Dans le monde tribal, la vengeance était un devoir. Aujourd’hui, ses deux fils étaient devenus adultes. Elle avait envoyé le plus jeune à Cordoue, avec des instructions simples : verser le sang de deux personnes qui avaient été complices de l’assassinat des hommes qu’elle aimait.
La première cible était un érudit à la science infuse et au verbe acerbe. La deuxième était une femme, une aristocrate tout aussi lettrée, qui utilisait son rang et ses connaissances pour dévoyer les jeunes femmes en les embrigadant dans ses cénacles et ses salons littéraires.
Le voir humilié, écroué pour le crime que lui-même avait commis, dessina un sourire sur ses lèvres desséchées par la pratique intense du jeûne. Un sourire que personne ne pouvait voir car le jeune homme avait couvert son visage d’un litham. Ce voile était porté par tous les hommes des tribus Sanhaja, ces nomades berbères qui habitaient le sud du Maghreb, la Mauritanie et le nord du Sénégal.
«Tu as raison, Zaynab. Cette femme a changé nos vies par le partage généreux de son érudition, la force de son caractère et son indépendance d’esprit, sans compter sa grâce, sa vivacité, sa coquetterie et sa bonne humeur. Quand Wallâda te prend sous son aile, tu sais que les anges t’ont souri. Elle a toujours été là pour nous, sans jamais faire de distinction entre une princesse et une fille du petit peuple comme moi. »
Elle te préfère aux princesses car ton talent est plus précieux pour elle que tout l’or du monde.
Dans les tribus berbères, les femmes avaient leur place dans les sphères de pouvoir, surtout quand elles étaient issues des familles riches. Aussi, sans descendance masculine, le père de Zaynab élevait ses deux filles comme des garçons. Elles étaient la relève. Il les préparait pour hériter de sa fortune et reprendre ses affaires après sa mort. Zaynab avait plus de caractère que sa sœur. Elle était une excellente cavalière et se révélait une tireuse à l’arc émérite, mais elle ne s’intéressait pas assez aux affaires. Alors que sa sœur souffrait avec son précepteur pour apprendre le calcul, Zaynab était allée sonner à la porte de Wallâda et avait demandé à faire partie de sa suite. Un seul regard avait suffi pour que Wallâda accepte cette amazone dans son entourage.
Ce cque vous dites de lui me plaît. Un homme de religion droit et juste, qui encourage le recours à la raison, refuse l’imitation aveugle, défend les droits des femmes et des esclaves, insiste pour que la musique et le chant soient halal et qui a écrit un livre des plus tendres sur l’amour courtois est un homme à mon goût.»