Citations sur La préférence pour l'inégalite : Comprendre la crise des .. (25)
On n’apprend plus l’art de vivre ensemble par la seule autorité des leçons de morale et de la discipline. L’apprentissage de la citoyenneté et de l’autonomie, celui de la confiance aussi, devrait être conçu comme une éducation pratique à travers des activités et des responsabilités communes.
En raisonnant ainsi, on pense que la solidarité, le sentiment profond de participer à la même société, ce terme que le triptyque républicain nomme la « fraternité », est une conséquence mécanique de l’égalité. Plus nous sommes égaux, plus nous devenons « frères » ; moins nous sommes égaux, moins nous nous sentons « frères ».
On peut aimer l’opéra et le rock, Proust et la BD, le rugby et le bridge, le caviar et le cassoulet, etc. On peut d’autant plus mélanger les goûts et les couleurs que l’accès aux biens de consommation et aux biens culturels s’est très largement ouvert. Les jeunes ne sont plus prisonniers des programmes télévisés et construisent leurs choix en naviguant sur les écrans et sur Internet.
Enfin, dans une société plurielle où les cultures et les individus attendent d'être reconnus comme autonomes et singuliers, il est indispensable de construire les espaces et les scènes qui permettent de dire ce que nous avons de commun, afin d'accepter nos différences. Sans ce travail-là, rien ne nous protégera du pire des scénarios : l'alliance du conservatisme culturel et du libéralisme économique, faisant le lit d'un retour des inégalités sociales que nous pensions à jamais disparues.
Les centres-villes se gentrifient et s'embourgeoisent, les périphéries s'appauvrissent, les classes moyennes qui ne peuvent pas vivre dans les centres s'éloignent de la ville, les pauvres s'éloignent encore plus pour fuir les grands ensembles dégradés. Partout se déploie un entre-soi social, comme s'il fallait mettre la plus grande distance sociale et spatiale entre soi et les catégories sociales moins favorisées. Bien sûr, le prix du foncier détermine les choix, mais ces prix sont eux-mêmes le produit des préférences pour la séparation.
Donner du pouvoir aux acteurs suppose que l’on reconnaisse des compétences et pas seulement des droits, qu’on reconnaisse ce qu’ils sont et que leur soit offerte la possibilité de témoigner de leur expérience et d’agir sur leurs conditions de vie.
L’égalité nous engage parce que les individus ont quelque chose de commun et de semblable, parce qu’ils sont liés, qu’ils ont un destin commun et que leur bonheur privé dépend du bonheur public. Quand ces sentiments faiblissent, les inégalités se creusent, en dépit des indignations.
Aujourd’hui comme hier, la vie sociale a horreur du vide : se mettent en place d’autres mécanismes de production de cette vie sociale, que l’on peut grossièrement caractériser par la notion de cohésion sociale. C’est dans ce nouveau contexte, qui pourrait être qualifié de « post-moderne » ou de « seconde modernité », qu’il nous faut penser la construction d’une solidarité sociale qui ne peut pas indéfiniment se tourner vers un imaginaire social désormais révolu.
Sans ces liens pratiques et imaginaires, la reconnaissance de l’égalité fondamentale, « les hommes naissent libres et égaux », n’engage pas nécessairement à rechercher une égalité réelle.
Tout change quand les diplômes deviennent indispensables et que tous sont utiles, soit pour s’élever, soit pour maintenir une position, soit pour ne pas être marginalisé quand l’absence de diplôme condamne presque automatiquement à la précarité et au chômage.