Citations sur Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon (474)
Certains soirs, en attendant ma mère, Johanes se servait un verre d’alcool et s’asseyait devant la grande fenêtre face au fleuve. En été, quand il pleuvait, il ouvrait en grand les vantaux pour écouter le bruit de l’averse et sentir l’odeur mouillée de la vie remonter des trottoirs. De la part d’un tel homme d’Eglise à la foi mélancolique et parfois désabusée, on aurait pensé qu’il eût choisi Bach ou Haendel pour poudrer ces soirées solitaires. En réalité, dans ces moments de désenchantement, mon père écoutait des enregistrements qui semblaient tombés de l’étagère, dans un ordre erratique : Lee Konitz, Emerson Lake and Palmer, Stan Gets, Curtis Mayfield ou Led Zeppelin, défilaient sur notre chaîne hi-fi Marantz accouplée avec des enceintes JBL choisies personnellement par ma mère. Le son, à l’époque de mes parents, revêtait une importance capitale qu’il n’a plus aujourd’hui.
Je vous demande alors de conserver à l'esprit cette phrase toute simple que je tiens de mon père et qu'il utilisait pour minorer les fautes de chacun : "Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon ." Que Dieu, s'il vous voit, vous bénisse.
La flatterie est comme l'ombre: elle ne vous rend ni plus grand ni plus petit
Au loin, après les plantations, c’était la ville. À chaque arbre, Darry voyait des morts aux branches. Les maisons défilaient, elles se taisaient et consentaient au crime, comme celles du ghetto pendant qu’on incendiait la librairie. On tuait à Mobile comme à Tunis, comme à la guerre, et tous les morts lui revenaient…
Elle avait grandi dans le corridor des légendes, ces histoires édifiantes qui refaçonnaient l'origine des temps, qui disaient que les loups avaient appris aux hommes à parler, qu'ils leur avaient enseigné l'amour, le respect mutuel et l'art de vivre en société. Et aussi les ours. Et les caribous. Ils étaient nos ancêtres comme les aigles, et les arbres de la forêt, les herbes des prairies. Nous mangions tous cette même terre et, le moment venu, elle aussi nous mangerait. (p. 174)
J’aime la géographie des voyages, celle que l’on traverse à pied, à hauteur d’homme, instruit par les déclivités, la fatigue des jambes et le caprice des cieux. Beaucoup moins celle des livres enluminés de graphes et de data. Mon séjour au campus se résuma donc en une suite de va-et-vient désinvoltes, de contrôles de méconnaissances, de séances de polycopiés entrecoupées d’interminables journées de cinéma qui, le soir venu, me rendaient aux miens illuminé mais fourbu.
L'idée de vivre dans une ville ouatée d'amiante, poudrée par le poison, guettée par l'asbestose, ne me préoccupait pas plus que les autres résidents de Thetford Mines qui naissaient, grandissaient, apprenaient, flirtaient, baisaient, se mariaient,s'assuraient, travaillaient, divorçaient, socialisaient, rebaisaient, vieillissaient, toussaient, et mouraient entre les monts et cratères, les terrils et les fosses.
page 95
L'appartement du quai de Lombard était empli de cette atmosphère où les marques d'indifférence finissent par se fondre dans les couches de poussière.
"Fallait que j'oublie cette journée. Perdu dix dollars au champ de courses aujourd'hui. Quelle chose inutile. Ferais mieux de me fourrer la queue dans une crêpe au sirop d'érable."
Charles Bukowski, Sur l'écriture
Débarrassés de toute contrainte, nous eprouvions alors le sentiment de flotter dans le temps, d'être pleinement propriétaires de nos vies, de sécréter à chaque pas de l'insouciance et des molécules de bonheur, tandis que la chienne roulait son pelage blanc dans des manteaux de neige.