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EAN : 9782283032657
80 pages
Buchet-Chastel (15/11/2018)
3.83/5   3 notes
Résumé :
Il ne vient à l’idée de personne d’établir une différence entre la musique qu’on écoute et celle qu’on joue. Il est pourtant frappant de constater qu’elle est seule parmi tous les arts à permettre ces deux pratiques bien différentes. Seule aussi à échapper au réel : elle n’exprime rien, n’est pas un langage, et avec elle deux fois deux ne font pas quatre. Le musicien, lui, est seul à pénétrer dans cet autre monde où les lois universelles n’ont pas cours.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ah la musique! Elle permettrait à l'auditeur de quitter le réel et sa dialectique intolérable pour en pénétrer un autre, dénué de toutes contingentes et pouvoir ainsi accéder à la plénitude totale. La musique nous ferait entrer dans un nouveau paradis, vidé de toutes illusions et débarrassé des dogmatismes autoritaires. Jacques Drillon expose dans ce court essai au souffle généreux que la musique est tautologique: «elle n'exprime qu'elle-même». Elle n'essaie pas de baragouiner, de raconter ou de décrire quelque chose, elle serait plutôt indivise : «elle est la seule chose en soi». Offerte comme une offrande divine, elle précède le langage et nous donne la possibilité de plonger dans notre intériorité, nous aidant peut-être à accepter provisoirement notre condition de subordonnés, de moribonds du monde.
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J'ai eu du mal à entrer dans ce livre et j'en suis sorti sans avoir tout compris. Et pourtant le sujet est intéressant et l'écriture est claire.
J'en ai retenu trois choses : d'abord, nous n'avons plus aujourd'hui de cours de musique à l'école comme l'auteur a pu en avoir. C'est vrai que je ne sais pas ce qu'est un scherzo.

Ensuite, il y a une différence entre jouer de la musique et l'écouter. Même avec une bonne écoute, je ne ressentirai jamais ce que vit celui qui joue.

Enfin, la musique est un art à nul autre pareil. Elle est indivise et ne peut s'exprimer. Bien plus chaque interprétation la remet en cause.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Quand le compositeur Michael Tippett, qui a édité la musique du contre-ténor Henry Purcell, découvrit le jeune Alfred Deller, il eut l’impression que « les siècles partaient à reculons ». Les années, pour commencer : quand il était petit, Deller était choriste. Son pain quotidien, gloire à Dieu, était fait de Byrd, de Gibbons, de Haydn, du grégorien. De quoi vous faire un squelette de fer. Seulement lui, Alfred, le jour que sa mue le frappe, décide de continuer ainsi : « Ma façon de chanter est celle de mon enfance », dira-t-il. Son chef de choeur, « en voulant bien faire, j’en suis sûr », le tire vers le grave. Lui veut de l’aigu. Pour Nietzsche, le mouvement vers la nature, ce n’est pas un retour à, mais une montée vers. Il s’obstine donc à chanter dans son registre de fausset.
La tradition des contre-ténors anglais ne s’était jamais éteinte, mais ne perdurait qu’au sein des choeurs d’église, des Masses, bridés par des chefs qui encore aujourd’hui recherchent la blancheur anonyme du timbre et fuient l’expressivité « latine ». Les hautes-contre à la française ont pratiquement disparu. C’était en réalité des ténors aigus, et dont un des derniers représentants, pour ne pas dire le plus beau (on a sa dignité), s’appelait Tino Rossi. Il en reste quelques spécimens, authentiques ou assimilés (Sage, Ragon, Fouchécourt), mais ils s’éteindront, comme les chanteuses autrefois capables d’interpréter la mélodie française. De même qu’on n’articule plus le français parlé comme Madeleine Renaud.


Deller est vendeur de meubles, puis chantre à Canterbury. La guerre éclate. Il est objecteur de conscience, comme Britten. On l’envoie travailler aux champs. Les bombes ne l’arrêtent pas. Philippe Sollers, qui raffole de cette « voix de contre-ténor dont le XIXe siècle avait programmé la destruction, accomplissant ainsi une violente vengeance contre la féerie », voit dans cette conjonction historique un symbole frappant : « C’est une singularité tellement affirmée qu’elle va à l’encontre de tout système totalitaire, collectiviste. Deller était seul contre tout le monde et contre les préjugés. » Qu’ils soient esthétiques ou sexuels. « C’est énorme ! La musique, ce n’est pas seulement de la pensée : c’est aussi le symptôme historique le plus profond. » André Tubeuf, lui, a suggéré qu’en un autre temps chanter ainsi lui aurait valu la prison, celle de Reading par exemple (comprenez : comme Oscar Wilde).

