Un incroyable mélange entre le récit classique de
Flaubert et l'univers SF aux couleurs saturées et aux dessins surchargés de fioritures de
Druillet.
7 ans de travail pour
Philippe Druillet. Cette oeuvre intégrale, divisée en trois chapitres, nous permet de voir l'évolution du dessin, notamment dans les représentations de la vierge prêtresse salammbô : d'abord maquillée et habillée d'un somptueux costume et d'une coiffe futuriste, elle ressemble à un personnage des Star Wars, seul son visage nous apparaît, on dirait une extra-terrestre distante et inexpressive. Puis dans le chapitre deux, elle est incarnée par une vraie femme (nue) dont la photo est incrustée dans le dessin, lui donnant un caractère divin impressionnant. Un photo-montage que j'ai trouvé très fort et réussi. Dans le chapitre trois, on retrouve une salammbô à la coiffure plus... égyptienne et au maquillage... d'influence indienne ? Bref, un personnage protéiforme !
Mais l'histoire de salammbô, c'est surtout une succession de batailles épiques grandioses, de stratégies militaires, d'affrontements sanglants, de manoeuvres politiques... entre des personnages âpres au combat : Sloane/Mathô, son acolyte manipulateur Spendius, le traître Naar'Havas dans le clan des mercenaires, et les suffètes de Carthage Hamilcar, père de salammbô et le répugnant Hannon.
Un récit épique, hors-normes auquel le dessin de
Druillet donne sa pleine mesure : c'est un florilège de détails, d'armées représentées avec le plus grand soin, chaque case exige une exploration poussée, minutieuse. Contrairement à toutes ces images de foule indistincte, floutée, que nous connaissons lorsque nous voyons des armées (ailleurs en dessin, au cinéma), ici nous pouvons voir au plus près ce que la guerre provoque : des luttes individuelles, des membres coupés, des cris, des expressions de haine, de peur, des mouvements de foule... C'est la réalité de la guerre dans toute sa brutalité.
C'est une bande dessinée exigeante en termes de concentration, car outre sa longueur, ses dessins chargés, il faut aussi lire certains pavés de texte, dans leur police particulière, belle mais pas évidente. Mais c'est un plaisir, chaque page tournée est une nouvelle surprise, des couleurs flamboyantes.
Le récit de
Flaubert est riche en termes de rebondissements, d'actions, et c'est très bien retranscrit ici : le banquet, la révolte à Sicca, le vol du zaïmph, le voile de la déesse Tanit, par Sloane, le retour spectaculaire d'Hamilcar, les grands éléphants, la danse de l'amour entre salammbô et le serpent, et puis le déchaînement de violence final avec les sacrifices d'enfants pour Moloch, la mort des derniers mercenaires dans le Défilé de la Hache, le mariage de
Salammbo et Naar'Havas, le supplice terrible de Sloane écorché vif par les Carthaginois...
On ne s'ennuie pas, on se délecte de la beauté et de l'horreur à la fois de ces planches, du travail minutieux et impressionnant de
Druillet. Personnellement, j'ai adoré son style et ces couleurs criardes typiquement de l'époque. J'ai aussi beaucoup aimé les ruptures de tons dans certains dialogues, qui mélangent le texte original de
Flaubert et les ajouts de
Druillet : un style soutenu, une tirade amoureuse interrompue par les jurons vulgaires de ses acolytes... Ou cette pensée de Sloane : "Univers, je t'aime, toi et tes ivresses de couleurs et de lumière, mon champ infini d'étoiles, sans toi je ne suis rien, et pourtant... pourtant... je m'emmerde !" Très drôle.
Évidemment, les édifices architecturaux sont de toute beauté, ces sculptures aux dimensions gigantesques flottant dans l'espace, ces armures et ces armes finement gravées... Les personnages sont représentés sous des traits de créatures hybrides, presque monstrueuses.
Un monument !