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Critique de Sejy


Stimulant ! Je viens de refermer l'album ; soufflé et ravi, je me sens soudain beaucoup moins con. Ce petit pavé vient de me faire explorer des continents spirituels qu'en maître-penseur de bazar pourtant gourmand et hardi, je n'aurais jamais eu l'audace d'approcher. Cela valait bien que je me sorte les doigts ! Choper prestement mon netbook (c'est pas malin, maintenant y'a le clavier qui sent) et restituer mon enthousiasme encore frais pour vous convaincre de risquer le voyage.

Que ce soit clair : cette oeuvre est avant tout une oeuvre cérébrale (mais pas que). Non pas qu'elle déborde d'un intellectualisme abscons ou d'une métaphysique inabordable. Certes, il y a matière à faire phosphorer la cafetière, mais le contenu reste accessible, d'autant que lorsque l'on flirte dangereusement avec le mais-de-quoi-il-cause-?, déboule, ipso facto, une métaphore limpide et salvatrice. Non, c'est surtout sa dimension introspective qui flatte l'esprit. Devant nos yeux captivés, les auteurs deviennent acteurs et s'interrogent sur la légitimité de leur création, débattent des approches à envisager, de voies à emprunter afin que le propos se la joue moins obscur et plus séduisant.

Car, au départ, le pari était ambitieux et osé : initier à la Logique par l'intermédiaire du médium Bande dessinée. Résumer en cases et en bulles la naissance d'un langage figuratif et ses concepts abstraits pour mettre en lumière une discipline cabalistique pondue par les cerveaux de logiciens philosophes qui s'entêtaient à désosser les fondements de la reine des sciences. Ces mathématiques au cul posé sur un socle fragile, façonné de sacro-saintes vérités impalpables, d'axiomes nourris de l'intuition nous affirmant que, infailliblement, un et un feront toujours deux... Sans jamais arriver à le prouver. Intolérable pour les Ayatollahs du cartésianisme !

Mais, vulgariser ne suffirait pas. Au mieux s'augurait un exposé didactique, au pire, une brique de trois cents pages d'un ennui cauchemardesque. Aussi fallait-il entreprendre des chemins supplémentaires. En s'attachant à l'un de ces éminents penseurs en particulier. Ce sera Bertrand Russell. Retracer sa biographie, ou plutôt, en un fil conducteur romanesque, le laisser se raconter, nous dire soixante ans de sa vie. Celle d'un homme comme un autre avec sa moralité et ses angoisses, ses histoires d'enfance, ses histoires de fesses et de coeur compliquées. Par quelques latitudes anachroniques, autoriser des heurts fictionnels entre sommités ; confrontations palpitantes de discours et de personnalités. Enfin, suggérer l'aventure dramatique, invoquer le souffle de la tragédie. En dédiant la majeure partie de son existence à ses idées, la passion confine à l'obsession, à la névrose. L'aspiration à une Logique absolue, forçant le dépassement de soi, accouchant des manières de raisonner totalement vierges et téméraires, mue l'homme en globe-trotter des limbes de l'esprit. Un explorateur qui au terme de sa quête périlleuse et utopique finira héros... Ou fou.

Restait à tirer le feu d'artifice, expérimenter le jeu de la mise en abyme. L'auto mise en scène d'auteurs s'accordant des apparitions rafraichissantes en autant de gloses bienvenues, puis interprétant le spectacle de la genèse de l'oeuvre, de sa déconstruction. Au-delà d'un effet de manche, une vraie réflexion. Puissante, généreuse. Habiller l'ensemble d'un dessin aux accents ligne claire efficace, neutre au commencement, de plus en plus séduisant au long des pages, puis pareil à des jongleurs-architectes de génie, enchâsser les trames, alterner les fils, et par l'ajout subtil de codes graphiques, édifier la narration imparable d'une histoire complexe, fluide et passionnante dont il manquait le titre qui tue : Logicomix ! Maintenant, sa pertinence m'apparaît totalement.

Tout ce que j'aime.
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