, la femelle chimpanzé et son bébé ont sauté d’un pied sur l’autre, puis très vite, le bébé a sauté dans les bras de sa mère pour qu’elle le protège du sol brûlant, et pendant encore un moment, la mère chimpanzé a continué à sauter dans la cage en essayant de ne pas toucher le sol brûlant, de grimper à des barreaux auxquels il était impossible de grimper mais pour finir – ils l’ont fait plusieurs fois et ont constaté que c’était vrai chaque fois -, toutes les mères chimpanzés ont fait la même chose… »
Il me fixe dans les yeux et, tout à coup, je regrette qu’il le fasse.
« …pour finir, la mère chimpanzé a posé le bébé par terre sur le sol en métal brûlant et est montée dessus.
Toi, Mark Costley, tu étais un mythomane, quelqu’un qui ne pouvait vivre sa vie normale qu’en l’étayant par des récits flatteurs dans lesquels tu étais un espion, un grand séducteur, un héros vengeur ou je ne sais quoi d’autre. Tes histoires t’étaient devenues si indispensables qu’elles t’ont happé, t’ont coupé de tout sens de la réalité objective. Et la fin de toutes nos histoires a été la suivante : toi et moi sommes allés en prison.
Quelle température le sol en métal de la cage doit-il atteindre pour que la mère chimpanzé pose son bébé par terre et lui marche dessus ?
« Ce que cette expérience démontrait, celle que je n’ai jamais réussi à oublier parce qu’elle m’a pas mal perturbé, c’et que même l’amour le plus altruiste ou le plus rempli d’abnégation a ses limites. Autrement dit, il arrive un moment où chacun se fait passer en premier. »
Bande annonce de la mini série, Apple Tree Yard, produit par la BBC en 2017. Adaptée du roman de Louise Doughty, paru en francais sous le titre : Portrait d'une femme sous influence.