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Critique de Ivory


Sans un cri est le premier roman de Siobhan Dowd, paru en 2007 dans la collection Scripto (Gallimard Jeunesse). L'histoire poignante, parfois choquante, est inspirée de faits réels.

Shell, 15 ans, vit avec son frère Jimmy et soeur Trix dans le petit village irlandais de Coolbar. Shell n'est qu'une adolescente mais doit s'occuper de la maisonnée depuis que sa mère Moira est morte et que son père a sombré dans l'alcool. Chaque jour, la même routine : elle s'occupe de la cuisine, du ménage, des enfants avec les moyens du bord et va rarement au collège. Depuis que sa mère n'est plus là, le chaos s'est abattu sur la famille. le père violent est souvent parti au pub, laissant les enfants sans ressources, ce qui oblige Shell à endosser les responsabilités d'une mère. Seule la figure du père Rose dont elle boit les paroles à chaque messe lui donne confiance et courage pour affronter la rudesse de son quotidien. La foi qui rayonne en elle et le souvenir omniprésent de sa mère sont une véritable béquille pour l'adolescente. Perdue entre l'insouciance de l'adolescence et ses responsabilités d'adulte, Shell succombe aux charmes d'un garçon, rompant le lien d'amitié qu'elle entretenait avec sa meilleure amie Birdie (qui sortait avec le garçon en secret). Un jour, alors qu'elle fréquente Declan depuis quatre mois, elle s'aperçoit qu'elle est enceinte...



Sans un cri, c'est d'abord l'histoire d'une battante. le titre fait référence à la souffrance inexprimée, intériorisée de l'adolescente, enfermée dans la solitude, dont le surnom « Shell » signifie « coquille » ou « carapace » en anglais. Shell, forte de sa capacité à s'évader par l'imaginaire, supporte les difficultés comme un rock subit les assauts du vent et des vagues. Cet ouvrage raconte aussi le deuil, la douleur d'une absence, celle de Moira, la mère décédée. Shell vit avec le souvenir de sa mère encore tellement présente à son esprit qu'elle l'aperçoit souvent à la manière d'un présence rassurante, l'évocation d'un passé plus chaleureux. le drame de son absence pèse sur toute la famille et hante le roman de visions surnaturelles.

A aucun moment on a pitié de l'héroïne. le récit enchaîne une suite d'événements sordides sans jamais rendre les personnages pathétiques ou misérables. Shell, devenue adulte trop vite, est une héroïne tragique aux prises avec son propre destin. La trahison de son premier amour, sa grossesse, la mort de sa mère, la solitude, Shell endure tout en introspection et nous épargne les clichés. D'une nature rêveuse, Shell sublime de façon naïve et touchante son quotidien en comparant sa vie avec des épisodes de la Bible. La narration du quotidien est souvent ponctuée de scènes bibliques qu'elle imagine, pour transcender la triste réalité et passer outre, avancer, toujours vivre au jour le jour. On se rend compte du rôle « porteur » de la religion dans ce petit village où tout semble figé dans le temps. L'histoire a beau se passer en 1984, la vie provinciale, la pauvreté de la famille de Shell, la présence souvent pesante de la religion ancrent le récit dans un temps plus archaïque et reculé. Paradoxalement, la dévotion religieuse n'aidera personne dans ce roman ; ni Shell ni son père, ni même le père Rose ne trouveront de réponse dans leurs prières.

Le récit, raconté à la 3e personne, comprend de nombreuses scènes de dialogues. L'écriture est très imagée, les descriptions s'accompagnent des représentations mentales de l'adolescente. le lecteur est donc en lien direct avec l'émotion du personnage. Tout est perçu comme Shell le ressent, ce qui confère une grande force au récit qui regorge d'émotions. L'écriture fourmille de métaphores à la fois simples et « parlantes ». La voix intérieure de Shell, celle qui reste muette aux yeux du monde, se manifeste en italique dans le roman et matérialise un double niveau d'expression de l'adolescente tout en rapprochant le lecteur au plus près de sa conscience, le noyau brûlant du personnage. Ce bouillonnement intérieur, ce tiraillement perpétuel entre parole et silence, représentent le voyage personnel de Shell. de la mort de sa mère au malheur de sa grossesse, en allant au bout de son calvaire, Shell libère toute la famille d'un poids : celui du silence, de l'absence, du regret. Il aura fallu un grand malheur pour que son père revienne parmi les vivants et prenne à nouveau part à la vie de famille. Chacun commence alors à croire en l'autre, la parole se libère et le souvenir de la mère peut alors trouver sa place dans le passé.

Sans un cri est un roman psychologique poignant mais c'est aussi un roman noir à partir du lancement de l'enquête policière. le suspense et l'intensité dramatique vont crescendo sans laisser au lecteur le temps de reprendre sa respiration. La première partie du roman, celle qui précède l'accouchement reflète plutôt la monotonie de son existence et crée une atmosphère mais c'est aussi une façon de ménager le lecteur pour la suite tragique et l'enchaînement des événements. Malgré la gravité des thèmes, le récit est bien celui d'une adolescente. L'écriture simple, rapide, précise donne de la légèreté au récit. L'insouciance et la naïveté propre à l'âge de l'héroïne sont comme une bouffée d'air frais qu'on apprécie pour affronter la trame dramatique particulièrement dense. Gallimard recommande cette lecture à un lectorat âgé de 13 ans minimum. Selon moi cette histoire conviendrait mieux à un adolescent de 15, 16 ans, de l'âge de l'héroïne au moins. le thème est plus adapté à un lectorat féminin. le livre est difficile et ne constitue pas une lecture plaisir dans le sens où la lecture est éprouvante pour qui est investi émotionnellement dans l'histoire. Sans un cri est une lecture bouleversante qui projette le lecteur au coeur d'une tornade émotionnelle.

Pour ceux qui aimeront Sans un cri, je recommande Où vas-tu, Sunshine? (2010). Même collection, même auteur, sur le malaise adolescent.
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