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Critique de motspourmots


J'ai tellement aimé Ce sont des choses qui arrivent (2014) que ce nouvel opus de Pauline Dreyfus a été l'un des premiers inscrits sur ma liste des courses pour cette Rentrée littéraire. J'aime sa plume caustique au service d'un propos toujours très fort et je n'étais pas mécontente de la retrouver dans un exercice moins sombre que le précédent mais néanmoins tout aussi passionnant. Et sur lequel planent des fantômes dont il semble difficile de se défaire complètement.

Car dans ce court roman aux allures burlesques se mêlent passé, présent et futur dans un espace-temps resserré et parfois même suspendu. L'action se situe en plein "Mai 68" dans un Paris aux rues désertées où les deux rives s'observent, la droite craignant la contagion tandis que la gauche résonne des revendications étudiantes. Ce 22 mai 1968 est un jour particulier à bien des égards pour le personnel de l'hôtel Meurice. D'abord, il a pris le pouvoir et conduit les affaires courantes en mode autogestion... sans aucunement abandonner le sérieux de l'organisation attendue d'un établissement de ce type. Ensuite, le Prix Roger Nimier doit être remis lors de l'un des déjeuner de Florence Gould, la milliardaire américaine qui occupe à l'année la meilleure suite de l'hôtel. le lauréat est un certain Patrick Modiano dont le premier roman La place de l'étoile a séduit le jury. de nombreux invités ne pouvant se déplacer, on se dépêche de convier d'autres résidents de l'hôtel tels le couple Dali ou le milliardaire américain J.P. Getty et même le notaire Aristide Aubuisson qui, se sachant condamné est venu s'offrir un dernier séjour de rêve dans la capitale. Déçu de trouver musées et monuments clos, ce déjeuner va être pour lui une distraction proche de l'émerveillement...

... tout comme pour le lecteur. Car le lieu dont il est question n'est pas anodin. Quelque 25 ans auparavant, les dignitaires nazis y avaient installé un de leurs quartiers généraux et c'est ici que le Général von Choltitz a fait le choix que l'on sait. Avec Modiano, hanté par la période de l'occupation et son livre dont le sujet ravive des souvenirs que certains convives préfèreraient oublier, le passé s'invite à table sans jamais être frontalement évoqué. Et dans ces moments, l'ironie mordante de Pauline Dreyfus fait merveille et l'on retrouve avec appétit sa façon d'épingler la bourgeoisie bien-pensante et quelque peu frivole.

Mais elle nous offre également une fresque presque tendre du petit monde qui s'agite en silence dans les coulisses du palace et se trouve confronté aux promesses d'une proche révolution. Prendre le pouvoir ? Pas si simple dans un palace où tout fonctionne selon un ordre parfaitement établi. Entre employés amenés à décider et patrons contraints à l'oisiveté, l'auteur nous campe quelques scènes savoureuses qui montrent avec humour les limites du jeu de rôles. Quant au personnage du notaire (le seul élément fictif parmi les personnalités ayant vraiment assisté à ce déjeuner), il traverse l'histoire comme une sorte de candide dont la sincérité apporte sa part d'humanité à l'ensemble.

Les différents niveaux de l'intrigue se superposent et s'imbriquent à la perfection, et l'unité de temps et de lieu renforce la dramaturgie de cette satire réjouissante. Pauline Dreyfus possède cette élégance un peu surannée de celle qui égratigne sans rien laisser paraître. Plume assassine et visage d'ange. Personnellement, j'adore la lire.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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