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Critique de Laureaimelire


Sophie, enseignante de français dans le même collège REP (Réseau d'éducation prioritaire) de banlieue nord depuis dix ans, entame aujourd'hui son dernier jour de classe. A travers 18 chapitres courts et intenses, entre scènes-souvenirs de classes chaotiques et contemplation défaitiste du présent, cette professeure nous ouvre les portes d'un monde chargé d'émotions, d'affrontements, de cris, de pleurs et de beaucoup de tourments intérieurs.

A la fois témoignage d'un abandon — Sophie changera d'établissement l'année suivante, déclenché par des élèves insoumis, incapables et un système éducatif trop bancal (« Mon métier n'aura été qu'un échec » p.10), puis guide de survie de l'enseignant en REP alimenté d'aphorismes cyniques (« Enseigner, c'est faire du théâtre » p.27), ce roman est aussi et avant tout une étude sociologique et psychologique d'adolescents démunis, provenant souvent de familles détruites, en quête d'identité et de repères (liste très explicite et fournie p.73).

S'interrogeant tour à tour sur différents élèves, l'auteure nous livre son palmarès des problématiques rencontrées en classe : élève dyslexique, jeune homme aux parents absents, adolescent insolent ou violent, jeune fille victime… et n'omet pas d'analyser ses propres dérives (amour ou haine des jeunes « j'ai tendance à préférer les gros » p.36, attirance pour un adolescent, rapport au corps de ses élèves p.122…). Pour ce faire, elle utilise fréquemment un ton pédagogique et s'amuse même de cette déformation professionnelle dans des jeux de langues métatextuels : « je le sais, elle le sait, nous le savons » (p.22).

Si le sujet est dur et les moments souvent brutaux, le texte n'en demeure pas moins très drôle. S'armant d'un humour noir, grinçant, sarcastique et plein de dérision, elle alterne entre les descriptions burlesques (le chapitre « Corps » se concentre sur le pet), les comparaisons amusantes (« la REP c'est un peu un village de Corses : trahison, rumeurs, vendetta » p.65), les dialogues-stichomythies aux allures de « cadavre exquis » (p.35) et les maladresses naïves de ses élèves (p.119).

Vaguant entre familiarités, références populaires, images légères (« je m'amollissais comme une pizza laissée à l'air libre depuis la veille » p.8) et envolées lyriques (rythme remarquable, notamment dans les nombreuses listes établies) et références littéraires plus poussées, l'auteure semble faire écho à sa propre position d'enseignante. A la fois femme instruite aux études studieuses (master de sociologie et agrégation de français) et vulgarisatrice autoritaire auprès d'élèves quasi-analphabètes, son rôle d'enseignante s'apparente justement à cette modération entre le savoir et la transmission. Drôle et sérieux, familier et sévère, ce texte au verbe cru et honnête est un ascenseur émotionnel dévoilant les hauts, mais surtout les bas d'un métier souvent dénigré.

Après les ultimes échanges avec ses élèves, l'enseignante contemple une dernière fois ce collège qu'elle a si longtemps craint et haï et n'en retient qu'une image dépouillée : « trois arbres, un toit, le ciel et dessus, les nuages, les nuages qui passent. » p.131. Fin rêveuse et aérienne qui tenterait de clore en légèreté un texte au sujet assez lourd, l'auteure nous livre peut-être aussi un dernier message subliminal : au dessus de la stabilité soporifique d'un environnement scolaire, des élèves s'élèvent et défilent dans le ciel, légers et naïfs, guidés par sa propre figure d'enseignante, certes vidée et éreintée, mais toujours stimulée par l'énergie insatiable de la jeunesse.
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