En tout, il aura pris une unique leçon de chant, « pour apprendre à respirer ». Dès 1944, grâce à Tippett, il commence sa carrière de soliste. C’est lui qui, en 1946, chantera lors de l’inauguration du programme culturel de la BBC. C’est pour lui que Britten écrira le rôle d’Obéron du « Songe d’une nuit d’été », revanche de la « féerie ». Il enregistrera des douzaines de disques, les opéras de Purcell, les maskes, mais aussi la musique française, italienne. Le Deller Consort, fondé en 1950, exhume le répertoire des madrigaux élisabéthains. Ils sont là, à cinq ou six, assis autour d’une table, ou en rond, et chantent tranquillement.

Le timbre d’Alfred Deller était remarquable surtout dans l’aigu. Personne au monde, même la Caballé, dont c’est la grande mais unique spécialité, n’a jamais été capable de produire à ces hauteurs un son si fin, si délicat, si pur. Aucun grain, aucune matière, et pourtant de la couleur, un cheveu de lumière. Chaque voyelle conserve sa teinte particulière, même à ces confins du silence. Cette voix ne suscite pas la songerie : elle est pur songe. Elle fascine, provoque l’amour. « If music be the food of love », se demandaient Shakespeare et Purcell, qui n’avaient pourtant pas connu Deller... Ajoutez à cela une technique exemplaire, dans la vocalise comme dans l’émission du son, qui lui a conservé sa voix jusqu’à la fin.

Fumeur de pipe et de Craven A, comme Samson François, mais une voix parfaite. Les petites chanteuses qui n’approchent pas un fumeur à moins de trente pas mais dont la voix est foutue à 40 ans peuvent s’en inspirer. Lorsque la voix descendait dans le grave, le timbre se corsait, se poivrait, prêt à l’ironie, mais toujours dans une très petite amplitude d’effets. Deller était bien l’anti-ténor wagnérien. Il avait la plus petite voix du monde, son compère luthiste Desmond Dupré jouait un instrument de quelques centaines de grammes, et à eux deux ce ne sont pas seulement les lute songs qu’ils ont redécouverts, ni même la musique élisabéthaine, savante et populaire, mais tout un art anglais, fait de raffinement, de délicatesse, de dignité, de retenue, d’humanité, un art du minuscule, presque une civilisation.

Il fallait imposer ce timbre, cette manière de chanter, ce répertoire. Deller aura subi tous les sarcasmes. « O solitude, my sweetest choice », la chanson de Purcell, est devenu son emblème. On le prétendait castré, impuissant, dégénéré ; mais ce n’est pas sous Churchill qu’on coupait ou qu’on ligaturait les bourses des garçons, contre argent aux parents, pour en faire des bêtes d’opéra. C’est en Italie, et d’abord pour alimenter les choeurs du Vatican. Il lui avait fallu se défendre, se justifier :

Je suis un grand gaillard de 1,88 mètre et de 90 kilos. Je suis père de trois enfants, j’ai été bon footballeur, bon joueur de cricket, fils d’un gymnaste professionnel, et maintenant, parce que je chante avec un type de voix peu écouté depuis cent cinquante ans, je dois m’attendre à ne pas être considéré comme un homme véritable !
Il n’est pas certain que l’époque actuelle soit plus accueillante à de tels tempéraments. Les baroqueux ne luttent plus contre ceux qui avaient décrété : du passé faisons table rase. Ils sont riches, nerveux, ambitieux, conventionnels. Le baroque est devenu un investissement, au mieux une parure sociale, comme les beaux-livres. Du passé faisons table basse.

Le texte surtout requiert Deller, c’est là ce qui le rend le plus violemment rebelle. Sans effort, sans appuis intempestifs, il fait sonner la langue anglaise, la poésie anglaise comme personne. Parlant de Purcell, Deller évoque avant tout son art de mettre le texte en musique, sa rythmique, sa métrique, dont il ne trouve aucun équivalent dans l’histoire, Schubert excepté. « Il passait son temps à lire, dit Sollers, tous les témoignages concordent. Il suffit d’écouter : c’est la poésie qu’il cherchait à transmettre avant tout. » Ce que traduira cette vieille philosophe platonicienne, sans penser à mal : « Avec lui, on jouit de la langue. »

Et du corps tout entier, chère madame, et de l’âme. Lorsqu’on entend cette voix unique, cette prononciation exemplaire, cette poésie et cette musique retrouvées, on est étourdi par la cohérence qui se dégage du résultat, tant il est vrai que nous sommes plongés dans la confusion, et que notre temps est bien celui où les émotions sont le produit de la prévision, de l’algèbre, de la spéculation. Nous sommes entrés dans l’ère du calcul. Remontons les siècles, comme disait Tippett.
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